Un militant acharné Paradoxalement discret dans les médias pour parler de son oeuvre artistique, il est très présent sur le terrain et les médias quand il s'agit de militer pour l'amélioration du quotidien des artistes. Mais là, il nous a fait le plaisir de l'entendre parler de sa mission dans l'association des artistes, ainsi que sa riche carrière artistique et surtout de Tala Iloughene, une chanson culte qui traverse les générations. Rabah Ouferhat, de son vrai nom Ferhat Rabah, aujourd'hui âgé de 66 ans, marié, père de famille, est chanteur-auteur-compositeur de plus de 250 chansons (une vingtaine d'albums avec différentes maisons d'éditions, en Algérie et en France). Il est membre de l'Onda et de la Sacem, président du Syndicat des artistes, bureau de Tizi Ouzou. Un syndicat structuré dans plus de 30 wilayas, avec un bureau national à Alger. Aujourd'hui, un album de 12 oeuvres inédites est en voie d'enregistrement et sa carrière est proche du demi-siècle. Dans cet entretien, Rabah Ouferhat explique l'essentiel des missions du Syndicat des artistes et son impact sur le terrain. L'Expression: Avant d'avoir la charge de l'association des artistes, vous avez une carrière de plusieurs décennies dans la chanson. Pouvez-vous d'abord, nous plonger dans ses premières années? Rabah Ouferhat: J'ai commencé à embrasser une carrière artistique très jeune. J'ai adhéré à la cellule scouts au niveau de mon village(je rends hommage à mon chef scouts de l'époque, Ahmed Djezairi), de 1964 à 1967. Ce chef a vite repéré la force de ma voix dans les chants patriotiques. J'allais aussi à l'école primaire à Azouza, mon village natal, nous terminions la fin de journée avec de belles chansonnettes du milieu scolaire. En 1967 je suis admis à mon examen de 6ème et je rejoins le CEG de Larbaâ Nath Iraten, avec pour objectif premier les études, ensuite la musique, où j'ai eu la chance d'avoir un prof de musique, coopérant technique. M. Le Roux. J'ai adhéré aussi à la cellule Jfln, où j ai rencontré une pléiade d artistes et de musiciens. En compagnie de ma première guitare qui m'a été offerte par mon chef scouts, Ahmed Djezairi, je rejoins le groupe Jfln de Larbaâ Nath Iraten (ex-Front national) J'ai commencé à découvrir la scène, des petites fêtes familiales, des colonies de vacances, des festivités nationales. Je jouais de la guitare et de l'harmonica et mon nom commençait déjà à circuler dans la région. J'ai vécu ma première déception en 1969, au premier Festival culturel panafricain, à Alger. Je me suis déplacé pour voir deux grands noms, Myriam Makeba et Taos Amrouche, or Taos Amrouche a été empêchée de chanter. En 1971, je gagne mon billet pour le lycée Chauffai Ahmed de Bordj Menaïel, lettres bilingues. J'ai étudié Rousseau, Marx, Rimbaud, Dib, Feraoun et Mammeri. C'est à l'internat que j'ai composé ma première chanson Tala Iloughene en 1971. J'ai pris contact avec Habib Mouloud, qui a touché un mot à Mohamed Benhanafi et on m'a programmé pour passer à l'émission Ichenayen u zeka (chanteurs de demain) présentée par Cherif Kheddam, Mohamed Medjahed, Mohamed Benhanafi ad ten irham Rebbi». Accompagné de ma guitare, j'ai interprété Tala Iloughene. Admis majestueusement à cet examen, on a mis un orchestre à ma disposition, sous la direction de Dda Cherif Kheddam, je rends hommage à sa composante, a3ammi Rezki, Aliane, Mahmoud Waza, Papou etc. Je l'ai enregistrée pour la première fois à l'auditorium de la Radio Chaîne 2, pour le compte de la radio. Une chanson qui a obtenu tout de suite la première place au hit-parade (chansons demandées). Voilà ce qu'on appelle un vrai plongeon dans mes premières années. Excepté la nostalgie qui adoucit le passé le plus tumultueux, que regrettez-vous des premières années? Ce que je regrette de ces années Bonheur de la chanson kabyle et algérienne, c était le manque de liberté d'expression, la pression à tous les niveaux, la censure, le manque de moyens matériels