Les diverses informations, qui courent sur les bandes armées dans la région, souvent grossies, ajoutent leur pesant de peur et d'angoisse. La wilaya de Tizi Ouzou renferme plusieurs forêts et massifs de grande importance. La vie des habitants semble rythmée par l'angoisse qui saisit les gens dès la tombée de la nuit. Sur le CW128 et le CW147 traversant la région de Maâtkas et la forêt de Boumahni, bordant plusieurs villages des communes d'Aïn Zaouïa et d'Aït Yahia Moussa, l'atmosphère est pesante. A partir d'une certaine heure de la soirée, emprunter ces voies de communication est déconseillé aux voyageurs. Boumahni devient une zone des plus difficiles. Les forces de l'ordre se sont, certes, installées aussi bien sur le CW128, tant au niveau du Pont noir qu'au niveau du carrefour entre le CW128 et la RN25, alors que sur le CW147, ce sont les postes de la garde communale de Souk El Tnine et la Bmpj de Souk El Khemis, sans compter les GLD installés dans les villages. Cependant, et en dépit de la peur, les gens se secouent en somme pour faire face, avec leurs moyens, à la situation souvent délétère. Les diverses informations qui courent sur les bandes armées dans la région, souvent grossies, ajoutent leur pesant de peur et d'angoisse. Une virée dans cette région, pour retracer la réalité vécue par ces villages et hameaux de cette partie de la wilaya de Tizi Ouzou, s'impose. Virée à Maâtkas Arriver en cette région est des plus simples. En effet, Maâtkas est bien desservie par les fourgons de transport. Quand on prend les fourgons assurant la ligne Tizi Ouzou-Souk El Tnine, il est conseillé de descendre d'abord au chef-lieu de daïra, Souk El Khemis, avant de poursuivre vers la commune voisine, Souk El Tnine, une petite ville qui s'essaie à s'étendre difficilement. Sur place, les cafés sont pleins. La foule grouillante est affairée à ses emplettes. Les villageois, nombreux, attendent à l'arrêt un fourgon de transport pour descendre à Tizi Ouzou. Venus des villages et hameaux de la commune, les citoyens se livrent difficilement. Certes, on peut facilement prendre le pouls de la région en discutant avec ces gens, mais il est conseillé de se faire accompagner par un gars du cru. La prudence s'impose. Il faut mettre les gens à l'aise en leur faisant comprendre qu'en se confiant, ils ne risquent rien. Ahmed, la quarantaine environ, originaire du village Tizi Tzougart, aux confins ouest de la commune, livre ses peurs. Ahmed se raconte et raconte le chômage qui, dit-il, «tue à petit feu» et cette angoisse dans les villages excentrés où la nuit, «...personne n'est là pour nous défendre, et le village comme le chapelet d'autres villages et hameaux de la région, a peur» Ahmed certifie que «pour le moment, cette peur et cette angoisse sont surtout dues aux rumeurs qui circulent». Pressé de questions, Ahmed avouera que «les terroristes sont surtout signalés du côté de Boumahni et, de temps à autre, sur le CW128 et le CW147. C'est là que les éléments armés essaient, en l'absence des forces de l'ordre, de faire leurs mauvais coups». Et son compagnon, qui écoutait depuis un instant sans rien dire, intervient: «Vous savez, les terroristes sont, en fait, des lâches, ils ont peur dès qu'on montre les dents», et de raconter que du côté de Boumahni, des villages, grâce au courage des habitants, ont fait fuir des terroristes qui étaient venus les racketter. Les deux amis reviennent également sur ce qui se passe dans certains villages et hameaux excentrés de la commune. C'est ainsi que, sans citer ces villages, «pour ne pas attirer sur eux la colère et les foudres des terroristes, des groupuscules sont visibles dès la tombée du soir et en certains jours, passent à la lisère du village pour se rendre certainement vers quelque lieu pour commettre leurs sales besognes». Pour Ahmed, «ces groupuscules seraient venus d'ailleurs. Ils ne parlent pas le kabyle et semblent ne pas connaître la région. Ce qui laisse supposer une certaine complicité.» A propos de son village, Ahmed dira que le comité a pris les choses en mains. «Les allées et venues, notamment des étrangers au village, sont surveillées, et touchons du bois, à ce jour, on ne signale aucun passage de terroristes chez nous». Mais il s'est passé des choses sur le CW128, finalement très proche du village. A Souk El Tnine, Slimane, éternel chômeur, souligne: «Vous savez, ici, à part les petits travaux chez les gens qui, de temps à autre, construisent, c'est le calme plat. Regardez autour de vous, sur dix jeunes, seuls deux ou trois travaillent et encore!» Après avoir vidé son coeur sur le chômage et l'économie de la petite commune qui frise le ridicule, comme il le souligne, Slimane note que la plupart