Fidèle à son caractère Brahim Tazaghart est un écrivain en tamazight et éditeur spécialisé dans la même langue. Il est aussi un militant du MCB qui demeure encore actif dans le combat pour l'émancipation de la culture amazighe. Présent sur tous les terrains de lutte avec une touche de sérénité et de sagesse dans les débats, sa parole est d'une nécessité incontestable par ces temps de dérive dans le langage et la multiplication des expressions incitant à la haine génératrice de conflits inutiles dans une période aussi sensible pour notre pays. Fidèle à son caractère, Brahim Tazaghart a sympathiquement accepté de répondre à nos questions en vue de la recherche du recadrement des débats et les éloigner de la violence. L'Expression: Une polémique franchement inutile est née après les propos déplacés de la députée Naïma Salhi. Pouvez-vous nous situer un peu dans ce contexte où certains comme cette dame sont en complet déphasage avec le temps? Brahim Tazaghart: Il était prévisible que les forces habituées à la domination des appareils idéologiques de l'Etat algérien allaient paniquer et s'affoler après les dernières décisions du président de la République concernant l'officialisation de la fête de Yennayer et la mise en place de l'académie de tamazight. Tuteurs idéologiques d'une nation martyrisée, ayant ramené son histoire à la conquête des Banou Oumeyya avec ce que cela suppose comme falsifications du roman national et d'attaques contre la langue et la culture amazighes, ces forces qui avaient bénéficié de «la politique arabe» de Napoléon III, puis du contexte international prévalant à l'indépendance avec une Egypte nasserienne, arabiste et en pole position, se sont accaparé l'Etat et façonné l'identité juridique et politique de la nation. Partant de là, leurs actions violentes pour casser la dynamique de la Réconciliation nationale, l'apaisement provoqué par la reconnaissance officielle de Yennayer, ne sont pas surprenantes comme déjà dit, bien au contraire, c'est leur manque de réaction qui aurait suscité des inquiétudes... En effet, en plus de leur formation à l'agitation par les meilleurs spécialistes du chaos, l'école algérienne, à leur merci depuis des décennies, conçue pour produire des êtres inaptes à la pluralité, incapables d'esprit critique et de remise en cause, leur offrait de grandes possibilités d'agir. D'ailleurs, leurs attaques groupées contre Mme Benghebrit, ministre de l'Education, participe du même objectif et sont prises en charge dans le cadre du même dispositif. C'est vous dire que, de mon point de vue, ce n'est pas aussi banal et incohérent qu'on le pense. Réduire cette affaire à cette dame n'est pas responsable. Les propos de la présidente du PEP peuvent créer des clivages dangereux entre les arabophones et les amazighophones qui sont tous algériens et amazighs. Avez-vous un message différent à transmettre aux deux parties? Il faut d'abord comprendre pour pouvoir proposer et agir. Ma lecture est la suivante: sous l'inspiration de M. Abdallah Djaballah, gourou de l'islamisme radical en Algérie qui a théorisé la réplique contre la réhabilitation de tamazight en avançant l'idée que «la reconnaissance de tamazight sera quelque chose de grave contre la langue arabe», la présidente du PEP monte au créneau et accapare des télés disposées à la prendre en charge et à socialiser à fond son discours rétrograde et son image d'une femme prête à tout!! Il faut observer qu'avant cela, un consensus semblait déjà être trouvé entre les différents courants politiques porteurs des idées arabistes, avec des prolongements à l'extérieur du pays. Nous devons rappeler que l'Organisation de la Ligue arabe pour l'Education, la Science et la Culture a dépêché une délégation qui a pris attache avec les autorités du pays. Vues de cet angle, les sorties du président de l'Association des Oulama, celles de quelques imams de Constantine lors de l'officialisation de la journée de Yennayer, s'affirmant souvent comme des Koutama amazighs, descendants de cette tribu légendaire qui avait construit Le Caire sous l'autorité des Fatimides, mais qui se disent, au même moment, plus arabes que les arabes de Nadjd à l'instar de cette dame, ne sont pas spontanées. Leur stratégie est construite sur deux axes essentiels. Le premier est le recours à cette ancienne rivalité entre les Sanhadja et les Koutama, - Leqbayel Nnighas et Leqbayel Lhedra en partie -, ce qui explique l'insistance de cette députée à attaquer la variante Kabyle tout en cherchant à dresser les autres régions amazighophones contre la Kabylie, croyant qu'on peut encore et toujours manipuler les Algériens et les utiliser comme des brebis. Le deuxième axe est celui d'exploiter le prétexte qu'offrent les séparatistes kabyles pour affaiblir le mouvement amazigh qui s'affirme vigoureusement dans tous les pays d'Afrique du Nord, y compris en Egypte. Dans cette entreprise de promotion de la discorde civile comme outil de pression sur l'Etat, la présidente du parti PEP, conseillée par des cercles néfastes affirme à qui veut l'entendre que ce mouvement séparatiste veut imposer «le Kabyle» aux Algériennes et Algériens! Une affirmation qui exprime, non pas une méconnaissance ou une ignorance politique, mais des calculs diaboliques... En effet, n'importe quel observateur de la scène politique nationale sait que les séparatistes, sur lesquels elle se focalise depuis un certain temps, ne reconnaissent même pas l'Algérie, ni les Algériens pour leur imposer quoi que ce soit. D'ailleurs, ils ne militent plus, et depuis longtemps pour les anciens, pour tamazight comme langue nationale et officielle de l'Algérie. De ce qui précède, nous devons retenir que «des laboratoires expérimentés et bien informés» sont derrière cette opération dont les propos racistes de cette dame ne sont qu'une séquence. Sans