Son film Les âmes de l'exil a fait l'unanimité en recevant l'Olivier d'or du meilleur documentaire. Derrière chaque image, objet ou portrait, souffle le vent amer de l'exil. Un peuple attaché à ses traditions millénaires et asservi à sa terre d'où remonte toujours la pierre. Les départs tant attendus y sont des arrachements! Sous le regard des mères impuissantes, la nouvelle génération perpétue l'exemple des anciens qui se sont exilés pour un jour ou pour toujours. Cette fois-ci les filles font partie du voyage. Elles disent adieu au sang et à la terre kabyle. Un sujet, malheureusement, toujours d'actualité. Un regard pertinent sur la réalité algérienne. Ceci est le synopsis de ce film documentaire qui a valu à son réalisateur d'être primé au récent Festival amazigh qui s'est déroulé du 11 au 15 janvier à Tlemcen... L'Expression: Vous venez de recevoir l'Olivier d'or pour votre documentaire Les âmes de l'exil. Peut-on connaître vos impressions? Saïd Nanache: Tout d'abord, je dirais que je ne voulais pas avoir de prix d'encouragement. J'en ai déjà eu...J'avais le coeur qui battait. Une sensation que je n'avais pas ressentie depuis des années. J'ai pensé à toutes les mères. J'avais des images qui défilaient devant moi; aussi, je savais que le film était apprécié. Il a été projeté à Amiens, à Paris. On en a beaucoup parlé. J'aime bien les belles choses. Je fais cela depuis 1997. Je suis content, car faire un film, c'est de la souffrance, c'est comme un accouchement. On a envie d'avoir un beau bébé. Avoir un prix, c'est motivant pour en faire un autre film rapidement. Pourriez-vous nous résumer le sujet de votre film? Le film traite, en fait, de l'exil intérieur des mères qui sont restées en Kabylie, qui ont regardé leurs enfants et leurs maris partir. J'y ai mis de l'action en mélangeant la culture kabyle au vent amer de l'exil, de sorte qu'on sente cet exil chez les femmes en Kabylie. J'ai commencé par les vieux, les vieilles puis la nouvelle génération. Le portrait de cette vieille dame de 100 ans est très touchant. Poignant. Comment vous est venue l'idée de parler de ces femmes d'autant que ces dernières sont souvent effacées, oubliées quand on parle d'émigration? J'ai commencé à travailler concrètement sur ce projet en l'an 2000, ayant passé plusieurs fois la «plénière» du CNC français, je n'ai finalement pu obtenir aucune aide du CNC (Centre national de la cinématographie). Je ressentais la nécessité impérieuse de filmer quelques personnages sur le point de passer de l'autre côté de la vie, comme l'ancien engagé militaire dans l'armée française et la vieille dame Tatah, de peur de perdre leur témoignage en images. J'ai donc pris l'initiative d'amorcer le film sans financement aucun. Durant mon enfance, j'ai toujours regardé autour de moi car j'étais un garçon sensible. J'ai toujours aimé observer. J'ai regardé les femmes: ma mère, mes voisines, les villageoises, etc., l'exil les a toujours habitées. Jour et nuit. Elles sont résignées. Une façon de souffrir mais qui est lente. Elles ne pleurent pas. L'exil est là. C'est une lourdeur. Les femmes se racontent entre elles la vie de leur fils ou de leur mari. De façon discrète. En général, il n'y a pas de nouvelles. C'est triste. Cela m'a beaucoup marqué, ces histoires de pères absents, de grands-pères absents... D'autant que c'est un peu la vie de votre grand-mère à laquelle vous dédiez ce film... Oui, bien sûr. Son mari est parti travailler en France. Ses enfants sont partis, aussi, jeunes. Il y en a un qui est resté 20 ans. Cela m'a marqué. Il y a un aspect sociologique dans votre film du fait que vous évoquez les femmes de l'ancienne génération et de la nouvelle génération chez cette jeune fille qui, peut-être, souffre d'un exil intérieur car elle ne se sent pas bien chez elle dans ce pays. Je pense aujourd'hui que dans chacun, aussi bien la fille que le garçon, l'exil habite leur esprit. Les filles partent aussi. J'avais dit dans mon premier film Algérie entre douleur et liberté que l'exil est devenu un mythe (mon premier film tourné en 1998). Les jeunes Kabyles veulent, un jour ou l'autre, partir. C'est ancré en eux. Et c'est dommage. Je ne pense pas qu'il faille partir pour devenir un homme ou quelqu'un d'important. Je pense qu'il faut apprécier sa terre. Il ne faut pas se focaliser à chaque fois sur l'exil. C'est bien de partir pour découvrir d'autres cultures. Pour un artiste, c'est bien, mais que tout le peuple rêve d'exil, c'est catastrophique. C'est ce que vous préconisez donc à travers votre film? De dire aux gens de ne pas partir? C'est d'apprécier plutôt leur terre, leur pays. L'Algérie est un grand pays. Il faut partir dans le désert, notamment, visiter d'autres villes. Il ne faut pas trop s'éloigner car cela provoque après, des familles déchirées. Le garçon finalement est obligé de recomposer sa famille ailleurs, avec d'autres familles étrangères et c'est un déchirement. Peut-on connaître votre parcours? J'ai fait mon collège à Tizi Gueniff à Draâ El Mizan. Je suis parti en France, juste après le bac vers 18-19 ans. Juste au moment où mon père rentrait au pays, moi je suis parti. En quelque sorte, j'ai pris la place de mon père. J'ai fait du théâtre, de la conception et de la réalisation audiovisuelle. J'ai fréquenté d'autres cultures, j'ai réalisé mon premier film, Algérie entre douleur et liberté puis un autre aux Etats-Unis, tourné en Californie, intitulé American sunday. Il retrace la vie d'un groupe de jeunes mineurs qui se rassemble tous les dimanches matin dans une maison pour cuisiner pour les SDF en Californie. J'ai voulu montrer le contraire de ce qu'on voit à la télé, les stars, les paillettes, etc. J'ai voulu montrer l'envers du décor californien. Les Ames de l'exil est enfin mon troisième documentaire. Des projets? Je vais passer incha'Allah à la fiction, à la réalisation d'un long métrage. Pourquoi pas. Cela va se passer peut-être à Paris, ou en Kabylie. Je ne sais pas encore. J'ai plusieurs projets. Il en aura certainement un qui aboutira à quelque chose de concret. Vous-même, vous sentez-vous comme quelqu'un d'exilé? Je vis en France. Je suis souvent aux Etats-Unis. Un artiste n'est jamais exilé en fait. La terre appartient à tout le monde. Il faut être capable de s'installer. Je parle pour un artiste. Pour quelqu'un d'autre aussi. Mais ce n'est pas évident. C'est bien que cela touche quelques individus, mais quand c'est tout le monde, c'est grave. Les mariages mixtes, cela rapproche les cultures. Ça crée des liens. C'est important entre pays. Après, chacun fait comme il peut.