Sans surprise la chancelière allemande, Angela Merkel a gagné les législatives, mais une victoire amère qui ne lui donne pas les moyens de sa politique Victorieuse mais affaiblie par un score électoral décevant, Angela Merkel s'attelait hier à la tâche difficile de former une nouvelle majorité dans un paysage politique éclaté, sous l'effet de la percée historique de la droite nationaliste. Dès 09H00 du matin, l'état-major de son parti conservateur CDU se réunissait pour tirer les premières leçons d'un scrutin législatif où il n'a recueilli que 32,9% des voix, son plus mauvais score depuis 1949. La quatrième victoire consécutive de la chancelière, au pouvoir depuis 2005, a un goût amer pour elle. Et les premiers signes de contestation sont apparus du côté de ses alliés conservateurs bavarois de la CSU, qui militent depuis deux ans pour que Mme Merkel entame un virage à droite. Car une partie de l'électorat conservateur - un million de personnes selon les sondages - a rejoint l'AfD. Un mouvement populiste qui a fait du rejet de l'accueil massif des migrants décidé par la chancelière en 2015 son grand cheval de bataille. «Nous avons délaissé notre flanc droit et il nous appartient à présent de combler le vide avec des positions tranchées», a lâché le chef de la CSU, Horst Seehofer. L'AfD a pris quelque 13% des suffrages après une campagne particulièrement agressive et aux relents xénophobes, prenant pour modèle le président américain Donald Trump et les partisans de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Thème de prédilection de cette droite dure: accuser la chancelière de «trahison» pour l'accueil de centaines de milliers de demandeurs d'asile majoritairement musulmans. Ces derniers généralement qualifiés de terroristes ou de criminels en puissance. L'entrée d'un tel parti dans la chambre des députés est un vrai choc pour de nombreux Allemands, l'identité d'après-guerre reposant justement sur la lutte contre les extrêmes, la quête du compromis et la repentance pour les crimes du IIIe Reich. «Il y a eu une percée de l'extrême droite (...) l'entrée de l'AfD au Bundestag est un scandale», a jugé Dietmar Bartsch, de la gauche radicale Die Linke. Le quotidien Bild évoque «un séisme» et Die Welt un «triomphe de la campagne de la peur» quand l'un des chefs de l'AfD, Alexander Gauland, jubile et déclare «la chasse» ouverte «à Madame Merkel». Le Conseil central des Juifs en Allemagne voit dans le score de ce parti - qui veut revenir sur la repentance allemande pour le nazisme - de «plus grand défi démocratique depuis 1949» et la naissance de la République fédérale d'Allemagne. Le Congrès juif mondial a lui qualifié l'AfD de «mouvement réactionnaire honteux qui rappelle le pire du passé». «Ça change la manière dont l'Allemagne est perçue, car avec l'AfD c'est le retour d'un langage que l'on croyait relégué à l'extérieur de notre consensus politique», juge Suzanne Schüttemeyer, professeur de sciences politiques de l'université de Halle. Mais les problèmes de Mme Merkel ne s'arrêtent pas là. La formation d'un gouvernement s'annonce très compliquée. Laminés, les sociaux-démocrates du SPD ont décidé de quitter la coalition avec la chancelière et de rejoindre les bancs opposition. Ne reste qu'une solution majoritaire dans le nouveau Bundestag: une alliance inédite au niveau national réunissant les conservateurs, les Libéraux du FDP et les Verts. Cette coalition, dite «Jamaïque» - référence aux couleurs noir-jaune-vert des trois partis - n'existe actuellement qu'au niveau régional, dans le petit Etat nordique du Schleswig-Holstein. Et seulement depuis le printemps. Problème, ces deux derniers partis s'opposent sur bien des dossiers clés comme l'immigration, l'avenir du diesel et la sortie du charbon. Ils ont aussi chacun des désaccords de fond avec les conservateurs. «Nous allons voir dans le calme, après analyses et possibles pourparlers, si on peut arriver à une collaboration», a dit, prudente, Katrin Göring-Eckardt, co-tête de liste écologiste aux législatives. Le chef des libéraux, Christian Lindner, a lui déjà fixé une condition pour entrer au gouvernement: le rejet des idées de réforme de la zone euro portées par le président français Emmanuel Macron. Un budget commun est ainsi «une ligne rouge», car Berlin ne doit pas se retrouver à payer les dérapages financiers des autres. Les négociations pourraient donc prendre des mois. Depuis les premières élections d'après-guerre en 1949, le parti vainqueur a toujours réussi à former une majorité. Et la chancelière a exclu un gouvernement minoritaire s'appuyant sur des majorités changeantes. Ce n'est qu'après l'officialisation d'une nouvelle coalition que Mme Merkel pourra formellement être désignée chancelière une quatrième fois. Autrement, de nouvelles élections pourraient être convoquées. «Une victoire cauchemardesque», donc, pour la chancelière, résume Bild.