Le président Yacubu Gowon accueillant le SG de l'ONU U Thant en 1967 A Jos, la capitale de l'Etat central du Plateau, le gouverneur Simon Lalong, a eu beau déplorer des violences «évitables et totalement inutiles» entre communautés haoussa et igbo au point de nécessiter un couvre-feu, force est de dire que le feu couvait sous les cendres. Des affrontements, des morts et une tension grandissante constituent des signes avant-coureurs inquiétants pour le futur proche du Nigéria à tel point que plusieurs gouverneurs du pays ont lancé hier des appels au calme dont rien n'indique qu'ils vont suffire à apaiser la situation. En effet, les affrontements entre partisans de l'indépendance du Biafra et les forces de sécurité n'augurent rien de bon pour un pays qui a connu, voici quatre décennies, une terrible guerre civile aggravée par un nettoyage ethnique. Les observateurs ne cachent pas leur crainte d'une résurgence de ce conflit qui a marqué le continent d'un signe indélébile et ouvert la voie à des rancoeurs et des guerres larvées telles que celles qu'on a observées en République centrafricaine ou en Côte d'ivoire, pour ne citer que ces deux pays. La dimension interethnique de ces luttes est alimentée, sans doute, par l'impact des crises socio-économiques dont souffrent plusieurs Etats de la région subsaharienne mais d'autres paramètres sont également à prendre en compte dans la remontée des eaux troubles. Les mouvements extrémistes qui ont proliféré depuis une décennie un peu partout ont creusé leur lit, tel un fleuve dévastateur, dans ce qui paraissait être jusqu'alors des puissances émergentes. Boko Haram, les Shebab, Aqmi et d'autres groupes terroristes ont oeuvré de concert, sous la houlette des apprentis-sorciers qui tissent en sous-sol la trame des misères et des régressions fécondes de nombre de peuples africains et voilà qu'aujourd'hui, la menace est réelle qui concerne le peuple nigérian dont les plaies sont à peine cicatrisées. A Jos, la capitale de l'Etat central du Plateau, le gouverneur Simon Lalong, a eu beau déploré des violences «évitables et totalement inutiles» entre communautés haoussa et igbo au point de nécessiter un couvre-feu, force est de dire que le feu couvait sous les cendres depuis un certain nombre d'années. Ce ne sont donc pas les victimes tuées dans deux marchés, jeudi dernier, sous prétexte de représailles, qui constitueraient le déclic d'un nouveau conflit explosif entre les Igbo et les Haoussa redevenus une cible dans le sud-est du pays. Jos est au croisement du nord, majoritairement musulman, et du sud-est, largement chrétien, et la ville et ses environs sont de ce fait un carrefour traditionnel des violences meurtrières. Et si les Haoussa, emportés par des courants radicaux très actifs dans la région de Kaduna, ont lancé en juin un ultimatum aux Igbo pour quitter leurs villages, c'est aussi parce que des affrontements violents ont opposé ces jours derniers l'armée nigériane aux éléments du mouvement indépendantiste censé regrouper les peuples indigènes du Biafra (Ipob), faisant croître les appréhensions d'une brusque flambée séparatiste qui ferait sombrer le pays dans une nouvelle guerre civile comme celle vécue auparavant. La peur est d'autant plus vive que les heurts ont eu lieu dans la ville pétrolière de port Harcourt et dans l'Etat d'Abia, un fief de l'Ipob. Celui-ci a beau jeu de dénoncer les multiples opérations de répression menées par le pouvoir central, arguant de lourdes pertes enregistrées dans ses rangs que l'armée nigériane dément avec énergie. L'objectif de l'Ipob n'est un mystère pour personne: il revendique la création d'une République du Biafra. Et c'est cette revendication, suivie d'une Déclaration unilatérale d'indépendance du Biafra en 1967 qui a mis le feux aux poudres, engendrant une guerre durant trois ans, un million de morts et des dégâts économiques majeurs. L'épée de Damoclès est pendante, avec le leader du mouvement poursuivi pour trahison et atteinte à la sûreté de l'Etat (son procès à Abuja doit s'ouvrir le mois prochain), ce qui ne l'empêche pas de mettre à profit sa liberté conditionnelle pour haranguer les foules et élargir ses assises populaires au sein des foules Igbo. L'armée va desserrer l'étau dans la province d'Abia mais cela suffira-t-il à contrer le discours haineux et l'appel à la sédition dans un Biafra qui porte encore les stigmates du brasier d'antan?