et financiers, une presse unique, une télévision unique, avec un seul et unique moyen de communication la Radio Chaîne 2, je n'oublierai pas de rendre hommage à Cheikh Noureddine pour nous avoir ouvert ses portes. Et puis il y avait cette rude bataille, toutes générations confondues, qui a engendré une lutte de clans, les anciens, la génération 70, les groupes modernes, si on avait su canaliser tout çà, on aurait révolutionné la chanson algérienne et la chanson kabyle en particulier. Juste un regrettable souvenir de 1975, il y avait «tachemlit» qui a regroupé pas mal d'artistes et j'ai été proposé avec ma chanson Tala Iloughene qui occupait le sommet, certains n'ont pas trouvé mieux que d'imposer leur veto, pour barrer la route à cette chanson qui a fini aujourd'hui par prendre le dessus sur tout, une chanson de tous les temps. Parlons-en justement de Tala Iloughene qui est une chanson culte, encore fredonnée par les anciennes et nouvelles générations, voulez-vous nous la raconter un peu? Tala Iloughene est ma première chanson, je l'ai composée ma première année de lycée, à Bordj Menaïel, c'était une époque difficile, c'était interdit de s'exprimer, notre liberté de penser était affectée, c'était interdit d'aimer, une époque pleine de tabous, des mentalités difficiles, c'était tout un combat à mener. La chanson parle de tout çà. C'est comme dans le roman Nedjma de Kateb Yacine. Une fois enregistrée sur les ondes de la radio, elle a touché toutes les générations de par son texte et sa mélodie. Et c est le déclic pour toute ma carrière artistique et jusqu'à aujourd'hui, c'est en quelque sorte mon identité. Ensuite, les Editions Atlas ont approché Mohamed Benhanafi «ad t irham Rebbi» qui a pris contact avec moi pour leur enregistrer mon premier 45 tours face A' Tala Iloughene et face B' Dreghlegh, Azzgegh qui allait être frappée de la censure n'était-ce l'intervention de Mohamed Benhanafi. C'est ainsi que j'ai entamé une série d'enregistrements avec les Editions Atlas, Urigh Issem im, Azewdjene warrach, Ighadi mimme ddaleqaq, Tettru tmila, Ivaz ayettru, Eker ma tedudd, Amek at sevredd, cinq 45 tours suivis d'un 33 tours de 1972 à 1975. Tala Iloughene, si elle continue d'exister c'est parce qu'elle a une âme qui dépasse l'imaginaire. Elle renaît tout le temps de ses cendres, après presque un demi-siècle. Revenons du passé pour retrouver un Rabah Ouferhat toujours jeune, mais avec d'autres missions pour l'art; vous vous souciez de la situation des artistes, d'ailleurs vous êtes à la tête du Syndicat des artistes, c'est quoi son rôle exactement? Merci pour le compliment. Oui je suis voué à d'autres missions pour l'art et ceux qui le pratiquent. J'ai toujours été aussi un fervent défenseur des causes justes et nobles. Par ma participation au combat, pour le recouvrement de notre identité et notre culture, pour la démocratie, la liberté et la justice sociale et je suis resté auprès de mon peuple. C'est tout çà qui a renforcé ma motivation. En 2004, avec un groupe d'artistes de divers horizons, nous avons décidé de créer un Syndicat national des artistes algériens pour mettre fin à la mal- vie de la famille artistique et améliorer ses conditions de vie et pour cela nous avons visé l'instauration du statut de l'artiste dans notre pays. La conférence d'Alger avait regroupé l'Ugta, la CGT, la FIM (Fédération internationale des musiques), le ministère de la Culture. De là nous nous sommes organisés en nous affiliant à l'Ugta. Nous avons installé un bureau national, qui avait installé 34 bureaux de wilayas. Notre premier souci a été d'organiser la profession par des campagnes de proximité et de sensibilisation et en faisant adhérer toute la famille artistique algérienne afin de mener un combat en toute légalité. Comparée à un passé pas si lointain, la situation de l'artiste commence à changer. L'association y a grandement contribué. Quels en sont les acquis? Comparée au passé pas lointain, la