img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P171030-04.jpg" alt=""Un écrivain n'est pas là pour représenter son pays"" / Samedi, à la Safex, le stand de l'Institut français s'est avéré exigu pour accueillir l'auteure de Nos richesses, Kaouther Adimi, qui est venue présenter son nouveau roman en lice pour les prix Renaudot et Médicis. On apprendra le jour-même que son nom venait d'être retiré de la liste des prix pour le Goncourt. Répondant sereinement aux questions du public, dont de nombreuses personnes sont restées debout, elle dédicacera, après, son oeuvre au stand Barzakh. Livre de la maturité, dans Nos richesses on sent véritablement une certaine évolution dans l'écriture de l'auteure de Des Pierres dans ma poche et Les souliers de Papicha. Une longue carrière attend assurément cette écrivaine de talent. Rencontre. L'Expression: Votre nouveau roman est assez original de par sa thématique où l'histoire a une grande importance, un sujet moins fleur bleue comparé à vos anciens romans.. Kaouther Adimi: Le roman Nos richesses est un roman qui questionne le 2 bis de la rue Hamani à Alger où en 1936 Edmont Charlot a ouvert une librairie. Le roman est composé en trois parties qui se font écho, qui sont vraiment imbriqués les unes dans les autres. Il y a la partie où je raconte l'histoire d'Edmont Charlot pendant le XXe siècle, des années 30 jusqu'aux années 60. Je raconte comment cet homme à 20 ans arrête les études et crée ce lieu avec deux copains. Il va se lancer dans une grande aventure éditoriale en Algérie et en France. Une autre partie concerne le lieu d'aujourd'hui en 2017. Une partie de fiction où j'imagine que le lieu est cédé à un industriel privé qui veut transformer cette libraire en une boutique de beignets parce que dit-il on vendra plus de beignets que de livres. J'imagine la rencontre entre Abdellah, un vieil homme, un bibliothécaire passionné d'histoire et de littérature qui veut maintenir les lieux et un jeune homme qui a envie de terminer vite la tâche qu'on lui a donnée, mais qui finit par prendre conscience de l'histoire de cet endroit et qui va essayer à la fin du livre de sauver les livres du lieu. je voulais mettre un jeune homme qui en a marre qu'on lui ressasse tout le temps les histoires du passé, qui n'a pas envie d'être dans le passé qui se retrouve en effet au début à jeter ces livres sans se préoccuper. Sauf qu'il a du mal à le faire parce que Abdellah est en face de lui. La porte est vitrée. De là, il le regarde toute la journée, le questionne, et donc il finit un moment par ne plus jeter les livres. Il n'y n'arrive pas. Il est questionné dans ses actions et il sait que ce qu'il est en train de faire est très mal. Ryad a juste envie de finir son stage et repartir à Paris retrouver son amoureuse. Il est extrêmement dérangé par Abdellah qui ne le laisse pas finir sa tâche, qui va lui faire découvrir Alger, qui n'a de cesse de le taquiner parfois violemment, parfois avec gentillesse. Ryad arrive ici aussi un peu forcé parce qu'il n'a pas trouvé de stage en France. Là c'était le dernier endroit où on pouvait l'aider La librairie existe. Pourquoi cette idée de la fermeture et pourquoi l'avoir transformée en une boutique de beignets? Je me suis inspirée de la libraire de Didouche-Mourad qui, dans un certain temps avait été menacée de fermeture, cela m'avait marqué. Et l'audience s'était mobilisée pour qu'elle demeure et du coup j'avais en tête d'écrire sur une librairie qui fermerait. Pourquoi les beignets? Parce que Charlot, en fait, a cédé cette librairie à sa belle-soeur qui est restée en Algérie jusque dans les années 1990. Pendant les années de terrorisme elle a fermé et elle est partie. Charlot ne savait pas ce qui s'était passé. Il disait à sa femme en s'amusant: «Tu imagines si aujourd'hui on y vend des beignets?» Elle m'a raconté cette histoire puisque je suis parti rencontrer sa femme. Je voulais