Les préoccupations linguistiques et identitaires qui l'agitent perturbent les enfants et inquiètent leurs parents. Nouria Benghabrit se heurte chaque jour à une force antagonique qui se dresse contre la réforme qu'elle est en train de mener pour transformer, dans le fond et la forme, l'école algérienne. La ministre de l'Education est ainsi soupçonnée par une partie du corps enseignant, par certains syndicalistes et quelques groupes de pression, de vouloir occidentaliser l'institution. Cette «opposition» qui sacralise la langue du Coran et ne conçoit pas le savoir sans ancrage religieux, se définit comme un comité de défense de l'identité et des valeurs nationales. Pour elle, l'Algérie est une terre exclusivement arabe et musulmane convoitée par des courants malveillants soumis à des puissances étrangères qui veulent la dénaturer. Evidemment, selon cette approche, la France orchestre cette offensive à travers de supposés pions francophiles nostalgiques de la colonisation. La langue française serait, si l'on croit ce son de cloche, le premier vecteur de l'infestation. Or, sans le français, l'Algérie cesserait ipso facto de fonctionner. Cette langue qui a dominé le monde durant des siècles est aussi le principal véhicule de communication dans la gestion du pays. Pratiquement toutes les administrations liée à une activité économique l'utilisent pour la rédaction de leurs écrits professionnels. Lors de la récente université d'été du Forum des chefs d'entreprise, par exemple, le Premier ministre, les autres responsables ainsi que les patrons l'avaient adoptée pour exprimer naturellement et sans complexes leurs points de vus. S'ils avaient parlé en arabe, la plupart des participants auraient probablement réclamé des interprètes pour suivre les débats. Pour un motif ou un autre, la langue de Antar Ibnou Chaddad n'a pas réussi à sortir des manuels et des classes pour s'imposer dans la vie réelle et active. D'ailleurs, les jeunes diplômés qui ont accompli toute leur scolarité en arabe ne parviennent pas à poursuivre leur cursus universitaire dans la plupart des filières techniques s'ils ne possèdent pas le français. Et s'ils ont la chance de trouver un emploi, une fois en poste, ils seront obligés de rédiger leurs rapports, leurs compte rendus et leurs divers documents administratifs dans la langue de Voltaire. Devant un tel effort qui peut s'avérer décourageant, la majorité d'entre eux se rabat sur ce qu'on appelle «les modèles», c'est-à-dire les correspondances des prédécesseurs. Copiés maladroitement, les textes qu'ils inspirent accumulent, au bout de quelques années, les erreurs jusqu'à devenir abscons et parfois indéchiffrables au lieu d'être des outils d'aide à la prise de décision. Cette situation qui frise la schizophrénie crée un profond malaise chez tous les cadres algériens et se répercute négativement sur la conduite des affaires des entreprises. Il est indéniable que le pays n'est pas prêt d'arabiser totalement son système économique. Des tentatives ont été menées ici et là mais elles ont toutes échoué. Dans les pays du Moyen-Orient, c'est l'anglais qui est de mise. Une ville comme Dubaï ne peut fonctionner sans lui puisque tous les professionnels l'utilisent dans le cadre de leur travail. En Algérie, beaucoup de voix réclament elles aussi de tuer Molière et le remplacer par Shakespeare. Toutefois, la rareté des enseignants, des ouvrages, mais aussi l'incompatibilité des habitudes culturelles avec la sphère anglo-saxonne empêchent de sauter rapidement le pas. Il faudra attendre longtemps pour que la maîtrise de cette langue et des valeurs qu'elle véhicule soient aisées. Les Algériens ont plus de proximité avec le français pour des raisons historiques et géographiques. Celui-ci cède certes du terrain à l'anglais à l'échelle de la planète, mais garde une grande autorité en matière de sciences, de techniques et de culture. Ce «butin de guerre», comme l'avait surnommé feu KatebYacine, permet une ouverture sur le monde que ne donne pas encore l'arabe. Grâce à la traduction qui constitue une véritable industrie en France et dans la francophonie, les plus récentes publications et oeuvres audiovisuelles sont rapidement accessibles au public. L'Algérie pour sa part traduit peu. Elle dépend du Moyen-Orient et particulièrement de l'Egypte pour approvisionner ses bibliothèques et ses librairies en ouvrages. Mais la qualité de ces travaux est souvent de médiocre facture en qualité et en quantité. La logique voudrait que les élèves du pays, de l'école primaire à l'université, maîtrisent une langue occidentale pour s'ouvrir sur le monde. Et c'est justement cette option qui inquiète les tenants de l'enseignement exclusif en arabe. Ils savent, par intuition ou en connaissance de cause, que langue et pensée sont étroitement liées. Un cerveau éduqué en français, en anglais ou en chinois raisonne différemment de celui façonné uniquement par l'arabe. Cet enjeu tend les rapports entre les deux visions du monde irréconciliables en concurrence pour le contrôle des orientations linguistiques, pédagogiques et idéologiques dans lesquelles doivent être formés les potaches algériens. Universalité, tolérance, ouverture, raisonnement logique, sens critique ou protectionnisme culturel, peur de l'influence étrangère, conservatisme et atavisme sont les termes de l'équation que doit résoudre l'école si elle veut produire l'élite de demain. Pour l'instant, les considérations politiques l'emportent largement sur les soucis éducatifs. Une empoignade qui perturbe les esprits des enfants et préoccupe les parents. Benghabrit à l'Ecole internationale de l'Algérie de Paris «L'enseignant est libre dans l'exercice de son métier» La ministre de l'Education nationale, Nouria Benghabrit, a effectué hier, une visite de travail à l'Ecole internationale de l'Algérie Malek-Bennabi de Paris où elle a présidé une séance de travail avec les responsables et des enseignants. L'Ecole internationale de l'Algérie, dirigée actuellement par Messaci Nadia, a ouvert ses portes en octobre 2001. L'enseignement y est dispensé dans le cadre des accords algéro-français et les diplômes auxquels il aboutit, brevet et baccalauréat notamment, sont reconnus par l'enseignement français et l'enseignement algérien. Lors de cette visite, la ministre a informé l'assistance de la réalisation d'un document audiovisuel (DVD) contenant le programme, le guide d'utilisation du livre scolaire. Elle a relevé que la situation de l'école, sur le plan matériel et technique, s'est nettement améliorée et il en est de même sur le plan des résultats scolaires. La ministre qui est revenue sur la liberté donnée à l'enseignant dans l'exercice de son métier. «Nous avons insisté durant cette rencontre sur la liberté octroyée à l'enseignant dans l'exercice de son métier. Même si on se réfère, en matière pédagogique, à l'approche par les compétences, c'est à l'enseignant, dans sa classe, d'exploiter plusieurs approches sur le plan du contenu et des objectifs», a-t-elle précisé. Elle a noté que l'essentiel pour son département est «d'atteindre les objectifs arrêtés au niveau de l'Education nationale, estimant que l'enseignant, sans la liberté d'exercer son métier en classe, n'est pas un enseignant». .