Un jeu macabre qui prend de l'ampleur chez nous Il ne s'agit plus de faire dans les campagnes de sensibilisation, mais de lutter contre un «tueur en série» sans corps, ni visage, car l'incitation au suicide équivaut bien le meurtre. Cinquante défis à relever et le dernier: se donner la mort. Ce n'est pas une plaisanterie de mauvais goût, mais tout comme avec à la clé, la vie d'un enfant en jeu. Il s'agit effectivement d'un jeu. Morbide. Une distraction qui attire, comme un aimant, les enfants, fascinés par le mystère et doublement, par la mort. Ce jeu qui déferle sur l'Algérie a fait quatre victimes en un mois. Hier, deux lycéens: Faïrouz et Bilel, âgés de 15 ans et 16 ans, se sont suicidés, à Sidi Aïch dans la wilaya de Béjaïa. Il y a une semaine, un enfant de neuf ans s'est donné la mort par pendaison à Ain Oulmène au sud de Sétif. Le mois dernier, un autre enfant de 11 ans s'est suicidé à Salah Bey toujours dans la wilaya de Sétif. Tous les quatre avaient un point commun: ils jouaient à «Blue Whale» (Baleine bleue). A l'heure actuelle, le fait que le jeu soit la cause de ces suicides n'a pas encore été prouvé. Cependant, une coïncidence qui se répète n'en n'est plus une. Certes, ce sera à la police d'élucider le mystère qui est derrière le suicide des enfants. Il n'empêche que l'heure est à l'inquiétude. Quatre enfants qui se suicident en un mois, c'est alarmant. De surcroît, si ces disparitions tragiques sont liées à un jeu sur les réseaux sociaux! La question n'est pas d'affoler les parents, naturellement soucieux du bien-être de leurs enfants, mais d'attirer leur attention et celle des pouvoirs publics sur un danger taciturne qui guette les enfants. Les dangers du Web sont souvent évoqués certes, mais là il ne s'agit plus de faire dans les campagnes de sensibilisation, mais de lutter contre un «tueur en série» sans corps ni visage. Car l'incitation au suicide équivaut bien au meurtre. L'Algérie, qui a bien décrété une loi contre la cybercriminalité n'a cependant pas une loi- cadre pour la protection des enfants des dangers du Net. Un vide juridique qui doit rapidement être comblé. Mais en attendant, il ne doit plus y avoir de victime. Ce ne serait qu'une victime de trop! Les pouvoirs publics et les politiques qui se sont mobilisés rapidement contre les kidnappings, à la suite de l'appel de la société civile, devraient réagir promptement pour mettre un terme au danger des jeux morbides sur le Net, notamment ceux qui incitent au suicide. Il faut dire que le jeu «la Baleine bleue» est un jeu qui a fait des victimes partout dans le monde, selon plusieurs médias électroniques. Le jeu a été lancé en 2015 par des utilisateurs anonymes sur le réseau social russe V Kontakte. Avec plus de 410 millions d'utilisateurs enregistrés, il est devenu le 5e site le plus populaire du monde. Le jeu comporte 50 défis (un par jour), aussi inoffensifs que sinistres comme «se percer la main», «se réveiller à 4h20 pour regarder un film d'horreur», «se scarifier en se dessinant une baleine sur la jambe» ou encore «s'asseoir sur le toit d'une tour en balançant les jambes dans le vide». L'ultime étape est de se donner la mort pour devenir un animal «hautement évolué» et «dégagé» des peines terrestres, à l'image du symbole du jeu, le cétacé capable de se suicider en s'échouant volontairement sur une plage, comme l'explique le site russe Russia Beyond. Pernicieux, les créateurs du jeu ont mis des règles où ils exigent des jeunes joueurs de «ne rien dire à personne» et de «toujours remplir la mission, quelle qu'elle soit». Ce site indique que «l'existence du jeu a émergé au grand jour en mai 2016 grâce à une enquête du journal russe Novaïa Gazeta. Etudiant les statistiques et les causes des suicides parmi les adolescents russes, les journalistes ont établi que plus de 100 enfants qui se sont donnés la mort de novembre 2015 à avril 2016 étaient membres de communautés en ligne liées d'une manière ou d'une autre à ce jeu suicidaire». Plusieurs autres sites font état de jeunes qui se suicident dans différentes villes du monde. «(...) dans l'est de la Russie, deux jeunes filles de 15 et 16 ans se jetaient ensemble du toit d'un immeuble. Cette même semaine, en Sibérie, une adolescente de 13 ans était retrouvée grièvement blessée après avoir sauté du 5e étage. Une autre de 14 ans se jetait sous un train. Toutes les quatre avaient un point commun: elles jouaient à Blue Whale (Baleine bleue)». En Europe, l'alerte est donnée et des actions sont menées. Le Comité d'enquête de Russie a arrêté plusieurs personnes soupçonnées de diriger des communautés Internet. De même que l'administration de VKontakte a éliminé plusieurs pages et posts marqués du hashtag «baleine bleue» et a bloqué les utilisateurs qui avaient recours à ces hashtags. En France où le jeu est également arrivé, plusieurs actions de sensibilisation ont été menées par les services de sûreté, le ministère de l'Education et le mouvement associatif. L'Office central de lutte contre la criminalité lié aux technologies de l'information et de la communication en France a été saisi pour enquêter sur le phénomène. En Pologne, l'organisation SafeNet, qui se charge de protéger les enfants contre les contenus nocifs sur la Toile, a officiellement averti du danger de ce jeu et de son éventuelle apparition sur les réseaux locaux. Enfin, depuis le 1er mars dernier, Facebook utilise aux Etats-Unis une intelligence artificielle afin de détecter les personnes capables d'attenter à leur vie. Le dispositif repère les posts aux contenus jugés inquiétants et adresse alors des messages aux utilisateurs qui en sont à l'origine. La réaction de l'Algérie est fortement attendue.