des gens qui ont de l'argent ou du moins réputés en avoir, comme les entrepreneurs, ont quitté les lieux «pour se réfugier qui à Tizi Ouzou, qui à Alger et certains sont même partis en France. Ici, les rapts, enlèvements et autres kidnappings ont fait le vide». Slimane raconte la peur et l'angoisse. «Nous sommes si près d'Amjoudh, et là, ce sont, semble-t-il, des groupuscules terroristes qui s'y réfugient quand les forces de l'ordre quittent les lieux.» Chemin faisant, les villages voisins, bordant la forêt de Boumahni dont on entend parler depuis quelque temps, apparaissent. Slimane nous accompagne. «J'ai de la famille là-bas, ce sera l'occasion de leur rendre visite et en cette belle journée, cela vaut le déplacement.» Boumahni, un paysage fabuleux et une angoisse à couper au couteau Sur la route serpentant les villages et hameaux de Berkoukas à partir de Souk El Tnine, le paysage est fabuleux. Au bout d'une heure environ de route, une piste bitumée et par endroits très mal en point, donne sur le CW128, au lieudit Si Ouali, du côté de l'ex-gare Maâtkas. L'endroit, sans être désert est assez sinistre. A Kantidja, on emprunte une autre piste bitumée qui traverse les villages de Ikouvaene et Tizi Ameur. Plus loin, c'est le hameau d'Igharbiène, très proche de l'immense forêt de Boumahni et Aït Saïd ou M'hamed, un hameau qui a, dit-on, écrit sa page de gloire durant la lutte de Libération nationale. Les lieux, sans être trop riches, respirent l'aisance. La majeure partie des gens de ces villages est constituée d'émigrés. Les constructions renseignent de la chose. Grâce à la présence de Slimane, les gens se livrent. Chaque parole vaut son pesant d'or. Ammi Moh, ancien immigré, explique: «Nous sommes toujours dans la continuité des Maâtkas, car les gens sont tous venus dans les temps anciens des villages de cette commune qui nous fait face. Aujourd'hui, les gens disent Boumahni ou encore Aïn Zaouïa». Slimane dévoile l'objet de notre présence et ammi Moh de nous inviter chez lui. «On parlera plus à l'aise», dira-t-il. Dans sa demeure belle et sobre, il nous explique comment le village vit la période actuelle: «En somme, dès qu'un étranger se pointe au village on est informés au comité et on décide de le suivre de loin; s'il est suspect, on prend des dispositions.» Ammi Moh ne veut rien dire de plus. Pressé pour nous dire quel genre de dispositions, il réplique «les dispositions qu'il faut». Le vieux raconte les passages des groupuscules auparavant, souvent en plein village et aussi leurs intentions avérées de racketter les villageois. Il semble que cette histoire de village, qui a affronté à mains nues un groupe terroriste venu les racketter est réelle. «Il ne faut pas raconter cela dans votre journal, laissez les gens faire leur travail.» Ammi Moh reprend la parole: «Si vous voulez rendre service aux gens de cette région, parlez un peu de ces bars à ciel ouvert qui sont installés tout le long de la rivière avec des femmes de mauvaise vie. En plus, cela gêne considérablement les familles qui ne peuvent ainsi travailler leurs champs.» En fait, le vieil homme ne semble pas au courant; depuis quelques jours, les forces de sécurité ont nettoyé ces endroits. Dehors, Essaïd qui tient une épicerie au village, a une dent contre «ces terroristes qui veulent faire régner la peur et l'angoisse». Le coeur gros, Essaïd en veut à tout le monde, notamment à ces gens qui fermaient les yeux au passage des terroristes sous prétexte que «ce n'est pas notre problème. Pourvu qu'ils nous laissent en paix». Mais les choses ont changé depuis que les terroristes ont voulu racketter le village. Il a fallu du courage aux jeunes villageois pour repousser l'incursion. Des gens du village ayant rejoint le groupe voulaient tous témoigner, l'un affirme que «les terroristes sont encore au lieudit El Mina, en plein milieu du massif forestier». Un autre soutient que l'armée les a traqués et ils ne seraient plus là, mais des groupuscules passent encore. Bref, chacun y va de son antienne. Tous affirment qu'en définitive, la forêt n'est plus aussi «crainte» qu'avant. Et que sur le CW128 en contrebas, cette route qui serpente le long de l'oued et qui a fait parler d'elle, n'est pas ce coupe-gorge que l'on dit. «Certes, il arrive encore que des actes terroristes soient signalés, mais les forces de l'ordre, qui sont là, veillent et rien que par leur présence, les gens n'ont plus peur. Et ce n'est pas parce que des éléments armés essaient de faire peur, que la vie doit s'arrêter.» Le soir tombe sur les lieux. La région se nimbe d'azur et de noir. Féerique spectacle qu'il faudra quitter car le chemin jusqu'à Tizi Ouzou est assez long et le CW128 a une certaine réputation.