D'entre tous les pays colonisés, nous avons été le pays qui a été le plus «imprégné» de la culture française. Il serait dommage que l'objectif de sauver les 3e et 4e générations en les arrimant culturellement à l'algérienne ne puisse pas être atteint. Ce défi est pour nous, une précaution dans le monde de plus en plus incertain où chaque pays fait appel à ses enfants à travers le monde. Plus que jamais, l'Algérie devra compter sur ses diasporas pour survivre et pouvoir, ce faisant, rayonner. Dans ce cadre, il nous paraît évident que l'action en direction de la plus forte diaspora en France n'est qu'un maillon d'une stratégie d'ensemble. A bien des égards, sans perdre de vue l'extraordinaire diversité des situations individuelles, le lien culturel et politique avec la France reste largement à construire: il ne sert à rien de saupoudrer au gré des conjonctures des actions sans lendemain. Nous avons avec la France, en commun, 130 ans d'histoire, de culture et près de deux millions de citoyens tenant aux deux rives. Il nous faut présenter un projet globalement cohérent qui s'inscrit dans la durée. Nous devons inventer une nouvelle façon de faire perdurer la présence de l'Algérie en France, dans le coeur des Français de souche algérienne, mais aussi auprès des Français qui doivent savoir que dans le domaine de la diffusion de la langue française à travers le monde, l'Algérie, sans adhérer à un cadre formel, est de loin le premier pays francophone. La communauté d'essence algérienne établie en France Selon les données non exhaustives, à fin 2002, le nombre de ressortissants immatriculés au niveau des postes consulaires s'élève à 1.101.253. Celui des enfants et des jeunes Algériens immatriculés fréquentant les différents cycles d'enseignement, s'élève à 223.520. La part la plus importante est représentée par le moyen et le secondaire avec 61% suivie des universitaires avec 26% et seulement 13% pour le primaire. Le nombre d'enfants, vivant dans une famille immigrée en France, s'élève à 551.560, dont 86% sont nés dans le pays d'accueil. Selon l'organisme des statistiques en France, (INSEE), la communauté algérienne émigrée en France est la plus importante des communautés émigrées (576.000 personnes). Elle est, cependant, la moins organisée. La lente érosion de ses structures traditionnelles de représentation la prive des instruments qui lui permettent de peser sur les choix et décisions qui intéressent son devenir. Un rapport du Conseil économique et social en juin 2002 en France révèle que, loin d'avoir disparues, les pratiques discriminatoires à l'égard des jeunes issus de l'immigration sur le marché du travail sont récurrentes et qu'«il existe une réalité extra-économique, non rationnelle», alors même que la loi interdit toute différenciation entre Français de naissance, Français par acquisition et même étrangers. Il est constaté qu'il y a une exclusion formelle des candidats à un emploi du fait de leur origine ethnique, phénomène que les autorités tentent de contourner en «suggérant» aux employeurs de recevoir les demandeurs d'emploi, qui seront, on l'aura compris, écartés légalement après l'entretien. La discrimination négative est une réalité. Ainsi, les jeunes Algériens ou d'origine, sont placés dans une situation d'inégalité réelle par rapport aux jeunes Français quant à l'accès à l'emploi En 1999, le taux de chômage des jeunes d'origine algérienne âgés de 20 à 29 ans avoisine les 31% alors que le taux est de 15% au niveau national pour l'ensemble des jeunes. On relève, par ailleurs, que 34% des jeunes d'origine algérienne titulaires du baccalauréat sont sans emploi contre seulement 9% des jeunes bacheliers au niveau national. «L'analyse du taux de chômage par niveau d'études montre que le diplôme n'est pas aussi déterminant pour tous». Le taux de chômage des jeunes diplômés issus de l'immigration est le double de celui des jeunes nés de parents français. Lors des demandes d'embauche, il est «fréquent» qu'on exige d'eux des qualifications supplémentaires non demandées aux autres. Dans une étude effectuée en 1999, le sociologue Saïd Bouamama a mis en évidence «une discrimination au faciès, permanente à l'embauche». Il explique que plus de la moitié des jeunes rencontrés se sont vu proposer de modifier leur prénom dans leurs démarches de recherche d'emploi. «Cette expérience est encore plus douloureuse car elle exige une autonégation identitaire», explique le chercheur. Il en résulte que la seule possibilité qui lui reste est de