Le pain nu, film de Rachid Belhadj, adaptation du roman du même nom de l'écrivain marocain Mohamed Choukri, a été présenté, dimanche dernier, en avant-première mondiale à la salle Ibn Zeydoun à Alger. Cette projection s'est déroulée en présence de la ministre de la Culture ainsi que des principaux responsables des institutions du secteur. Rachid Belhadj, réalisateur algérien établi en Italie depuis une vingtaine d'années, signe ainsi la première adaptation cinématographique de l'œuvre d'un auteur considéré comme maudit. Mohamed Choukri, a écrit Le pain nu au début des années 1970, mais en raison de son caractère subversif, il a été interdit au Maroc. Le livre a vu le jour grâce au soutien d'autres auteurs. Tahar Benjelloune et Paul Bowles l'ont traduit en français et en anglais et fait éditer à l'étranger où il a eu sa consécration. Le film de Rachid Belhadj commence sur un enfant en haillons fouillant une poubelle coloniale dans les rues de Tanger en 1942. C'est Mohamed Choukri qui pêche un cadavre de poulet et l'emmène à son frère alité et affamé. Sur une musique de Safy Boutella, la distribution de cette production algéro-franco-italienne enrôle Saïd Taghmaoui, dans le rôle de Mohamed Choukri adulte, et l'actrice italienne Marzia Tedeschi dans celui de Hafsa, maîtresse au crâne rasé découverte dans un repère de contrebandiers. Le film de Rachid Belhadj colle au récit de l'auteur et épouse la force subversive de celui-ci. Tourné en 6 semaines au Maroc (Rabat) et en Italie, à quelques jours du décès Mohamed Choukri survenue en novembre 2003, Le pain nu est un film violent. Les scènes de sexe, distillées au gré de la vie de cet auteur, qui a connu la vie dans les maisons closes de Tanger et d'ailleurs, l'homosexualité, la violence des faubourgs et la contrebande, ont arraché quelques spectateurs de leur siège. La vie de l'auteur a été ainsi faite. Issu du Rif marocain, miséreux sous l'occupation, d'un père alcoolique et violent que Mohamed accuse d'avoir tué son petit frère, il est vite en proie à la rue, où il mène une vie de débauche noyée dans les vapeurs du kif et de l'alcool. Jusqu'au jour où il est jeté en prison. « Là, il découvre la véritable misère, raconte le réalisateur en présentant son film, celle de ne savoir ni lire ni écrire. » Rachid Belhadj interprète dans le film Marwan, militant nationaliste qui initie le jeune débauché à la magie de l'écriture sur les murs de la cellule. Mohamed Choukri découvre dans les deux premières lettres de l'alphabet arabe un nouveau père, et c'est au nom de celui-ci qu'il dénonce ceux qui lui ont volé sa jeunesse. Le lyrisme, qui tire son essence d'une réalité crue et violente, est soutenu jusqu'à la dernière minute du long métrage de 110 minutes. Edité pour la première fois au Maroc en 2001, le livre a été vite épuisé. L'accueil du film, dont la projection est prévue la semaine prochaine à Casablanca au Maroc, s'annonce de ce fait « viscérale, beaucoup plus travaillé qu'à Alger en raison de la notoriété de Choukri », pronostique le réalisateur, accoudé aux abords de la salle de projection. Expérience forte, il a été amené à travailler avec un auteur réputé pour son caractère complet. « Il est l'exemple type d'un Arabe nord-africain. Il est la preuve qu'il n'est jamais trop tard », dit-il à propos d'un nom de la littérature mondiale, analphabète jusqu'à l'âge de 21 ans. Plusieurs cinéastes étaient intéressés par la transposition du livre autobiographique sur pellicule. « Je suis tombé au bon moment », résume le réalisateur Rachid Belhadj. La diffusion du film en Algérie est encore au stade de la négociation, a indiqué le producteur italien Gabriele Andreoli, de A. E. Media Corporation.