Charm El-Cheikh semble devoir marquer un tournant dans l'escalade de la terreur à laquelle s'adonne la nébuleuse Al-Qaîda. Les Egyptiens étaient hier sous le choc du plus important massacre jamais commis en Egypte lors de ces dernières années pourtant marquées par la violence de multiples attentats. La série d'attentats suicide contre la station balnéaire de Charm El-Cheikh -joyau et vitrine du tourisme égyptien sur la mer Rouge- survient à quelque six semaines de la présidentielle égyptienne -fixée au 7 septembre prochain- et prend totalement au dépourvu les services de renseignement et de sécurité égyptiens. Ceux-ci n'ont d'aucune manière vu venir le coup pour y parer, encore moins le neutraliser. Les spécialistes internationaux en matière de sécurité qui n'ont pas caché leur surprise après ces attentats, voient dans le carnage de Charm El-Cheikh, «un échec majeur» du renseignement égyptien, surtout lorsqu'on sait que la ville balnéaire sert de siège au gouvernement et de résidence permanente pour le chef de l'Etat, Hosni Moubarak, depuis au moins deux ans. Cela ne va pas manquer de susciter des questionnements sur le professionnalisme des renseignements et services de sécurité capables seulement de juguler les mouvements étudiantins et l'opposition démocratique. L'échec des renseignements égyptiens -ne serait-ce que dans le fait de prévoir un tel coup- n'est guère étonnant et renvoie à la nature même des services de sécurité et de renseignement dans les pays arabes en général, en Egypte plus particulièrement, formés à assurer la protection des régimes en place, à pourchasser l'opposition et à réprimer les libertés collectives et individuelles, peu préparés à lutter efficacement contre un fléau tel que le terrorisme islamiste et son mentor, la nébuleuse islamique Al-Qaîda. Certes, Le Caire a lancé une «chasse à l'hommemorts et près de 200 blessés, opération qui risque toutefois de rester inefficiente comme l'ont été les précédentes qui, toutes, se sont soldées par de maigres résultats, à l'instar de l'enquête sur les attentats, tout aussi meurtriers, de Taba -commis en octobre 2004- dont seuls les lampistes ont eu à payer le prix, les commanditaires de l'attaque demeurant inconnus et impunis. En fait, le premier effet qu'auront les attentats de Charm El-Cheikh sera de renforcer davantage l'Etat d'urgence, en vigueur depuis 1981 et la poigne de fer du pouvoir sur les activités politiques comme de mettre en stand-by, sous prétexte de combattre les dérives terroristes, la timide ouverture démocratique. Ce qu'énonçait brièvement le raïs égyptien, Hosni Moubarak, qui a déclaré, après avoir inspecté les lieux de l'attentat, que «cet acte criminel, lâche, qui vise à déstabiliser l'Egypte, renforcera notre détermination à poursuivre la lutte contre le terrorisme et à l'éradiquer». Des déclarations à tout le moins spécieuses lorsque l'Egypte, autant que l'ensemble des pays arabes, refuse de s'attaquer aux racines du fléau islamiste en s'attaquant au prosélytisme intégriste qui prolifère dans les mosquées et les universités arabes, quand les autorités religieuses habilitées, singulièrement la prestigieuse université d'Al Azhar, restent silencieuses face aux actes criminels commis au nom de l'islam, se gardant de contredire les outrances de ceux qui se sont découvert des vocations de martyrs. Les oulémas, comme en Algérie lors des années de feu, n'ont jamais pris sur eux de rectifier le tir et de dire que ce n'était pas celui-là le véritable islam qu'ils sont censés enseigner et défendre. Aussi, le drame de Charm El-Cheikh a toutes les chances de se reproduire, demain, dans une semaine, un mois ou dans un an en Egypte comme partout ailleurs dans le monde, récemment à Londres ou, surtout, en Irak où des centaines d'innocents sont quotidiennement assassinés au nom d'un improbable djihad. Al Qaîda, il faut aussi le souligner, est un avatar des tentatives des Etats-Unis et de l'Arabie Saoudite d'instrumentaliser l'islam à des fins politiciennes. L'intégrisme combattant a trouvé sa raison d'être sous l'impulsion de Washington et de Riyad, les uns, les Etats-Unis, en formant et en armant les nouvelles hordes «jihadistes», sous la houlette de l'agent de la CIA, le Saoudien défroqué Oussama Ben Laden, les autres, l'Arabie Saoudi , urant leur financement. Ce sont les USA et les wahhabites qui ont créé les premières phalanges «jihadistes» en Afghanistan pour combattre le communisme soviétique. Depuis, l'organisation de Ben Laden s'est émancipée de la tutelle de ses deux mentors, s'est étendue et diversifiée en plusieurs «divisions» opérationnelles, de toute apparence indépendantes les unes des autres, liées entre elles par le rapport de l'idéologie intégriste. Aussi, combattre efficacement Al Qaîda, c'est encore la couper de ses arrières en asséchant les centres de recrutement que sont les mosquées livrées à la surenchère des fondamentalistes. Espérer venir à bout de cette hydre sans s'attaquer à ce qui fait sa raison d'être, le prosélytisme intégriste dans les mosquées qui lui assure la mobilisation de jeunes fanatisés, c'est comme donner un coup d'épée dans l'eau. Aussi, les pays musulmans et arabes doivent se mettre sérieusement de la partie pour lutter réellement contre ce fléau. En fait, parallèlement à une lutte antiterroriste «classique», par la mobilisation et la coopération des services de sécurité internationaux et par le contrôle drastique du financement des mouvements terroristes, soustraire les mosquées aux prosélytes reste une tâche incontournable dans toute action qui se veut efficace contre le terrorisme islamiste.