Les groseilles, les mûres, les fleurs, les escargots et les champignons du Murdjadjo avaient la cote dans les marchés locaux. Le Murdjadjo qui est fortement escarpé domine la plaine de Bousfer-les Andalouses avec ses prolongements, les djebels Djorf et Lindles et à l'est, le djebel Santon. Ceci est la présentation, un peu rébarbative et qui n'incite pas à l'évasion. C'est une présentation dans les manuels de géographie et les documents officiels. Pour la carte postale, le Murdjadjo est le vivier d'une faune et d'une flore où se conjugue la vie à mille temps et mille tons. Il est synonyme d'évasion pour des milliers de familles oranaises qui y retrouvent le tonus pour effacer le stress d'une semaine menée tambour battant entre le travail, le marché, l'école des enfants. L'histoire de cette montagne se mêle à celle de la région. Elle a servi de refuge aux résistants qui s'étaient opposés à l'invasion espagnole au XVIIIe siècle, avant de compter de nombreuses bases des moudjahidine durant la guerre de Libération. Parler d'Oran sans parler du Murdjadjo, c'est un peu comme élaguer une composante de l'identité de la ville. La montagne qui prend naissance des rives de la Méditerranée plonge loin, très loin dans la terre vers la plaine de Misserghine et de Sidi Hammadi non loin de Bousfer. Elle comporte plusieurs fortins et petites chapelles édifiés par les Espagnols comme Notre-Dame de Santa Cruz qui trône majestueusement au-dessus de la ville d'Oran. Une halte pour toutes les familles Les lieux ont toujours servi de détente aux familles, même du temps des colons qui trouvaient en cette forêt, le moyen de dépaysement idoine. Les fellahs autochtones disputaient aux ronces de petits lopins de terre pour arrondir leurs fins de semaine. La solde qu'ils percevaient chez les riches colons de la région ne suffisait pas à remplir leurs couffins rapiécés. Les petits jardins potagers qu'ils cutlivaient, offraient à l'époque, une multitude de produits du terroir très prisés par les Oranais. Le Murdjadjo, ce lieu féerique est devenu après l'indépendance un Eden pour des milliers de familles oranaises qui y trouvaient l'espace d'une promenade, l'occasion de se dégourdir les jambes, de vider leur esprit des tracas quotidiens ou encore de laisser les enfants gambader à travers les buissons. Les groseilles, les mûres, les fleurs, les escargots et les champignons du Murdjadjo avaient la cote dans les marchés locaux. Même la clémentine de Misserghine trouvait de quoi revendiquer son appartenance aux piémonts de cette montagne qui, les pieds dans l'eau et la tête dans les étoiles, vit la frénésie de sa jeunesse géologique. Cette communion fut totale. Les Oranais se rappellent qu'à cette époque, tous s'y retrouvaient. Même l'homme au pilon, l'assassin qui avait tué dans les années soixante près d'une dizaine de , s'y était réfugié avant de se faire prendre dans un quartier du centre-ville. L'église qui surplombe Oran fait du Murdjadjo un lieu mystique. Les Espagnols avaient construit la chapelle pour conjurer le mauvais sort après une épidémie de peste qui avait frappé la ville et les hommes. Elle était devenue depuis, un lieu de pèlerinage pour bon nombre de catholiques venus même d'Europe. Aujourd'hui, elle continue d'attirer les gens de partout et de figurer au fronton des cartes postales de la région comme un symbole d'authenticité. Dernièrement, des associations comme, le Bel horizon y ont programmé des sorties avec des grillades de sardines comme au bon vieux temps. L'événement avait attiré bon nombre de curieux. Les habitants du quartier des Planteurs et ceux d'El Hassi ont appris à vivre avec la montagne. La construction du téléphérique avait attiré beaucoup de familles qui sont devenues des habituées du coin. L'apparition de ce moyen de locomotion avait chassé les clandestins et les malfrats qui avaient transformé les lieux en véritable coupe-gorge. En 1994 alors que le Murdjadjo s'ouvrait chaque jour en peu plus, une horde terroriste a fait une descente dans la station du téléphérique pour l'incendier. Depuis, le téléphérique est à l'arrêt. La montagne a échappé depuis à ses habitants, à ceux qui y sont nés et qui y ont grandi, les enfants des Planteurs