«Le discours politique intéresse ceux qui font de la politique, mais c'est bien le discours religieux qui peut influencer les maquis islamistes.» Le président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (Cncppdh), Farouk Ksentini, a eu à gérer pendant deux années la commission ad hoc sur les disparus, comme il a été très proche à la fois du président de la République et des islamistes, qui lui faisaient part de leurs plaintes ou de leurs exigences. Personnage controversé pour ses prises de position très «collées» à celles du président, il demeure néanmoins un homme prolixe, intéressant, audacieux dans son langage et exubérant à souhait. Quelle première évaluation faites-vous du contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale? Ce qui pouvait arriver de mieux pour l'Algérie, je vous le jure, et je vous parle du fond du coeur, sans préjugés, ni démagogie. Peut-on sérieusement réfléchir à de nouvelles perspectives sans rétablir la sécurité? Quel avenir peut-on imaginer sans paix civile? Il n'y a pas d'avenir sans une paix civile, et on ne peut faire redémarrer notre économie sans qu'il y ait de paix, une adhésion totale à la paix. Je vais même vous dire quelque chose de plus fort encore, et à laquelle je crois profondément : le discours du 14 août concernant l'amnistie et la réconciliation après douze ans de guerre est une date aussi importante que le 1er Novembre 1954, par sa portée historique, culturelle, politique et civilisationnelle. C'est une date qui compte, et le discours qui avait annoncé le projet est le meilleur discours jamais prononcé par le président Bouteflika. Beaucoup de réserves ont été enregistrées concernant les mesures à appliquer contenues dans le projet de Charte, et qui vont du dossier insoluble des disparus au casse-tête de l'amnistie pour les groupes armés... Je vous comprends bien, mais laissez-moi vous dire qu'il n'existe aucune amnistie ni projet de paix qui ont fait l'unanimité dans le monde. Aucun projet de paix dans le monde n'a eu l'adhésion du peuple à 100%, et je trouve que cela est tout à fait normal. Nous ne sommes plus dans un règne de parti unique, on est en démocratie, les gens s'expriment et tout le monde a le droit à la parole. C'est donc dans la logique des choses qu'il y ait des voix discordantes qui disent non, qui critiquent. Nous assistons à une flambée de violence depuis l'annonce du projet pour la paix en Algérie. Comment faire pour persuader les derniers irréductibles du Gspc à rallier l'offre de paix? Ecoutez, ces gens-là, il faut les combattre, continuer encore à les combattre, il faut les réduire au silence. C'est en étant victorieux qu'on fait une offre de paix et qu'on arrive à convaincre les vaincus. Il y a aussi ce rapport de force. Un extrémisme est persuadé d'abord par la force, la paix viendra par la suite... Il y a aussi le fait que le discours politique ne porte pas et n'a jamais porté, s'agissant de groupes qui ont choisi un langage plus ésotérique, théologique et religieux... C'est vrai, et c'est pour cela que je dis que les chefs islamistes doivent s'impliquer davantage dans le processus de paix, s'engager avec nous et faire entendre leurs voix. Je suis sûr que parmi eux, il existe des hommes assez influents pour faire fléchir au moins certains terroristes, et vous savez à qui je pense ... Vous voulez parler de Ali Benhadj? Je vous parle de Ali Benhadj, mais aussi de Abassi Madani, de Abdellah Layada et des autres chefs islamistes qui peuvent avoir un rôle à jouer dans le rétablissement de la paix. J'ai reçu par le biais de son fils une lettre de Abdellah Layada, le premier chef du GIA, en prison depuis 1993, et dans laquelle il affiche sa disponibilité à appuyer la paix civile et la réconciliation, pour peu qu'on le laisse faire. Les islamistes sont des Algériens à part entière, après tout, et même si je désapprouve leur politique, en dehors du FIS ce sont des Algériens qui ont le droit à l'expression, et à plus forte raison lorsque cette expression peut mener certains hommes en armes à cesser la violence... Vous pensez donc qu'avec la participation de tous la, paix peut être rétablie de façon définitive? Oui, je le pense, et il n'y a pas de raison pour ne pas le penser. Le grand rassemblement des Algériens autour de ce projet est le meilleur gage pour l'avenir, mais encore faut-il l'adhésion voulue pour qu'il réussisse avec une grande marge. On a souvent observé que les pays qui ont établi avant nous des politiques de paix et d'amnistie, comme le Salvador, la Colombie, l'Afrique du Sud, le Pérou, le Guatemala ou le Venezuela, sont revenus, des années après, demander la vérité et réclamer la justice. On a voulu pardonner et oublier, mais en fait, rien n'a été pardonné et rien n'a été oublié... Oui, c'est une question très pertinente et très complexe à la fois. Dans tous les pays que vous avez cités, il y eu des retournements d'opinions des années plus tard, seulement je crois que la situation en Algérie est un peu spécifique. Nous sommes un pays musulman et les musulmans ont cette capacité religieuse de pardonner, d'oublier, de se convaincre une bonne fois pour toutes, et avec l'ardeur de la foi, que le pardon et l'oubli ne sont jamais vains.