De l'antique Dhya, surnommée par ses adversaires la Kahina, à la contemporaine Toumia Laribi, surnommée par ses frères Baya El Kahla, les femmes algériennes ont toujours formé une citadelle pour défendre le pays. En politique, cependant, elles se contentent d'une place discrète, effacée. La perte, cette semaine, de Toumia Laribi connue sous le nom de guerre de Baya El Kahla, elle qui mérite plutôt l'attribut de «El Fahla» (la Brave), nous rappelle combien les femmes d'ici sont valeureuses. Cette résistante issue d'une famille aisée d'Alger dont le père est mort en déportation en Guyane et l'oncle feu Mohamed Khider, militant nationaliste de la première heure, a payé, elle aussi de sa personne, pour l'indépendance de l'Algérie. Elle a obéi à l'instinct protecteur des Algériennes qui s'exprime avec courage à chaque fois que le pays est en danger. Dhya, fadhma N'soumer, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Zohra Drif, Djouher Akrour, Louisette Ighil Ahriz, Fettouma Ouzeguène, Akila Ouared, Zhor Zerari, Ourida Meddad, la liste des héroïnes est longue. On peut même lui adjoindre le nom d'El Alia, la femme qui, en 1928 donc sous l'occupation, avait fait don de ses terres pour créer le cimetière musulman où se trouve depuis l'indépendance le carré des Martyrs. Mais aujourd'hui, en politique, les femmes ne sont plus considérées que comme un faire-valoir, voire parfois une obligation de la loi électorale. Aucun parti, même celui que dirige la pasionaria Louisa Hanoune ne prend en charge, ou alors à demi-mot, leurs revendications spécifiques. Les programmes des candidats se limitent à des généralités sur leurs droits, mais les questions féminines de fond demeurent occultées, pour ne pas dire taboues. Etre féministe équivaut même à une condamnation de déviance qui fait perdre des voix. La parité dans le travail, l'égalité devant l'héritage, le harcèlement, l'épanouissement personnel, le mariage, le célibat et d'autres fardeaux qui briment l'Algérienne sont tus comme s'il s'agissait de sujets honteux. Le matraquage du discours patriarcal a même fini par convaincre une majorité d'entre elles que tout changement de leur statut risquerait de bouleverser dangereusement les équilibres sociaux. Alors elles se résignent à reproduire le discours dominant sous la menaçante perspective de rester célibataires si elles ne se soumettaient pas à cette logique. Nous sommes donc devant un problème politique enveloppé dans un parement idéologique qui culpabilise les femmes et les convainc de leur infériorité. Il est vrai qu'elles sont nombreuses celles qui ont embrassé des carrières publiques. Elles sont ministres, députées, élues locales, chefs de partis et d'associations. Toutefois, on les sent tourner leur langue sept fois dans leur bouche pour ne pas prononcer les mots qui fâchent ou qui sortent, un tant soit peut, des grands boulevards rhétoriques. Les jeunes Algériennes ont pourtant conquis des places importantes dans les systèmes économique et administratif. Certaines dirigent des sociétés, des laboratoires de recherche, des institutions; d'autres sont magistrats, journalistes de terrain ou même officiers supérieurs de l'armée. Néanmoins, en politique leur poids demeure insignifiant. Elles se contentent souvent, en contrepartie de compliments démagogiques lors de telle ou telle célébration, de rester à l'ombre d'hommes supposés «providentiels» et pénétrés par la mission sublime de conduire le destin du pays. Aussi, personne ne sait vraiment ce qui bout dans la tête de la deuxième moitié de la population. Car il est certain qu'elles sont en train de mener une révolution tranquille et qu'elles finiront tôt ou tard de rejeter l'ordre qui les confine au rôle de faiseuses d'enfants ou de gardiennes de la moralité nationale. Cette année encore, les collégiennes et les lycéennes ont battu à plate couture leurs camarades mâles dans toutes les épreuves scolaires. A l'université et dans tout l'enseignement supérieur, elles travaillent d'arrache-pied pour gagner des galons. Et comme la société ne leur permet pas d'envisager l'exil sans un tuteur, elles s'acharnent à prendre leur place ici. Cet effort finira, sans aucun doute, de renverser l'échiquier politique car la nature ayant horreur du vide, bientôt nous verrons éclore les bourgeons du féminisme algérien. Même l'Arabie saoudite cède devant la pression de ses femmes qui réclament le droit de vivre leur vie en 2017 et non durant la période antéislamique. L'Algérie, pays révolutionnaire par excellence, ne saurait donc garder, là aussi, la queue du peloton.