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ZBARBAR
Publié dans L'Expression le 15 - 08 - 2005

Au loin, Palestro, l'ancienne appellation de Lakhdaria, étouffe, noyée dans la fumée asphyxiante.
Saisi d'étonnement, le doigt dans une narine, un enfant d'un âge ingrat, vêtu de pauvreté, escorte, sur un ton surpris, le convoi qui escaladait les collines de Zbarbar. Cette première illustration nous donne déjà un avant-goût de ce que serala suite du scénario. La région la plus haute de Bouira, mais aussi l'une des plus risquées. A la fois chaleureuse et hostile, marquée par une décennie tragique, la visite de ses collines constitue à ce jour une aventure. Ravagée par les feux de forêts, sous un soleil de plomb, un décor apocalyptique fait écho de la bêtise humaine qui ne cesse de sévir. Les squelettes d'arbres ornent épouvantablement les dunes de cendre qui défilent machinalement sous nos yeux. Les démons sont toujours là. Des incendies de faible ampleur continuaient à être actifs dans les maquis de Zbarbar. En un mot, l'on assiste à une mort à petit feu.
En route vers Maâla, une localité qui se réfugie dans le giron de deux collines, la représentation picturale ne donne aucun signe de vie, hormis les quelques habitations érigées sur les deux abords et les petites surfaces de bois qui semble sortir, du moins jusqu'ici, indemne des cruautés commises. La route qui mène vers Zbarbar exigera une peau protégée des coups de soleil et un esprit décontracté et détourné de tout ce qui est habilité à susciter l'alarme. Car, les séquelles du terrorisme sont toujours là, véhicules brûlés, maison détruites et vidées, mais surtout une population traumatisée. La piste est parfois rude et le paysage qui mène vers les hauteurs ne compense rien. D'énormes surfaces grises dessinées sur le dos des collines par une main humaine. Peu de plaques signalent la distance parcourue et/ou la destination des pistes. Après quelques kilomètres d'escalade, nous croisons quelques automobilistes, la plupart d'entre eux à bord de 504 Peugeot, ressemblant aux taximen des premières années de l'indépendance. Nous avions illico l'impression que nous touchons aux confins du pays. Au loin, Palestro, l'ancienne appellation de Lakhdaria, étouffe, noyée dans la fumée asphyxiante.
Pour revenir à l'histoire de Palestro, les annales montrent qu'après l'indépendance la ville a pris l'appellation de Lakhdaria en hommage à un glorieux martyre de la guerre de Libération nationale du nom de Si Lakhdar, originaire de Guergour.
Malheureusement c'est le peu d'informations que nous avons pu récolter sur l'histoire de la région.
La légende de Zbarbar est née, non seulement de la décennie tragique, mais aussi des souffrances de la population qui s'est retrouvée, des années durant, entre le marteau et l'enclume. Le courage se fit entendre sans trop d'efforts sur toutes les figures que nous avons rencontrées. En ce temps-là, c'était la plus redoutable et la plus périlleuse des régions qu'un aventurier puisse envisager. A bord de notre 4x4, les avis sont divers et chacun de nous se faufile parmi ses mille et une réminiscences pour raconter les folles années de Zbarbar.
Un signe de vie
Après un trajet de privations, d'angoisse et d'incertitude, après une escalade sans nourriture, en main des bouteilles d'eau chaude du fait de la chaleur, la peur au ventre et la folie qui s'insinue dans nos cervelles, nous n'aspirions plus qu'à faire l'escale dans la première ville qui se manifeste. Maâla est à quelques kilomètres seulement, annonce-t-on dans le 4x4. Au fil du temps, Maâla revient à chaque seconde dans nos esprits et devint notre deuxième découverte après un itinéraire ressuscitant. Et puis, au bout d'une montée, les premières habitations groupées se font connaître modestement. C'est aussi le premier croisement et la dernière ligne droite avant Maâla. Les extrémités nous fascinent. Le sommet d'une colline, la fin d'une escalade et le début d'une autre...tout cela, en tant qu'extrémité est difficile à atteindre, et donc naturellement fort en émotions et riche de sens. Nous nous apprêtons pour la descente vers la ville de Maâla, la première en fait depuis les dizaines de kilomètres que nous avons parcourus. Rien à voir aussi, et rien qui attire les foules. Une chaussée cabossée ne taquine aucunement les roues des 4x4 qui semblent en plein exercice de puissance. C'est réussi, puisque aucun problème n'est encore survenu.
