Ils sont une trentaine et ils sont âgés entre 6 et 17 ans. La plupart sont des écoliers, habitant à Boukhalfa, à Draâ Ben Khedda et dans les quartiers-bidonvilles du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou. Depuis leur tendre enfance, ils triment dans une décharge sauvage pour survivre et nourrir leurs familles. Nacim, l'un d'eux, s'apprête à passer son baccalauréat lettres en juin prochain. Le visage déguenillé, les mains nues et les vêtements noircis par la fumée, il affirme travailler dans la récupération du plastique et des déchets ferreux depuis au moins six ans. « Mon père est alité et il n'y a que moi pour prendre en charge ma famille », déclare-t-il en toussant à cause de la fumée qui se dégage du milieu des ordures brûlées. Sofiane est le plus ancien et il n'a que 16 ans. Il a commencé à fréquenter cette décharge à l'âge de cinq ans et a quitté l'école à la 4e année primaire. Ses parents n'avaient pas suffisamment de moyens pour lui permettre de continuer ses études, dit-il. « Je me réveille à 5h et je travaille souvent jusqu'au coucher du soleil. Je récupère les bouteilles, les caisses et les chaussures en plastique pour m'acheter des cigarettes, quelques vêtements et siroter un café dignement. Je ne veux pas aller en ville, voler les gens dans la rue pour survivre », lance-t-il, avant de rejoindre ses amis qui ont escaladé une colline d'ordures à la recherche de choses à vendre au récupérateur du coin, installé à l'entrée de la décharge depuis près de vingt ans. Derrière cette colline de déchets, un groupe d'enfants fouille dans des sachets noirs les restes de nourriture pour manger. « Ils viennent tous les jours pour consommer du fromage périmé, du pain moisi et les restes de viandes que les restaurateurs jettent ici », ajoute Sofiane, atterré par le sort réservé à ces gamins, en âge de jouer et de faire des études. « Je trafiquerai un certificat de scolarité de niveau de 9e AF pour pouvoir suivre une formation de pâtissier », ajoute Djamel, âgé de 14 ans seulement. A quelques mètres, un SDF ne dépassant pas la trentaine, crie de joie après avoir trouvé six boîtes de yaourt et des bouts de pain roulés dans un sachet. « J'ai de quoi calmer mon estomac aujourd'hui », dit-il à l'adresse de son voisin, un retraité de 57 ans. Cet homme, vit dans une chambre et une cuisine avec sa femme et ses huit enfants depuis plus de 30 ans. Tourneur, fraiseur et peintre à la fois, il affirme avoir frappé vainement à toutes les portes pour trouver un emploi. « Pour travailler chez l'Etat, il faut avoir des appuis dans l'administration tandis que chez les entreprises privées, rares sont celles qui vous payent votre dû », déclare ce père de famille, entre deux bouffées de cigarettes. Au milieu de ce décor dominé par l'odeur nauséabonde des ordures et l'air asphyxiant de la fumée, l'arrivée d'un camion ou d'un tracteur, chargés d'ordures, provoque un climat d'euphorie chez ces bambins. En faisant ce métier qu'ils n'ont pas choisi, ils ne gagnent pas plus de 200 DA par jour, lorsqu'ils sont correctement payés par le récupérateur du coin qu'ils qualifient d'escroc. « Même en le surveillant, il triche dans la pesée et refuse parfois de nous payer le jour même sous prétexte qu'il n'a pas d'argent sur lui », dénonce Salim âgé de 9 ans. Appelé à la rescousse par Ameziane qui s'apprête dans quelques jours à passer son examen de BEM, Salim a failli se blesser au pied par une barre de fer se trouvant sur son chemin. « On se blesse souvent ici par les débris de verre, des barres de fer rouillées et des morceaux de bois que l'on ne voit pas lorsqu'on trie les ordures », dira Sofiane, réparant ses claquettes avec des fils électriques. Saïd venait juste d'arriver. Il ramasse des pièces, de vieux vêtements et autres ustensiles pour les vendre dans le jardin public du centre-ville de Tizi Ouzou. « J'ai trois petits enfants qui m'attendent à la maison », lance-t-il, le regard chargé de colère. A l'entrée du site, des éboueurs de la commune de Tizi Ouzou déchargent aussi leur butin. Eux aussi s'adonnent à cette activité pour boucler des fins de mois trop difficiles. Pendant ce temps, Nacim, Sofiane et les autres enfants de la décharge se voient dans la peau des futurs harraga s'ils arrivent évidemment à survivre à cette fumée qui les consume de l'intérieur. « Ce pays ne nous a rien offert, et nous n'avons rien à lui donner en retour », conclut Lakhdar.