se fondre dans la culture ambiante en reniant de fait son identité. L'immigré réussit peut-être mais reste en errance identitaire et religieuse. Sa religion est tolérée si elle est invisible. De plus la promotion est hypothétique, c'est le fameux «plafond de verre», invisible mais qui interdit à tout beur une ascension sociale. La volonté d'appel au pays des premières générations va graduellement s'émousser, les nouvelles générations n'ayant pas, à leur corps défendant, la même perception de la patrie de leurs pères. Il y a urgence à agir, dans une génération, tout sera perdu. Nous aurons des «Français» sans état d'âme avec une haine envers cette Algérie mythique qui n'a pas répondu à leurs attentes quand ils étaient en pleine errance. Dans ces conditions, le moment est venu de réagir en affirmant notre disponibilité envers cette communauté ombilicalement liée à la mère patrie. Cependant, si nos actions ne sont pas affirmées avec force et ne s'inscrivent dans la permanence, par la force des choses, tout ce qui n'est pas «irrigué» dégénère. Nous devons exploiter, alors, toutes les opportunités et profiter de la dynamique de l'année de l'Algérie en France, et affirmer notre détermination dans le cadre de ce futur Traité qui devrait en tout état de cause affirmer la spécificité des relations entre l'Algérie et la France. Dans ces conditions, l'aspect financier, bien qu'il soit important, ne doit pas être, de notre point de vue, une étape limitante, les enjeux sont énormes et les gains potentiels pour l'Algérie du futur sont sans commune mesure avec l'investissement initial. Ainsi et pour ne parler que des scientifiques expatriés, des diasporas de l'intelligence se constituent d'une façon aléatoire autour d'un certain nombre de référents identitaires et aussi religieux. Cette «Diaspora de la connaissance» beaucoup plus faible numériquement que l'émigration classique, n'est pas moins beaucoup plus influente; socialement intégrée dans le pays d'accueil, elle est capable d'actions positives envers la mère patrie. La question de l'apport des scientifiques «algériens» expatriés demande à être approchée non pas sentimentalement mais avec un certain réalisme politique et une intelligence de la situation qui évacue les comportements affectifs. A l'heure de l'Internet, le besoin de la présence physique de nos élites en Algérie n'est pas une condition indispensable. De ce fait, et pour les conforter dans leur lieu d'intégration, le moment est venu pour l'Algérie de leur apporter ce complément de culture, multiforme, d'identité et ce besoin d'âme que le pays d'accueil ne peut mettre à leur disposition. L'enseignement de la culture de la civilisation algérienne, l'enseignement de l'histoire et du fait religieux contribueront, indépendamment de leur intégration harmonieuse sous les lois de la République du pays d'accueil, à ancrer dans leur espace civilisationnel ces Algériens de coeur et d'esprit. Ce que l'on pourrait faire d'une façon graduelle On peut dénombrer en France une diaspora potentielle de quelque 5 millions de Français d'origine algérienne qui ont en commun l'amour d'identité et la quête de racines. Le but est de construire avant tout, à demeure, un lien solide permanent qui puisse, le temps aidant, se transformer graduellement en un lobby, une diaspora de l'intelligence capable de défendre l'identité algérienne d'une façon apaisée et convaincante. Les possibilités de cette présence sont diverses et peuvent globalement se résumer en deux options qui ne sont pas dichotomiques. On peut concevoir dans un premier temps des sections internationales dans des lycées français et par la suite, la mise en place de structures éducatives individualisées (écoles, collèges, lycées) L'enseignement dans ces sections internationales se fait selon les normes éducatives françaises avec une forte proportion de la langue du pays demandeur, à laquelle il faut ajouter l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de la culture et plus récemment du fait religieux. La deuxième voie qui doit être étudiée parallèlement est celle de structures autonomes. Là encore, le potentiel en élèves, le niveau de démarrage, devront être appréhendés, l'unité de lieu pourra alors être déterminée et la mise en oeuvre pourrait se faire graduellement. A l'instar de ce qui est permis à la langue allemande, l'objectif sera d'arriver, à terme, au bilinguisme en respectant l'appartenance d'origine, et en favorisant l'intégration des deux cultures et des deux langues. Cette