Ennui et isolement
De l'intérieur de nos véhicules, nous faisons les premières connaissances avec les habitants. Comme les étrangers ne viennent pas souvent, peut-être à cause du passé tragique de la région, de sa sévérité et certaines autres spéculations qui circulent encore, les habitants sont à la fois gentils et surpris par le passage d'un convoi «officiel». En ce mois de juillet, caractérisé par une chaleur torride, les habitants n'ont où se réfugier que leurs domiciles. Ils essayent de trouver une certaine pureté qu'ils ne parviennent plus à dénicher dans cette période où l'incendie et la fumée sont devenus rois des lieux. Même si le paysage ne change pas, mais en descendant encore, nous retrouvons une certaine ambiance chez les résidents de cette petite ville perdue entre les collines. Rien ne vaut une rencontre conviviale à l'entrée des boutiques. Malgré l'attachement des habitants à la montagne et à la région natale, cette même montagne s'est inexorablement vidée de ses habitants. Les conditions de vie très rudes, la difficulté d'y faire vivre une famille, le manque de travail et de revenus, les tragiques années du terrorisme étaient en somme à l'origine de ce dépeuplement. C'est une réalité très perceptible.
Beaucoup de jeunes travaillent actuellement dans les entreprises qui prennent en charge le grand projet de l'infrastructure hydraulique de Koudiat Acerdoun. Heureusement d'ailleurs, les villageois sont conscients que cette situation géographique ne fait pas de miracle. D'entrée de jeu, la région se montrait telle qu'elle est, une terre délaissée qui se cherche et dont l'avenir semble incertain. Une collègue annonça immédiatement la couleur, Il y a de quoi souffrir de solitude et d'ennui. C'était, en fait, un avis partagé. Du fait de l'isolement, chaque rencontre pour les habitants revêtait beaucoup d'importance. A l'opposé le temps, lui, ne comptait pas vraiment.
Après une escale inévitable à Koudiat Acerdoune, nous rebroussons chemin et nous remontons derechef. Le convoi avance tranquillement et nous nous éloignons doucement de Maâla. Le soleil est toujours chaud aux premières heures de l'après-midi et l'air se charge d'une forte odeur de fumée.
Nous croisons pour la seconde fois les villageois et à l'entrée de la ville une ribambelle d'enfants nous escortera dans une joyeuse cacophonie. Pas de halte cette fois-ci, mais nous savons très bien que nous serons chaleureusement accueillis par les habitants. Nous traversons le village, observant au passage les scènes de la vie quotidienne. Sur les dalles, des couvertures traditionnelles et des habits sèchent au soleil, des enfants qui jouent et des jeunes discutent de tout et de rien.
Ce fut la dernière fréquentation et nous nous livrons involontairement au restant de la route, moins intéressant, mais surtout pénible. Nous reprenons encore une fois la descente vers la case départ. En cette heure, une lumière colorée à couper le souffle embrase les paysages agonisants qui semblent appeler au secours.
Sur le bord gauche de la route nationale n°5, Oued Isser sert d'endroit rafraîchissant pour bon nombre d'enfants et de jeunes. Entre deux bordures rocheuses qui s'étendent à perte de vue et qui vont en parallèle avec la plus dangereuse des routes nationales, cet endroit se distingue par sa magnificence et sa fraîcheur. C'est un havre de tranquillité dissimulé dans les fins fonds de la nature sauvage, en l'absence d'un littoral censé oxygéner l'atmosphère irrespirable de la ville de Bouira.


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