situation des artistes a beaucoup changé, c'est vrai, mais il reste beaucoup à faire, avec la volonté de tout un chacun. Le Syndicat national des artistes algériens a organisé la profession, de la structuration, il est passé au stade de la revendication Nous avons rédigé une plate-forme de revendications qui a été transmise à la tutelle et à toutes les institutions culturelles. Le piratage est l'un des fléaux les plus dangereux, qui cause des ravages à la carrière des artistes. Où en est la lutte contre ce monstre des temps modernes? Le piratage est un fléau universel, je ne cache pas ma déception face à ce danger galopant, provoqué, moi je le dis tout haut, par le nouvel ordre économique mondial. Il y a aussi un autre phénomène qui nuit à la création, celui du plagiat et de la reprise sans autorisation de l'auteur, sans compter ceux qui puisent du patrimoine pour jouer ensuite les auteurs. En France, la Sacem a lancé un mot d'ordre: «La chasse aux copieurs», que l'Office national des droits d'auteurs et droits voisins doit appliquer, c'est une bonne chose qui mettra fin à l'anarchie. N'est pas artiste qui veut? D'autres institutions autres que l'Onda peuvent y contribuer aussi, le Conseil national des arts et lettres, les médias lourds doivent arrêter de verser dans la médiocrité (radios et télévisions). Tous les auteurs, toutes disciplines confondues, doivent s'unir pour lutter avec des moyens et mesures efficaces contre ce danger permanent, qui menace notre environnement culturel, barrer la route aux aventuriers de tout bord. Beaucoup d'artistes de notre wilaya, Tizi-Ouzou, ont eu droit à des hommages. Il y a ceux qui nous ont quittés, «ad ten irham Rebbi» et ceux qui sont encore en vie «s tughzi l3amer». Grâce à la bonne volonté de la direction de la culture de Tizi Ouzou, au monde associatif et au Syndicat des artistes, de Tizi Ouzou, n'en déplaise à certains perturbateurs qui usent de leur agressivité habituelle à l'encontre des forces qui travaillent pour les droits de la famille artistique algérienne. Notre wilaya détient le record de potentiel culturel, en matière d'hommages et de solidarité. En étroite collaboration avec la directrice de la culture, nous, syndicat des artistes, avons recensé nos artistes pour leur rendre hommage et s'enquérir, quand c'est possible, de leurs conditions de vie, les rétablir dans leurs droits, il y a ceux qui sont malades et on fait de notre mieux pour les écouter et gérer avec eux la situation avec les moyens du bord. Il y a ceux qui refusent les hommages, il y a ceux qui sont contre, ça c'est une autre histoire. A chacun sa chanson, son refrain et sa raison. Aujourd'hui, Tizi Ouzou a le statut de capitale africaine de la culture depuis quelques années déjà, nous pouvons dire que c'est le travail qui a payé et nous sommes fiers de ce résultat. Avez-vous un message aux jeunes générations d'artistes? Un message pour la nouvelle génération d'artistes, en tant qu'artiste d abord, auteur-compositeur, je leur souhaite beaucoup de courage, je leur dis aussi que la chanson kabyle, comme tout autre discipline a besoin de création pour avancer, stopper la reprise, le plagiat et le piratage. Fréquentez les conservatoires, écoutez vos sensations artistiques, aimez-vous les uns les autres, ne pas écouter les détracteurs et les aventuriers de tout bord. Et au nom du Syndicat des artistes, bureau de Tizi Ouzou, nous leur disons que vous avez beaucoup de chance par rapport à notre génération. Nous vous avons organisé la profession, vous avez la carte professionnelle, la sécurité sociale, la retraite, les éditions, le syndicat, l'Onda, le Conseil national des Arts et Lettres, les médias lourds (radios et télé) la presse, les Maisons de la culture, les échanges culturels, le terrain est défriché, maintenant il faut semer pour récolter, mais il faut savoir ce qu'il faut semer. Avec le travail et la persévérance, on y arrivera, «Ma ivgha Rebbi».