Des touristes, tant étrangers que nationaux, venaient de loin faire les emplettes de belles choses. La Kabylie possède, outre une histoire et un parcours, des sites merveilleux et surtout un artisanat à offrir. Durant les années fastes, la région a su devenir la Mecque du beau. Les tapis d´Ait-Hichem, les poteries de Maatkas rivalisaient de beauté avec les bijoux en argent finement ciselés, aux coraux et émaux scintillants. Des touristes, tant étrangers que nationaux, venaient de loin faire les emplettes de belles choses et aussi s´enivrer de la contemplation des beaux paysages. Jusque durant les débuts de la violence terroriste, la région, alors surnommée la Suisse algérienne, continuait à accueillir les foules de personnes fuyant la fureur des villes du Centre. Puis soudain tout change! Tizi Ouzou, partie intégrante du pays ne pouvait rester longtemps indemne de la maladie qui s´installait partout. La violence frappe alors de plein fouet la région. Pendant plusieurs années cette violence allait carrément être ignorée par la Kabylie qui continue avec courage et persévérance à vivre normalement. La devise était de ne jamais céder à la peur et de continuer contre vents et marées à faire ce qu´il fallait faire ! Mais voilà qu'en avril 2001, éclate la plus grande révolte de ces derniers temps, une révolte contre certains comportements. Des comportements aussi bien des agents de l´administration que des forces de sécurité qui avaient été sans doute formés à la hâte, donc très mal formés, prenaient les citoyens pour des gens taillables et corvéables à merci ! Un jeune lycéen est mort dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Beni Douala. Une mort restée mystérieuse et qui a été à l´origine d´un formidable déversement de colère. Seuls les Kabyles ayant vécu ces durs moments peuvent comprendre ce qu´est réellement une colère, fruit de la hogra! Aussi devant cette ire, les fêtes sont elles reportées sine die. Ain El Hammam reporte sa fête du tapis et les maires des communes intéressées réunis alors à Beni-Yenni prirent la décision de retirer, pour quelque temps, du calendrier local toutes festivités. Le deuil s´installe dans la région! Les temps étaient aux pleurs et aux lamentations! Blessée, meurtrie, exsangue, la Kabylie repousse dédaigneuse, tout esprit festif! Les promesses du ministre II a fallu attendre que la colère baisse d´intensité et que la rage et l´ire se soient tassées quelque peu pour que la région songe à dépasser la douleur et renouer avec la fête. La première commune à ouvrir le bal est Beni-Yenni. Ainsi cette petite commune du Djurdjura a dès l´année écoulée voulu faire en sorte que la joie renaisse dans les coeurs et que les gens puissent dépasser les rancoeurs et les peines. Avec une «économie» des plus fragiles et souvent avec des tonnes d´ingéniosité, Beni-Yenni a fait en sorte de faire revivre la fête. Venus de partout les petites gens et les grands de ce monde se mêlèrent durant quelques jours, oubliant les différences devant le beau et rendant ainsi grâce à l´art bien compris! Un ministre de la République se déplaça en personne pour inaugurer solennellement la fête du bijou. Sans doute emporté par cet élan festif, il promit tant et tant. D´abord une aide conséquente pour couvrir les frais de cette fête qui avaient endetté la commune et puis de l´aide aux artisans et encore une promotion des produits et en sus une Maison de l´artisanat. Le bon peuple applaudit mais tous pensaient secrètement «c´est trop beau pour être vrai!». La journée terminée, le ministre repart et les promesses furent tout simplement oubliées. Les communes attendirent longtemps la matérialisation de ces promesses, en vain. Il semble même que l´APC de Beni-Yenni écrivit au ministre mais jamais elle ne reçut de réponse. Aussi et après avoir vainement frappé à toutes les portes, Beni-Yenni, la mort dans l´âme, décide de surseoir à l´organisation de la fête du bijou pour cette présente année. D´ailleurs les mêmes promesses semblent avoir été faites aussi bien pour Maatkas que pour Ait-Hichem. La poterie, le tapis et le bijou seraient ainsi sauvés disait-on! Ait Hichem tout comme Beni-Yenni a d´ailleurs suivi l´exemple et organisé une fête du tapis après celle de Beni-Yenni, mais Maatkas a préféré réfléchir et il semble bien que la suite des événements ait donné raison à cette dernière. L´esprit de la fête venait ainsi de céder le pas devant les économies de bouts de chandelle et Ait-Hichem, Maatkas et Beni-Yenni pour ne citer que ces trois régions ont compris que pour que leur artisanat revive il leur faut d´abord et avant tout compter que sur eux-mêmes! La colère après l´incompréhension Avec ce mauvais coup, certes non réfléchi, les artisans ont compris un message dur et alors que les démarches de l´administration semblent souffrir au bas mot d´une mauvaise, voire d´une totale absence de communication, les citoyens ont voulu voir là une démarche réfléchie et encore une fois ciblant l´artisanat kabyle. Que la chose soit mal expliquée c´est certain, mais pour les simples citoyens, l´administration a pris ces décisions pour «punir la région pour sa fronde» on a beau expliquer que les chemins de l´administration sont tortueux et que ce grand corps ne saurait se rabaisser à pareille considération, rien n´y fait! Encore une fois, une décision annoncée devant le front des centaines de citoyens, une décision médiatisée en son époque et tombée par la suite, sinon à l´eau du moins dans le tiroir des oubliettes, et voici que des tranches de la population sont embarquées dans des considérations difficiles à soutenir! Certes les Kabyles peuvent apparaître comme des gens susceptibles et regardant sur la plus petite des choses. Mais il reste qu´un ministre avait promis! Des jeunes gens excessifs dans leur langage vont jusqu´à dire «les promesses de répression ne sont jamais oubliées mais les promesses d´aide ne vivent que l´espace d´un moment!» Aujourd´hui plusieurs échoppes de bijoutiers à Beni-Yenni ont baissé rideau. La cherté de la matière première, la désorganisation des circuits commerciaux, l´absence de touristes et donc les méventes ont fait en sorte que l´artisanat se meurt. Des bijoutiers ont pensé s´investir dans la conquête du marché européen. Les bijoux fabriqués étant de très haute facture, peuvent rivaliser de beauté avec beaucoup d´autres objets d´art, mais voilà selon eux «l´exportation c´est la galère. Encore faut-il avoir des contacts ailleurs et c´est loin d´être évident!» Ce qui est valable pour la bijouterie l´est aussi pour le tapis. Ainsi une tapissière d´Ait Hichem s´explique: «Nous sommes capables de rivaliser avec les meilleurs artisans mais encore faut-il avoir les moyens et une aide au départ nous rendrait de grands services. Cette aide, selon elle, ne consiste pas en dons d´argent mais en réorganisation des circuits commerciaux.» Comme la plupart des artisans approchés évoquent la cherté de la matière première: le corail, les émaux, l´argent ou encore la laine, les teintes et aussi les métiers à tisser etc. reviennent souvent dans les conversations. Il y a comme une forte sensation de maladie qui se dégage de notre artisanat et pour l´heure personne ne songe à voler à son secours tout le monde, artisans, élus, responsables locaux du tourisme, semblent vouloir parier sur le tourisme qui seul, semble en mesure de participer effectivement au développement du secteur. Encore faut-il que l´administration se sente concernée et songe sérieusement à aider ce secteur. Il y a des opportunités à saisir et cela doit être fait rapidement, car l´artisanat a tendance à vouloir disparaître. Les gens de l´art sont sur le point de... claquer la porte! Les uns trop vieux et les autres attirés par d´autres secteurs.