formation devrait permettre à ceux qui ont fait un segment de formation dans cette institution à mettre en place, de pouvoir intégrer sans problème majeur le système éducatif algérien. Enfin, l'aspect cultuel étant important, il est nécessaire de donner à ceux qui le souhaitent des espaces de connaissance de l'Islam et situer l'apport de la religion dans le cadre de l'étude sereine et objective du fait religieux en France. Sans vouloir minimiser le «recul français» du fait du vote d'une loi en février 2005 glorifiant la colonisation, il faut savoir que cette colonisation était à nulle autre pareille, et les liens indissolubles tissés dans le sang, la sueur et les larmes doivent, devant un monde de plus en plus crisique, nous permettre de nous redéployer d'une façon intelligente, d'une façon apaisée et mutuellement avantageuse pour les deux parties. En effet, si on sait y faire, nous paraîtrons comme un partenaire incontournable dans la stratégie de ce pays pour apporter la paix et la sérénité dans le coeur de ces Français en pleine errance identitaire qui refusent de se dissoudre dans une société qui ne fait pas de place pour le moment à leur exception culturelle. L'ampleur du réseau scolaire algérien à l'étranger fournira là une excellente opportunité d'appliquer à nous-mêmes et aux autres ce que c'est que l'«exception culturelle algérienne» en matière de rayonnement. Cette mission est plus qu'une nécessité: un devoir pour répondre à une attente de cette communauté à la croisée des chemins du point de vue de l'identité, de la culture, surtout s'agissant de la troisième et quatrième génération de «beurs» beaucoup plus vulnérables et sensibles à la dissolution des repères identitaires. Les citoyens français d'origine maghrébine seraient plus respectueux des lois de la République qui respectent leur identité originelle et leur besoin d'âme. L'Algérie aura la communauté émigrée qu'elle mérite. Elle est à une croisée des chemins concernant sa communauté émigrée. Si elle ne fait rien de pérenne et de solide, elle perdra l'immense réservoir de compétences, de savoirs, de savoir-faire et surtout d'influence quant à sa politique étrangère. L'émigration à la «Tati» a vécu, nous devons faire émerger une diaspora de l'intelligence pour faire vibrer la corde patriotique envers la «mère patrie». A l'instar de la diaspora juive, libanaise, il ne faut pas perdre son énergie dans des combats d'arrière-garde. A nous d'accompagner l'apport bien compris de nos nationaux «expatriés», en les faisant travailler avec les scientifiques restés à demeure. Notre diaspora scientifique dépasse les 100.000 personnes, à nous de l'aider à se constituer en lobby. Le contenu du Traité avec la France doit être, selon nous, la matrice de l'exception algérienne. Nous ne pouvons être compétitifs dans tous les domaines, économiques et scientifiques. Par contre, dans le domaine de la culture, de l'éducation et du fait religieux. La contribution de l'Algérie pour une coopération apaisée complémentaire et pérenne est incontournable pour la paix sociale en France qui ne peut venir que d'une communauté qui se sent respectée, réellement intégrée dans la société française, mais surtout et avant tout soutenue et confortée dans sa culture et dans son besoin d'âme. Il ne sera pas, alors, difficile de contribuer à l'écriture d'une histoire à deux mains, une histoire de la réconciliation qui pourra faire la lumière sur la réalité inhumaine de la colonisation. Pour nous, la vision globale et pérenne de la présence culturelle algérienne dans le monde de deux autres pays voisins devraient faire l'objet d'une attention soutenue, il s'agit de l'Espagne et de l'Italie. Naturellement et par réciprocité nous pourrons envisager la mise en place d'une section internationale en Algérie à Oran qui a vu l'occupation espagnole durer près de trois siècles. Dans tous les cas, ces exemples donnés à titre illustratif, doivent nous inciter à prospecter à l'extérieur tous les gisements de présence et de compétence de notre communauté expatriée. C'est le cas notamment des communautés établies en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) pour lesquels un vrai travail de fond devrait permettre de capitaliser et faire fructifier le capital fidélité à la «mère patrie» par des actions culturelles et éducatives qui s'inscrivent dans la durée et non dans des actions sporadiques style émissions soporifiques «Diar el ghorba» qui sont devenues par la force des choses de véritables repoussoirs.