Trois courts métrages différents, trois territoires cinématographiques interrogés via des dispositifs narratifs qui nous ont marqué. Trois films courts métrages ont retenu notre attention lundi dernier à la cinémathèque de Béjaïa. Le premier, Vers la tendresse, est un film documentaire français de Alice Diop de 2016, moyen métrage d'une durée de 38 minutes. Il a obtenu le César 2017 du Meilleur court métrage. «Au départ, je voulais faire un film de fiction sur l'amour en banlieue. Je ne savais pas que ces voix enregistrées deviendraient la matière première d'un autre film», et de rajouter dans la presse française: «Ces quatre rencontres ont été fabuleuses. La qualité de parole qui m'avait été donnée était fondamentale. Ces garçons étaient bouleversants.» En effet la réalisatrice s'est attaquée à un sujet pas si facile à filmer et pourtant elle réussira à le faire de façon surprenante et bien authentique, à nous immerger dans l'histoire de ces quatre garçons en tentant de sonder leurs rapports avec l'amour. Des garçons évoluant dans des quartiers dits chauds, mais qui, contre tout préjugé, sont des êtres humains comme tout le monde, capables de donner et de recevoir. D'abord l'originalité de ce film réside aussi dans la bande-son qui est en décalage des images et sonne comme un son off et puis il y a ces plans en apnée qu'elle nous donne à voir et beaucoup plus à ressentir, à effleurer comme une peau qu'elle nous tend à caresser. Mais toujours avec retenue et pudeur sans vouloir faire ni peu ni trop. Ce film évoque en effet, par le biais de plusieurs témoignages, des regards différents sur la sexualité et la difficulté d'être un homme pour certains. Les langues se délient. Entre humour et révélations, des discours, des tabous, se brisent. Qu'est-ce qu'un homme en fait? Comment doit-il se comporter? Le documentaire de Alice Diop nous embarque dans la voie et voix rares de ces quatre garçons, au coeur de leur intimité singulière des plus complexes et notamment chez ces migrants dont la représentativité est souvent biaisée et antinomique avec certains «codes». Mais en existent-ils vraiment? Dans un autre film court, le réalisateur algérien Anis Djaâd, aborde dans son oeuvre intitulé Le voyage de Keltoum la question du retour aux sources des émigrés. Keltoum est le personnage central du film. Elle se retrouve obligée, malgré de grandes difficultés financières, de réaliser le voeu de sa soeur mourante de retourner sur des lieux qu'elle considère comme sacrés. Alitée, le dernier voeu de sa soeur est de partir en Algérie se recueillir une dernière fois sur la tombe de sa mère. Ni son fils ni son mari ne peuvent l'aider à payer le billet d'avion du retour. Keltoum se débrouillera comme elle peut. Comme dans Le Hublot ou Passage à niveau, Anis Djaâd filme en gros plan de façon propre et nette. Ses plans sont étudiés malgré leur apparent classicisme et c'est ce qui rend son cinéma fluide et percutant. Ce film, qui a fait depuis sa sortie de nombreux festivals, a glané aussi de nombreux prix. Le réalisateur algérien n'était hélas, pas présent à Béjaïa pour débattre avec le public, notamment sur cette question de l'émigration et le désir du retour pour certains. Dans un autre genre filmique est le court métrage, De l'autre côté du miroir de Rim Laredj. Synopsis: après des années d'absence Louise convoque son père pour un ultime tête-à-tête. Un huis clos où deux générations se confrontent, s'aiment se haïssent et finissent par se rencontrer. Ce court métrage est aussi un regard poétique sur la France et l'Algérie, cette double identité de l'héroïne, qui la fissure de toutes ses blessures, qu'elle ne comprend pas. En effet, Rim Laredj dédie dans le générique son film à «tous les enfants orphelins des deux côtés de la Méditerranée». Son film se divise en plusieurs parties. D'abord, la jeune femme qui découpe du papier photo seule dans sa chambre et puis son tête-à-tête nerveux avec son père où elle lui jette à la figure ses quatre vérités. Place au moment de la réconciliation et où la paix intérieure est au rendez-vous quand ces deux individus se mettent à valser au même moment que la caméra tourne et suit ces deux personnages qui se regardent, apprennent à s'apprivoiser et se sourient mutuellement. Un temps un peu long dans le film qui permet de sonder en profondeur les regards pour finir par un plan sur cette femme dansant seule. Va-t-elle mieux maintenant? Tout ceci est-il le fruit de son imagination ou pas? Nous ne le savons pas vraiment. La réalisatrice en tout cas pose son dispositif narratif (des plans de coupe à répétition très rapprochés) pour créer ce sentiment de désordre psychologique et de déraillement dans la tête de cette femme qui se met à soliloquer sur «qu'est-ce que la culture de ses origines» qu'elle ne connaît pas et ce qui est bien ou pas pour elle alors que son père reste silencieux, complètement dépité. Notons que ce film réalisé en noir et blanc se veut exprimer le sentiment de mélancolie qui sous-tend cette histoire qui oscille entre larmes et joie. Une expérience esthétisante qui rajoute encore un arc à l'arc de cette cinéaste et plasticienne, mais aussi illustratrice de livres pour enfant qui prépare actuellement son deuxième long métrage. Trois films distincts en tout cas projetés, mais reliés par cette notion d'affection, d'amour et son attachement pour l'Autre. De l'incarnation de cette émotion qui réunit les gens entre eux au-delà de leur filiation parentale ou pas, voire de leur géographie.