La réconciliation, il n'y a pas de doute, est un principe généreux qui dépasse les divergences et les différences singulièrement politiques. Aussi, dans son projet de «Charte pour la paix» le président Bouteflika fait de la réconciliation nationale l'alpha et l'oméga de sa politique en vue de rétablir la concorde et le consensus nationaux. De fait catégorique, M.Bouteflika affirme qu'il n'y a pas d'autre alternative à l'entente nationale qu'il préconise, indiquant «la réconciliation que je vous propose représente le seul compromis autorisé par les équilibres nationaux». Cette précision du premier magistrat du pays est lourde de sens dans la mesure où elle exclut, d'emblée, toute autre interprétation à la démarche qu'il compte faire ratifier par le peuple algérien le 29 septembre prochain. De fait, il est patent que, pas plus que les autres communautés dans le monde, le peuple algérien n'est pas enclin à la violence quoique il eut, au long des siècles, à défendre, souvent les armes à la main, sa dignité et sa liberté. Cela pour dire qu'aucun Algérien n'est, en fait, contre le principe d'une régénération de la confiance nationale. Mais à quelles conditions? La paix, comme la guerre, a un prix. Et les Algériens qui ont eu à payer le prix fort à la guerre -des dizaines de milliers de morts- savent que celui de la paix n'en sera encore que plus lourd, au plan humain et moral par les sacrifices qu'il implique. Or, comme la guerre, la paix est d'abord, avant tout, un acte politique. La guerre a fait des dégâts, a laissé des séquelles qui sont lentes à se cicatriser. Aussi, M.Bouteflika a-t-il parlé aux coeurs lorsqu'il dit: «Nos orphelins se comptent par centaines de milliers: les uns parce que leurs parents sont tombés en défendant la patrie, les autres parce que leurs parents ont pris les armes contre cette même patrie, d'autres encore, plus nombreux, se sont retrouvés seuls et abandonnés du fait de la démence terroriste (...)» Aussi, affirme le président Bouteflika, «(...) la nation algérienne et la grande famille de tous ces orphelins. Elle saura en prendre soin et assurer leur avenir, mais elle devra aussi veiller à éloigner de leurs coeurs innocents les germes mortels de la haine et de la vengeance». C'est le bon sens même. Il ne fait pas de doute que cela part d'un bon sentiment et surtout c'est moral, d'autant plus qu'il appartient à l'Etat de protéger ses pupilles. Il est vrai que la haine et la vengeance sont mauvaises conseillères et l'Algérie a acquitté un trop lourd tribut pour se laisser aujourd'hui entraîner vers d'autres violences. Et c'est essentiellement cela l'objectif recherché par la «Charte pour la paix» défendue par M.Bouteflika. Certes, le pardon est dans la nature même de l'homme, car dans tout homme existe un fond sain qui sait faire la part des choses. Aussi, pour les Algériens, et plus encore pour les victimes du terrorisme, pardonner ne doit pas être insurmontable. Mais, pardonner a ses règles, dont l'une, sacrée, est de payer ses dettes envers la société. Comment pardonner, lorsque la justice n'a pas fait son office, quand des zones d'ombre persistent dans la prise en charge des repentis, dont nombre d'anciens émirs paradent dans les rues de nos villes et villages, quand des garde-fous ne sont pas érigés pour prévenir une telle récidive de cette dérive et de ce fléau? Le président a bien insisté sur le fait que les anciens dirigeants qui, de près ou de loin, ont instrumentalisé la religion sont interdits de tout exercice de la politique sous quelque forme que ce soit, entendre par là les anciens dirigeants du FIS, dont le dossier est ainsi définitivement clos. Mais cette interdiction, a posteriori, de l'utilisation de la religion à des fins politiques ne semble concerner que des responsables islamistes déjà hors circuit laissant en suspens la question des partis qui utilisent, ou ont des velléités à utiliser, l'islam comme paravent. Après les terribles années que l'Algérie a passées, le débat sur l'intégrisme politique ne peut être ni évité ni ajourné. Aussi, la position de l'Etat sur cette question demande à être clarifiée, car c'est seulement dans la clarté et la transparence que l'Algérie pourra dépasser cette noire période et repartir du bon pied. La réconciliation aura alors le même sens pour tous dans un pays enfin apaisé. Sans doute que la prochaine campagne éclairera les zones demeurées opaques et qui méritent explication. Comme le précise à juste raison le président Bouteflika, la réconciliation est l'affaire de tous les Algériens, aussi gagnerait-elle à éviter les ambiguïtés dont les seuls bénéficiaires seront encore ceux qui sont habitués à jouer en eau trouble.