A l'ombre du café de l'Union de Tizi Ouzou et de la place du marché de Boghni, le négoce de la devise fleurit. En effet, dans ces deux endroits de la Kabylie, les cambistes brassent des sommes astronomiques en devises. Certes ce n'est pas encore la bourse informelle du square Port Saïd, mais ici également, les apparentis-courtiers ont pignon sur rue. Souvent jeunes, le portable collé ostensiblement à l'oreille et des liasses de billets pliés entre les doigts, le cambistes sont toujours à l'affût de la moindre bonne affaire. Tout s'échange ici. Dollars américains, dollars canadiens et parfois même des yens japonais, mais la monnaie vedette reste incontestablement l'euro, héritier du bon vieux franc. C'est dire que les pensions des retraités (et ils sont nombreux en Kabylie), atterrissent souvent dans les circuits illégaux d'échange de la devise. En effet, les vieux retraités sont attirés par la majoration qui leur est offerte par le marché parallèle. Ainsi, si l'euro s'échange aux alentours de 85 DA dans les banques, il est cédé à 115 DA «dehors». Espèces, chèques et ordre de virement, tout est accepté par les cambistes. Toutefois, un taux de 10% à 15% est défalqué de la somme lorsque celle-ci n'est pas en espèces. Le taux d'échange fluctue au gré de la sacro-sainte loi de l'offre et de la demande. En été, le flux des émigrés est accompagné de grosses sommes en euros. Or, la monnaie européenne pendant cette période flirte avec le taux de 109 DA, pour retrouver toutes ses couleurs en hiver où les cours atteignent les 117 DA. Ce marché où toutes les devises sont convertibles est régulé par des individus au bras long appelés communément les barons. C'est eux qui inondent le marché ou provoquent des pénuries. Ils «travaillent» directement avec les importateurs et les caïds du Square. Pour les cambistes, ils sont dans la plupart des cas des sous-fifres payés au pourcentage du montant échangé. Et l'Etat dans toute cela? L'Etat regarde impassible son économie se ruiner. Ainsi, si les émigrés marocains apportent annuellement 5 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat, les Algériens eux ne contribuent qu'avec 100 millions d'euros. Parfois, les services de sécurité s'emploient à utiliser les méthodes fortes, en effectuant des descentes dans les milieux de la devise, mais souvent ce ne sont là que des coups d'épée dans l'eau, puisque le laxisme et l'indifférence finissent par l'emporter. Bien organisés et dont la «devise» est l'honnêteté et la confiance, les cambistes font la chasse aux brebis galeuses qui s'aventurent à introduire de faux billets ou à duper le client.