Tutoyeurs de la faim, compagne de tous les jours, des pères de famille ne savent plus où donner de la tête pour sustenter leurs enfants. Sacrés damnés de la terre! Que mange l'Algérien? La question peut paraître incongrue, déplacée, voire même inconvenante. Pourtant, dans l'Algérie de 2008, des familles crient famine. Dans les hameaux et villages, la misère, avilissant les hommes tant ceux qui souffrent de la faim que ceux qui la regardent comme spectacle, règne. Ainsi, et pour ne blesser personne, on ne citera aucun village et on changera les noms par respect à l'homme et aux familles. 8h. La famille des Lemenouar n'a droit, en guise de café au lait, qu'à un breuvage fait d'herbe sauvage, récoltée la veille par la mère de famille. Un peu d'eau chaude colorée d'un brin de thym sauvage, le tout accompagné d'un peu de galette. Comme petit déjeuner, c'est tout ce à quoi ont droit les enfants. La mère comprend le regard et déclare: «Oui, je n'ai pas assez d'argent pour acheter le café, il fait 140 à 150 DA le paquet et pour le lait, c'est un peu trop demander. Non seulement, il faut aller à l'épicerie en haut du village, mais il faut aussi avoir 25 DA et souvent 80 DA pour le sachet, ici ce n'est pas la ville.» Pour le repas de midi, la maman semble ne pas éprouver trop de difficultés «la pomme de terre est abordable, il est vrai que l'huile coûte les yeux de la tête mais on essaie de s'arranger. Et puis il y a ces quelques poules qui me sont d'un grand secours. Il reste que le pain est cher, la semoule est à 1000 DA le sac de 25 kg!» La maisonnée, une fois le frugal petit déjeuner expédié et les travaux du ménage achevés s'apprête, à partir aux champs. En cette période caniculaire, enfants et parents sont obligés d'aller ramasser le bois mort, ensuite penser à l'eau et essayer de trouver des herbes comestibles pour «changer le menu» précise, en souriant, le père de famille. «Vous savez, je ne perçois que 12.000 DA par mois et encore je m'estime heureux car d'autres n'ont rien. En gérant bien ce budget, on peut assurer l'essentiel. Mais dès qu'il y a une fête ou une occasion quelconque comme la rentrée des classes, c'est l'enfer» affirme-t-il. Autre village, autre famille, mais même galère. Chez les Arezki, le père est un pensionné «mais pas en euros», précise-t-il. Le vieux Sadek affirme percevoir une pension de 7000 DA mensuellement et avec cela, il lui faut faire vivre huit personnes «les enfants ne travaillent pas et l'une de mes filles est divorcée avec deux enfants, ils sont à ma charge». Heureusement pour cette famille, il y a un lopin de terre, mais comment produire des légumes sans eau? Un peu de pomme de terre, de l'ail, quelques oignons en hiver et tirez le rideau. Ammi Sadek nous invite à prendre un café: «C'est exceptionnel ces jours-ci, on a acheté du café et du sucre car souvent, c'est la tisane qui est notre breuvage.» Pendant que l'on prend le café, la mère raconte comment elle prépare à manger pour la famille, un génie en matière de débrouillardise. La semoule est chère aussi, le vieux Sadek se rabat sur la semoule de blé et souvent d'orge. «C'est bon pour la santé», plaisante-t-il. La pomme de terre, ces temps-ci, est abordable, il reste quelques oignons du jardin, les poules sont là pour les oeufs et vogue la galère! La table n'est pas riche mais, à midi, tout le monde trouve des frites, des oeufs et aussi une salade de tomates, commente la mère. On prend ainsi durement contact avec la réalité villageoise. On pensait que les familles, même les plus pauvres se nourrissaient de couscous, et on a appris que ce plat est exceptionnel car la semoule coûte cher. Ammi Ahmed, l'épicier du village, déplore cet état de fait: «Mes clients sont pauvres, rares ceux qui ont des revenus et lorsqu'ils existent, ils sont bien en-deçà de la moyenne. Des gens végètent plus qu'ils ne vivent et souvent, il y a des familles pour qui le nécessaire est quasiment inabordable. J'essaie d'aider selon mes moyens, mais moi aussi je ne roule pas sur l'or, bien au contraire.» On regarde la pauvre épicerie: quelques boîtes d'allumettes, deux paquets de bougies, quelques kilos de sucre...bref, ce ne sont pas les Galeries Lafayette. Les prix, cependant, sont quasiment les mêmes que ceux pratiqués en ville: café 140 DA, sucre cristallisé, 65 DA, lentilles, 90 DA, pâtes, 35 DA le paquet, haricots blancs, 110 DA, riz, 90 DA. L'huile n'est pas vendue, car, en principe, les paysans se rabattent sur les réserves d'huile d'olive. Pour les légumes, il faut descendre en ville, au marché mais cela est le lot des plus nantis. Cependant, il arrive que les paysans achètent des tomates et aussi des haricots verts à un prix abordable et avec ces légumes, on fait bombance. Ainsi, beaucoup d'Algériens ne mangent pas à leur faim, d'autres mangent mal, très mal.