Le film est un récit autobiographique de l'écrivain Mohamed Choukri. Au moment où certains cinéastes du monde excellent dans les visions futuristes, d'autres s'intéressent aux choses élémentaires de la vie. Et c'est à juste titre, car les petites choses viennent toujours à bout des grandes. Confiant en cet adage, le réalisateur algérien Rachid Benhadj se lance dans l'aventure, qui peut être la plus périlleuse. Et oui, car adapter au cinéma un roman d'une telle envergure que celle du Pain nu de l'écrivain marocain, Mohamed Choukri, n'est pas une sinécure. Rachid Benhadj l'a fait. Le film a été projeté en avant-première, avant-hier, à la salle Ibn Zeydoun, à Alger. Du début jusqu'à la fin de Le Pain nu, nous nous engouffrons inexorablement dans les entrailles de la misère. En l'espace d'une heure trente-six minutes (1h36), le réalisateur a fait le tour du roman. C'est aussi un «voyage astral» dans la vie houleuse de Mohamed Choukri. Et justement,le film (une coproduction algéro-franco-italienne) est un récit autobiographique de ce dernier. Issu d'une famille pauvre, une lie dans le calice de Dieu, Mohamed (Fayçal Zegoudi) doit affronter à la fois la faim qui lui ronge les entrailles, le regard impuissant de sa mère (Sana Aloui) et l'autoritarisme sans bornes de son père. De ce dernier, Mohamed garde toute la haine viscérale qu'un enfant peut vouer à un géniteur impitoyable. Il l'abhorre parce qu'il le bat sans cesse. Parce que âgé à peine de dix ans, il le voit tuer son petit frère alors qu'il tentait d'étouffer ses cris. Et enfin, le comble, parce qu'il assiste, en direct, quand ce père renverse la mère sur le lit pour satisfaire sa libido. Cela a contribué à développer en lui la haine du père. Le complexe d'oedipe ne s'est jamais estompé, ni même refoulé. Puisqu'il le poursuivra manifestement durant toute sa vie. D'autre part, ce père a accompli un double assassinat. Tout d'abord, il a tué en son fils l'amour filial. Ensuite il a sacrifié une enfance sur l'autel de la misère. Il l'embauche dans un bar, alors qu'il vient tout juste d'entamer le virage le plus dangereux de la vie: l'adolescence. Là, Mohamed commence sa descente aux enfers. Bienvenue la débauche. Entre deux verres de vin servis à la clientèle, il prend une bouffée de kif par-ci, une gorgée de «sang du lion» par-là. Et de temps à autre, d'un trou pratiqué dans la porte donnant sur la maison du patron, il s'enivre en contemplant la poitrine opulente de la fille du boss. Cela a fait naître en lui les fantasmes les plus fous. Des fantasmes qu'il va éteindre en scalpant le Mohican dans les salles de cinéma. Ainsi, la vie ne peut être que ce qu'elle est. Pour calmer sa faim, la mère de tous les vices, Mohamed erre d'une décharge publique à une autre. Et lorsqu'il lui arrive de gagner quelques sous, il les dépense dans les maisons closes. Et c'est en sortant de l'un de ces lieux de débauche qu'il sera arrêté par la police coloniale. Il sera conduit tout droit en prison. Là, il rencontre Marwani, un activiste politique, qui lui apprend à lire et à écrire. Cela se passe à l'âge de vingt ans. Cela paraît invraisemblable, pourtant c'est la vérité. En outre, loin de cette approche sociale, le film Le pain nu, traite d'une époque où le Maroc tentait tant bien que mal d'accaparer son indépendance et rétablir la monarchie. Le film survole également l'époque où les troubles s'aggravèrent dans le royaume chérifien. Lesquels troubles conduiront à l'indépendance du pays qui sera proclamée au mois de mars de l'an 1956. Le film Le pain nu est poignant et touchant. Les séquences, montrant Mohamed Choukri, enfant, mordu par la faim, en train de laper du lait sur le pavé, donnent la chair de poule. En sus, d'autres scènes de violence donnent une idée sur l'effet que peut produire la misère sur l'éducation de l'enfant. Par ailleurs, ce qui a donné plus de force et plus d'effet au film, c'est l'accompagnement musical effectué par Safi Boutella. «Plusieurs cinéastes ont caressé l'espoir d'adapter ce roman, mais cela leur a été impossible, parce qu'ils ne disposaient pas des droits d'auteur» a indiqué le réalisateur Rachid Benhadj. Ce dernier a déclaré, en outre: «Si j'ai réussi à réaliser ce film, c'est parce que je suis arrivé au bon moment». C'est avec un émerveillement que Benhadj parle de la vie de Mohamed Choukri qu'il a rencontré en 2000. Ensemble, ils ont travaillé sur l'adoption du roman Le pain nu, sorti en 1972 chez les éditions le Seuil. «Malheureusement le film a vu le jour deux ans après le décès de cet écrivain polyglotte». Et oui, puisque Mohamed Choukri, deux fois nominé au prix Nobel, s'est éteint en 2003. Il convient de souligner enfin que le film sera projeté en sortie nationale à Casablanca (Maroc), la semaine prochaine. En Algérie, le grand public devra patienter encore quelque temps.