et d'El Hassi. Elle s'est transformée en repaire des groupes armés qui s'y terraient après leurs crimes. Même l'assassin d'Alloula et de Cheb Hasni s'y était caché pendant une bonne période. Les familles ont délaissé les lieux livrés aux terroristes et aux brigands. Même la route de la Corniche supérieure est devenue un chemin à haut risque. On n'osait plus s'y aventurer. Cette situation fut lourdement vécue par les habitants des localités incrustées dans la montagne. Ces derniers se voyaient oubliés de tous les programmes de développement retenus pour la commune d'Oran. La montagne et les loups qui y vivaient ont chassé la vie des lieux. Avec l'apparition des premiers détachements de la garde communale et les premiers groupes de GLD, les terroristes ont fui les lieux. Il fallait depuis mener la guerre aux bandits qui avaient jeté leur dévolu sur la montagne. L'opération ne fut pas chose aisée puisque les Oranais continuaient de bouder les lieux et de les considérer comme un endroit à éviter. La route de la Corniche réhabilitée Les lieux chantés par les bardes du melhoun ont perdu de leur lustre et se sont transformés en enfer pour tous ceux qui y passent. Les pires crimes y furent commis. La commune d'Oran, qui avait émis des avis d'appel d'offres pour réparer le téléphérique à l'arrêt depuis l'incendie de sa station, a lancé plusieurs opérations de charme pour pousser les familles à revenir vers les lieux. Les visites guidées, les excursions et autres promenades organisées au profit d'élèves des écoles de la région, n'ont pas eu l'impact voulu. En 2003, des sportifs qui ont l'habitude de s'entraîner du côté de Misserghine ont repris une vieille habitude: celle de se rafraîchir à la fontaine de la Vierge qui gardait fraîche et limpide son eau. Ce petit geste symbolique sera un appel en direction des familles qui commençaient à revenir même si c'est timidement. Mais le véritable geste qui va inciter les familles à enterrer leur peur, est la réhabilitation de la route de la Corniche supérieure. La route qui serpente d'El Hassi pour rejoindre Boutlelis ou encore Aïn El Turck qui faisait claquer des dents les automobilistes, a subi un véritable lifting qui lui redonnera vie. Outre la réparation de plusieurs tronçons, elle a été nettoyée de tous les détritus qui s'y amoncelaient. Même l'éclairage y fut installé. Ces travaux ont permis d'envisager cette voie comme route d'évitement en été quand celle de la corniche inférieure est engorgée. Des barrages de la police et de la gendarmerie dévient, surtout les week-end la circulation au niveau de l'entrée de la ville d'Aïn El Turck vers la Corniche supérieure qui s'enfonce dans la luxuriante verdure de la montagne du Murdjadjo. Sur l'autre versant, bon nombre d'automobilistes ont aujourd'hui pris l'habitude d'emprunter aux Amandiers la bifurcation qui les plonge dans la montagne pour rejoindre les Andalouses et Bousfer. La peur a été chassée grâce à ces petits gestes et à l'hospitalité des gens de la montagne qui ont participé activement à la réhabilitation du site. Des aires de jeu et détente furent aménagés depuis 2004 pour permettre aux familles de revenir comme au bon vieux temps. Les loups et les sangliers qui avaient peuplé l'endroit font aujourd'hui l'objet de battues administratives. Tout comme les brigands et autres voyous qui ne peuvent plus agir en toute liberté. Des patrouilles de la gendarmerie et des gardes communaux ont fini par sécuriser l'endroit qui va renaître après des années de disette. Le téléphérique, qui devait être livré au public au mois de juin dernier, reste à l'arrêt mais cela n'empêche pas les familles oranaises, au retour de la plage de faire une halte au Murdjadjo pour embrasser de leur regard la baie d'Oran et les plaines qui l'entourent. La forêt du Murdjadjo revient petit à petit s'imposer comme un lieu de villégiature et de détente. Les Oranais qui l'ont vu dépérir avant d'être ressuscitée ont une pensée pour la montagne des Lions qui, elle, continue de mourir à petit feu. Cette forêt, qui entoure le quartier de Canastel a besoin elle aussi d'une opération de choc pour chasser les voyous et ouvrir les sentiers aux familles qui habitent la banlieue est d'Oran.