l'ombre d'un doute, nous sommes face à des gens capables de provoquer la ruine du pays à la suite de ceux qui déstabilisent les pays arabes, qui font les Unes de la presse internationale sans saisir véritablement pourquoi ils sèment le désordre dans leurs pays et affament leurs peuples! Cette députée, disposant de tout un réseau de prise en charge est en train d'exciter, de chauffer la Kabylie à l'approche du 20 avril en prévision d'une provocation qui peut balancer cette région dans le chaos. D'autres acteurs, peut-être à l'opposé de l'idéologie de cette dame, peuvent bientôt prendre le relais. Je ne dramatise pas. Je tente d'anticiper les visées d'officines habituées à rééquilibrer les rapports de force au sommet de l'Etat en utilisant la population comme une chair à canon. Nous avons trop payé pour baisser la garde et dire que ce n'est qu'une vague qui va passer! Votre message à transmettre aux deux parties? Il y a un peuple algérien uni et indivisible dont des Amazighs arabisés et des Amazighs amazighophones. Il n'y a pas deux parties. Nous sommes homogènes, du moins sur le plan culturel et anthropologique. Ceci dit, le seul message est celui de Didouche Mourad: «Si nous venons à mourir, défendez nos mémoires.». Nous devons être à la hauteur des sacrifices des martyrs de l'indépendance et de l'Algérie. Vous travaillez depuis longtemps comme militant, écrivain et éditeur sur tamazight. Ce qui fait de vous l'une des personnes les mieux indiquées pour parler de la situation de tamazight, mais on voit hélas des personnes comme celle-ci attirer l'attention des médias. Pourquoi selon vous? La crise nationale est due à cette volonté de faire de la médiocrité la condition essentielle pour la promotion politique, sociale et médiatique. «Nous sommes au temps de la médiocrité et la médiocrité à ses hommes», disait feu Abdelhamid Mehri. Le pouvoir, aussi bien que les médias, veulent des débats superficiels, sans profondeur, populistes qui attirent les clientèles et l'audimat. Les médias jouent avec le feu. L'Etat qui refuse de jouer son rôle de régulateur sera le premier responsable en cas de dérive. Comment éviter justement à l'avenir des dérapages comme celui-là? Il est clair que l'entreprise de cette députée, visant à semer la haine entre les Algériennes et les Algériens arrange fortement les affaires des artisans du chaos de tous les bords. Le courant auquel elle appartient, est bien la cheville ouvrière du chaos arabe avec ses segments les plus radicaux comme Daesh et autres organisations terroristes qui s'en réclament. Ce mouvement s'active sournoisement à importer le chaos vers notre pays pour se replacer, fatalement, à l'ombre du terrorisme qui sera la conséquence et le moyen pour construire des rapports de force dans ce genre de situations. Instrument docile d'officines maléfiques, cette députée travaille à préparer le terrain propice à cette perspective. Face à ces menaces réelles qui pèsent sur le peuple et le pays, les élites doivent s'impliquer dans les débats afin de les structurer, les animer pour dégager l'essentiel de l'accessoire. Les intellectuels doivent cultiver la fraternité à la place de la haine. Ils doivent refuser toute démarche populiste. Dans ce sens, il est temps d'adopter un code d'éthique que doivent observer tous ceux et celles qui prennent publiquement la parole, afin de stopper ces dérapages. Par la suite, la justice doit être dans l'obligation de s'autosaisir automatiquement lorsqu'il s'agit de propos racistes ou qui font l'apologie de la violence. Concernant la production en langue amazighe en graphie arabe. Pouvez-vous nous donner un aperçu et un bref historique sur cette production très féconde durant plusieurs siècles? Très féconde, non! Présente, oui! Comme pour les périodes précédentes de notre histoire, nous n'avons pas en notre possession beaucoup de manuscrits écrits en tamazight au Moyen Âge, qui reste d'ailleurs très mal connu. Il y avait la traduction du Coran par Ibn Toumert qu'on peut visiter aujourd'hui à Tamegrut au Maroc. Il y a des manuscrits anciens dans Afniq de Cheikh Lmouhoub et autres lieux et zaouïas. Seulement, il faut dire qu'il s'agit plus de transcription en lettres arabes que d'écriture. On fixait des interprétations du Coran, des poèmes, mais on ne communiquait pas avec les autres, on ne créait pas pour les autres. On voudrait aussi avoir votre avis sur la prochaine académie de langue amazighe. D'abord, je dois avertir sur des probables manipulations. Il y aura des gens qui diront que cette académie n'est pas utile, qu'elle va être utilisée contre tamazight et qu'il faut se démarquer. Ces gens voudront créer des doutes, de la peur chez les meilleurs compétences afin que les chasseurs de postes se servent à leur guise. Je crois qu'il faut être prudent, mais sans défaitisme. L'académie est une revendication historique du mouvement amazigh. Ceci dit, je crois que l'académie doit être: - autonome des injonctions des politiques et de leurs tutelles - elle doit travailler à faire de tamazight une langue de culture et de savoir - ceux qui doivent siéger en priorité sont les spécialistes qui ont beaucoup donné à cette langue. - ceux qui avaient été contre tamazight ne doivent pas y être - elle doit continuer le travail déjà entamé par l'université d'Alger avec Mammeri, par l'Inalco, par les départements de tamazight, par les chercheurs et producteurs. Comme elle doit ouvrir ses portes aux chercheurs et scientifiques de tous les pays de Tamazgha: Maroc, Mali, Niger, Tunis, Lybie, Egypte. L'académie ne va pas évoluer loin de la société, elle sera en relation avec les départements amazighs, le centre national de recherche, les enseignants, les praticiens et autres producteurs. Sa mission est d'être à l'écoute de la vie pour éviter à tamazight de se détacher du réel.