savoir un peu plus et elle m'a raconté cette anecdote. J'ai saisi l'anecdote au vol! Le livre est composé d'une partie vraie et une autre d'archives mélangées à de la fiction... Dans les carnets de Charlot, la majorité des choses est vraie. Il y a des parties dans lesquelles j'ai brodé. Je vous donne un exemple clair. J'ai fouillé les articles de presse de l'époque. J'ai trouvé l'acte de décès de sa mère. Dans le livre c'est le vrai acte de décès de sa mère. Dans le livre, j'imagine qu'il est triste un soir et il va regarder dans un carton de souvenirs et il tombe sur cet acte de décès. Ça c'est imaginé. Il faut bien l'introduire puisque c'est un journal intime je ne peux pas plaquer comme ça. Ça je l'ai donc écrit. Dans le roman il y a le «nous» qui est présent comme un témoin extérieur de ce qui s'est passé. Une sorte de conscience qui réfléchit en dehors. C'est qui ce «nous»? Au début je dis que ce sont les habitants du quartier. Je dis «nous sommes les habitants du quartier». Ce «nous» arrive beaucoup dans les parties historiques du livre. Je ne voulais pas donner l'impression d'un livre d'histoire très figé avec de vraies dates. Evidemment que les massacres de 1945 sont vraies. Evidemment qu'en octobre 1961 on a pris des Algériens et qu'on les a jetés dans la Seine. Evidemment ce sont de vraies choses qui se sont passées, mais la manière dont je les raconte n'est pas du tout une manière objective. Le fait d'avoir choisi des parties de l'histoire d'Algérie, c'est déjà extrêmement subjective. J'ai pris des parties qui me semblaient importantes et que j'avais envie de raconter donc le fait de mettre le «nous» me permettait d'être dans une subjectivé totale de ne pas fausser le lien avec le lecteur et puis d'enlever toute distance avec l'Histoire. Même si je n'existais pas encore en 1945, je n'étais pas née, ce sont des choses qui me concernent quand même. Il s'est passé quelque chose chez moi je ne voulais donc pas prendre de distance avec cette histoire-là. Parlons maintenant un peu de la structure narrative du livre, de sa forme. Ce que j'ai apprécié est le fait que, comme dans un film, vous déposez vos personnages dans un décor x, et puis petit à petit vous commencez à fignoler leur histoire, d'où ils viennent et pourquoi tel ou tel comportement, notamment de Ryad qui vient au départ pour tout jeter dans cette librairie et prend d'emblée le visage du méchant. Alors qu'il est autre chose justement, qui vient dans le développement de votre histoire. Comme des profils de personnages que vous aiguisez... J'aime cette idée d'esquisse des personnages. Ryad n'est pas du tout méchant. il est missionné pour faire un stage. Il doit vider une librairie. Après on peut se poser la question morale de ce qu'on fait. Abdellah est là pour le pousser vers cette réflexion de remise en question. Le méchant serait en fait dans la partie relative à l'histoire coloniale. Tout à heure vous avez affirmé avoir été obsédée presque par le personnage de Charlot En effet. C'était quelqu'un de très intéressant. C'était un entrepreneur, très mauvais homme d'affaires, qui se fait avoir quinze mille fois. Il donne ses actions à ses copains. Du coup il se retrouve à la porte de sa propre entreprise... Il ne fait que recommencer, que de monter des boîtes. Ça ne marche jamais. C'est quelqu'un qui a presque toujours vécu en Algérie, mais qui finit sa vie de l'autre côté. Comment êtes-vous tombée sur ces archives-là? En tombant sur le 2 bis rue Hamani, il y a deux ans et demi, il y a écrit sur la porte «un homme qui lit en vaut deux». Et à travers la vitre j'ai vu la photo de Edmond Charlot. C'est une annexe de la Bibliothèque nationale. C'est un endroit étatique aujourd'hui. Ce n'est pas une librairie privée. Je ne comprenais pas pourquoi il y avait la photo d'un Français dans un lieu étatique. Pourquoi le titre Nos richesses? Quand on se pose la question des richesses