Le plébiscite accordé par le peuple à Bouteflika donne désormais - du moins en apparence - toute la légitimité populaire au président de la République. C'est ce que recherchait visiblement ce dernier en décidant de soumettre à référendum le projet de charte pour la réconciliation nationale en l'articulant sur le principe de la paix. Mal élu en 1999 pour un premier mandat hasardeux, en raison du retrait intempestif de six candidats à la présidentielle qui soupçonnaient l'Armée de l'avoir choisi par avance, Bouteflika n'a jamais pu s'y faire à cette intronisation, pour le moins douteuse, et qui donc suscitait les commentaires les plus dévalorisants. Il faut dire que, sur une même longueur d'onde, en dépit de leurs divergences politiques, les postulants récalcitrants à la magistrature suprême avaient réussi à convaincre une bonne partie de l'opinion publique sur la nature de cette vraie-fausse élection qui ressemblait à leurs yeux à une grossière mascarade.Ils avaient averti contre la manipulation, en optant pour la démission pure et simple, la veille du vote, dans l'espoir de faire capoter l'opération électorale, laissant le président-candidat seul face à sa conscience. Cette épreuve ne découragea pas outre mesure Bouteflika, qui avait affiché ses ambitions, lui offrit en revanche des suffrages assez conséquents pour lui permettre de tenir la barre. Mais la légitimité populaire, tel qu'il l'espérait, restait pendante, d'où ses fureurs contre tous ceux qui faisaient allusion à son retour « piloté » à la tête de l'Etat. « Je ne suis pas un quart président », ne cessait-il de répéter pour essayer d'effacer cette mauvaise image qui lui collait à la peau. Son obsession sera de prouver que la confiance qu'on avait placée en lui n'était pas fortuite. Dans un pays encore fortement marqué par la violence terroriste, Bouteflika choisit cependant la voie la plus sensible pour affirmer sa crédibilité, celle de se présenter comme un homme de paix dont la priorité est de rétablir la sécurité et la stabilité. Il lui fallait pour cela gérer les équilibres entre, d'une part, l'armée et le pouvoir politique, et d'autre part, les différents courants politiques et idéologiques. Mais alors qu'on attendait qu'il soit au-dessus de la mêlée, et d'avoir une vision portée sur l'élargissement du champ démocratique, il se fait remarquer par des positions partiales qui allaient donner progressivement plus de poids aux conservateurs et à la mouvance islamiste, au détriment des démocrates qui mirent du temps pour comprendre son jeu. Avec la concorde civile, et parce qu'ils demandaient plus de précisions sur cette initiative, et de surcroît un large débat pour que les citoyens sachent véritablement où mettre les pieds avant de se décider, les démocrates se sont vu encore marginalisés. Bouteflika avait choisi son camp. Cette marque du territoire sera plus nette avec la récente charte sur la réconciliation nationale qui reprend et complète le contenu de la concorde civile. A la différence que cette fois-ci, le peuple, séduit par la sortie de crise qui passe par la paix et donc par le « oui » massif, adhéra spontanément à son plan. Loin de se soucier que ce projet qui réhabilite les terroristes écarte un peu plus les partis d'opposition démocratique qui, dans les moments de tourmente, ont été du côté du peuple pour éviter à l'Algérie de sombrer dans la spirale intégriste, de connaître un sort à l'iranienne. Il reste néanmoins à tous les Algériens qui ont subi le délire d'une campagne, loin d'être innocente, cette question lancinante de savoir de quoi sera fait l'après-charte. Doté de tous les pouvoirs, et fort d'une légitimité incontestable, Bouteflika est, contrairement à ce qu'on pense, mis devant ses responsabilités. Si la paix est déjà dans les esprits, il faudrait convaincre l'opinion publique quant à l'issue de tous les problèmes en suspens et qui ont pour nom : chômage, droits de l'homme, libertés publiques, justice, éducation, etc. La charte sera-t-elle une sorte de baguette magique venue améliorer le quotidien des Algériens ? Au moment où tout un chacun retrouve, après l'euphorie électorale, la réalité de son vécu, il ne faut surtout pas déchanter.