Mohammed ben Salmane al-Saoud Déjà, le coup de couteau porté à l'ordre de succession, établi par les deux branches de la famille régnante, au profit du fils du roi Salmane n'a sans doute pas suscité l'enthousiasme des membres de la branche spoliée. C'est un véritable séisme qui a frappé samedi soir la monarchie saoudienne, lorsque des dizaines de princes, de ministres et d'hommes d'affaires ont été arrêtés à la faveur d'une opération anti-corruption que les autorités ont voulu «décisive» tandis que le jeune prince héritier Mohammed ben Salmane en sort principalement renforcé dans la course à la succession. Peut-on en effet donner un quelconque crédit à cette purge censée refléter un souci de lutte sans merci contre la corruption, juste après l'installation d'une commission chargée de cette affaire? La précipitation et la dimension avec lesquelles a été organisée la «riposte» incitent plutôt à une autre analyse, celle d'une guerre des clans entre les partisans d'un royaume saoudien fidèle à sa doctrine wahabite, c'est à dire rigoriste et immuable, et ceux incarnés par le prince héritier Mohamed ben Salmane qui entend tout révolutionner, à commencer par les moeurs! Déjà, le coup de couteau porté à l'ordre de succession établi par les deux branches de la famille régnante au profit du jeune fils du roi n'a sans doute pas suscité l'enthousiasme des membres de la branche spoliée. Quand à cela s'ajoutent des mesures et des ambitions qui mettent en péril les attributs et les privilèges d'une cour trop longtemps habituée à la sérénité des règnes qui se suivent et se ressemblent tous, nul doute qu'il y a péril en la demeure. Un péril qui ne pouvait pas ne pas contraindre à réagir les tenants d'un statu quo ante, quitte à le faire dans l'improvisation et la brutalité. C'est apparemment ce qui s'est passé et qui a conduit le prince héritier et son clan à brusquer les choses, frappant avec une rapidité et un sang-froid surprenants le clan rival au point...de le décapiter. D'où le qualificatif de cette opération «décisive» qui permet au jeune prince héritier Mohammed ben Salmane de conforter pour longtemps, très longtemps, son emprise sur le pouvoir. Pensant des décennies, les rois se sont succédés au crépuscule de leur âge, pour cinq tout au plus. Mohammed ben Salmane va inaugurer une ère nouvelle qui le verra régner pendant une cinquantaine d'années! Son ambitieux programme de réformes n'en sera que mieux diligenté au lendemain de cette purge spectaculaire grâce à laquelle il aura décapité toutes les forces hostiles ou contestataires. De fait, 11 princes du premier banc parmi lesquelles le célèbre milliardaire Al-Walid ben Talal ont été appréhendés, juste après la mise en place d'une nouvelle commission anti -corruption présidée par le prince héritier, conformément à un décret royal. Autres figures de premier plan, Metab ben Abdallah, chef de la puissante Garde nationale saoudienne, un temps considéré comme prétendant au trône, ainsi que le chef de la Marine, Abdallah Al-Sultan et le ministre de l'Economie, Adel Fakih, ont fait l'objet d'un limogeage expéditif qui obéit aux motivations de cette purge sans précédent. Plusieurs sources indiquent que tous ces «dissidents» critiquaient presque ouvertement la politique étrangère du prince héritier, notamment vis-à-vis du Qatar, et les réformes qu'il imposait comme la privatisation des entreprises publiques dont Aramco ou la réduction des subventions de l'Etat. D'où la mesure qui a consisté à maintenir au sol tous les vols privés à Djeddah pour empêcher des fuites éventuelles suite aux arrestations d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'Arabie saoudite. Cette vaste purge a eu lieu moins de deux semaines après une intervention choc du prince héritier, surnommé MBS, à un forum économique d'investisseurs, le 24 octobre, à Riyadh, où il a promis une nouvelle Arabie «modérée, ouverte et tolérante», en rupture avec l'image d'un pays longtemps considéré comme l'exportateur du wahhabisme, version rigoriste de l'islam qui a généré de nombreux groupes terroristes dans le monde. Or, un prince saoudien a besoin du soutien de trois sources de pouvoir pour devenir roi. Par ordre d'importance, celles-ci sont les Etats-Unis, la famille royale et le clergé, bien que ce dernier constitue un acteur de moindre importance. L'éviction du prince héritier Moukrine par le roi Salmane qui a nommé à ce poste son neveu ben Nayef avant de le remplacer par son propre fils Mohamed, inconnu jusque-là, obéit à un opéra en trois actes dont nous ne saurons les vérités entières que dans plusieurs mois, au mieux. Et aujourd'hui, la question se pose de savoir si Mohammed ben Salmane sera le roi Soleil de l'Arabie saoudite ou seulement son Gorbatchev!