de l'Algérie, on pense au pétrole et au gaz et moi je pense que nos richesses c'est plutôt la culture, l'histoire, les gens du pays. J'avais envie de recentrer tout ça là-dessus. Sur ce qui me semblait important et beaucoup plus important que le pétrole et le gaz. Je voulais inclure l'idée d'une appropriation. Un lieu qui est ouvert en 1936 par un Français, à une époque coloniale qui va survivre à la fois à la guerre d'Algérie, à la Seconde Guerre mondiale, aux années de terrorisme etc, qui perdure toujours, doit être un lieu qui doit être récupéré par nous, qui nous appartient. C'est un lieu qui doit perdurer. Les lieux sont formidablement décrits. Il faut vraiment être une Algérienne pour bien les connaître. Vous reconstituez presque la cartographie de ces rues. Alger est un personnage du roman. On peut dire ça. Après je suis toujours agacée quand je lis des livres sur Alger à l'étranger. Quand c'est écrit par des étrangers il y a plein de couleurs. Quand on est née et grandi à Alger, on ne pense pas Alger comme une ville blanche. J'ai vécu en Algérie jusqu'à 22 ans. Je n'ai jamais eu l'impression de vivre dans une ville blanche comme dans un mausolée ou je ne sais quoi. C'est pour cela que le roman se passe en hiver. Il pleut tout le temps. Ça m'évitait de rentrer dans un exotisme permanent de soleil qui tape fort, de cette chaleur épouvantable etc. Ça me permettait de raconter la ville un peu différente. Le fait qu'il soit sélectionné au Goncourt, quel a été votre sentiment? Il n'est plus sur la liste. Mais j'avoue que je ne m' attendais pas à être sélectionnée. Je ne pensais pas qu'il allait avoir un aussi bon accueil. Bien évidemment je suis ravie. Et les listes des prix ça permet de donner un éclairage sur des livres. Il faut savoir qu'il y a eu 551 livres qui sont sortis en France. Je suis donc très flattée et très contente que ce livre soit partagé. Que ce soit en France ou en Algérie. Parce qu'en plus du fait qu'il était sur des listes de prix en France, cela a eu un impact en Algérie et il est aussi lu en Algérie. Quel regard portez-vous sur la récente polémique qui a secoué le monde de la littérature algérienne? J'ai suivi un peu. Je me suis même posé la question de venir ou pas venir. Après tout, moi j' habite à l'étranger, ne pas venir pour moi c'est compliqué, cela veut dire pas de possibilité de rencontrer les lecteurs. Si je vivais à Alger et que je pouvais faire plusieurs rencontres en librairies, je me serais peut-être posé la question différemment. L'accusation de Boudjedra, sinon, sur Kamel Daoud selon laquelle il faisait partie du GIA je trouve cela juste atroce. Je comprends que Kamel ait voulu déposer plainte. j'ai du mal à comprendre par contre Boudjedra, ce qu'il fait dans ce projet-là, l'objectif de ce pamphlet et pourquoi il attaque ces écrivains-là. On peut aimer ou ne pas aimer ce qu'écrit Kamel Daoud, ou aimer ou pas ce que j'écris, ce n'est pas du tout un problème. Il faut juste se rappeler que ce qu'on fait tous, ce n'est qu'une voix. Elle est peut-être singulière, mais on n'a qu'une voix chacun. On n'empêche personne d'écrire. Ce qui m'interpelle dans cette affaire-là, j'ai l'impression que les écrivains sont beaucoup plus scrutés que les hommes politiques. C'est cela qui est extrêmement gênant. Quand Kamel Daoud parle ou écrit, on a l'impression qu'il y a 40 millions d'individus qui attendent qu'il se plante ou qu'il se passe quelque chose. Il y a une espèce d'attente autour des écrivains, qui est incroyable et qui n'est pas normale. Un écrivain n'est pas là pour représenter son pays. Ce n'est pas un VIP ni un cadre du ministère du Tourisme. Quand un écrivain parle, il le dit à titre individuel, c'est ma vision à moi. On ne dit jamais d'un écrivain français qu'il donne une vision générale de la France. On sait qu'il est dans l'individualité et ça, on ne l'a pas encore. Il faut vraiment se battre là-dessus.