�Un amoureux des livres� Le Soir d�Alg�rie : Comment avez-vous d�couvert Edmond Charlot ? Quand je suis arriv� � Alger pendant l��t� de 1942, c�est sur les conseils de Max Pol Fouchet, qui dirigeait la revue Fontaine, que je suis all� voir Edmond Charlot dans sa minuscule librairie �Les Vraies Richesses�, rue Charras. Je ne le connaissais que pour avoir achet� une mince plaquette de Jean Giono, Rondeur des jours, qu�il avait publi�e. Je devais vite apprendre le r�le qu�il avait jou� dans les d�buts litt�raires d�Albert Camus. Mais le jeune homme de vingt ans que j��tais et qui avait commenc� � �crire, allait vite trouver en Edmond Charlot et son entourage d�amicaux encouragements. Quelle est sa place en tant qu��diteur dans la passerelle entre la M�tropole et l'Alg�rie de l'�poque ? Malgr� sa r�putation de premier �diteur de Camus, il faut reconna�tre que la M�tropole n�accordait pas � Edmond Charlot l�attention et la place qu�il m�ritait. Il �tait en quelque sorte encore consid�r� comme un petit libraire �diteur local. Ou peu s�en fallait. Paris envoyait volontiers � Alger de distingu�s conf�renciers, mais se souciait peu de la jeune litt�rature qui commen�ait � fleurir sur l�autre rive de la M�diterran�e. Charlot est un �diteur qui a publi� de grands auteurs comme Camus, Roy, etc. Pour quelles raisons demeure-t-il peu connu aujourd'hui ? A partir de novembre 1942, apr�s le d�barquement am�ricain, Charlot est devenu aussit�t l��diteur de la France en guerre. Mais la France ne le saura qu�� la Lib�ration. Le catalogue �Edmond Charlot �diteur�, �tabli par Michel Puche (Ed. Domens, 1995), est �loquent, tant par la quantit� que par la qualit� des auteurs fran�ais ou �trangers qui y figurent et qui ont acquis � leur �diteur une r�putation internationale. C�est pourquoi il �tait apparu comme un homme dangereux pour les �confr�res� qui se refaisaient une virginit�. Et les succ�s r�p�t�s qu�il obtint lorsqu�il s�est install� � Paris en 1945 n�arrang�rent pas les choses. On lui fit savoir qu�il �tait g�nant et il dut jeter les gants. Il revint donc � Alger. D�o� l�oubli dont vous parlez. M�me si finalement il a pass� davantage de temps en dehors d'Alger qu'� Alger m�me, son nom reste li� � cette ville. Pourquoi, selon vous ? Edmond Charlot est n� en 1915 dans une famille d�origine maltaise install�e en Alg�rie depuis 1830, et a v�cu � Alger jusqu�en 1969, sauf deux interm�des parisiens en 1945 et 1963. On ne peut donc pas dire qu�il a peu v�cu � Alger. Il est difficile de le dissocier de cette ville. Il y fut un grand �diteur, y r�v�la une pl�iade d��crivains aujourd�hui reconnus et fut des quelques-uns qui ont �uvr� pour le rayonnement d�une culture m�diterran�enne, comme le grand islamisant Emile Dermenghem, Gabriel Audisio, Emmanuel Robl�s et Albert Camus. Quels souvenirs gardez-vous de Charlot dans sa librairie Les Vraies Richesses ? J�ai senti, � ma premi�re visite, qu�il ne menait pas la litt�rature comme une affaire mais comme une aventure amoureuse. Il �tait vraiment amoureux des livres. Ce qui ne pouvait qu�attirer la sympathie et rassurer le jeune visiteur intimid� par la d�j� grande autorit� du personnage au regard vif, quoique chaleureux, derri�re ses lunettes. Et vite, je sus que je me sentirais bien dans cette minuscule cellule de moine-libraire. Je me souviens de ma derni�re visite � la librairie. J�allais partir pour l�Italie avec le corps exp�ditionnaire du g�n�ral Juin et j��tais venu dire au revoir, sinon adieu, � Edmond Charlot, en compagnie de mon ami Pierre Dubreucq. Nous avons achet� le livre de Jo� Bousquet, Traduit du silence. Ce livre a �t� retrouv� tach� de sang dans la musette de mon ami quand il fut d�chiquet� par un obus dans le ravin de l�Inferno. Je le poss�de encore, lourd de souvenirs. Vous �tes po�te. Charlot aurait-il un rapport particulier avec la po�sie, cette mal-aim�e de l'�dition ? Quand j�ai quitt� Alger en d�cembre 1943 pour rejoindre mon r�giment � Batna, et d�barquer � Naples, j�ai remis � Edmond Charlot une dizaine de po�mes que je ne voulais pas risquer de perdre dans la pagaille guerri�re. J�ai continu� � lui en envoyer de temps en temps. Lorsque je fus d�mobilis� en 1946, j�ai eu la surprise de recevoir d�Alger un colis de ma plaquette, Sur mon cheval, mon premier recueil �dit� par mon premier �diteur Edmond Charlot. Les po�tes n��taient pas chez lui des �mal-aim�s�. Il en a publi� une bonne trentaine et non des moindres, fran�ais ou non. Votre rencontre avec Charlot et ses amis de l'�poque a-t-elle eu une incidence sur votre perception de la litt�rature et de la po�sie ? Ce fut pour moi une rencontre capitale. J�ai pris conscience pour toujours que j�appartenais � la communaut� m�diterran�enne et que j��tais, comme Montaigne le disait pour lui-m�me, �n�cessairement homme, et fran�ais par hasard�. Barcelone, Alger, Naples, Marseille sont de ma famille plus que bien d�autres villes. Vos entretiens avec Edmond Charlot viennent de para�tre chez Domens, qu'est-ce qui motive ce travail ? Ces entretiens ont �t� effectu�s en 1987 pour la revue Impressions du Sud, aujourd�hui disparue. Je venais de retrouver Edmond Charlot d�sormais ancr� � P�zenas, et j�estimais qu�il ne fallait pas que son nom et son �uvre s�enlisent dans l�oubli. Il convenait de rendre justice � cet homme dont la modestie �tait le grand d�faut. En outre, je lui devais bien �a. Propos recueillis par Bachir Agour et Meriem Nour