Une rencontre qui semble pleine de promesses Il est vrai que, prenant acte du contexte difficile dans lequel les Etats-Unis ont mis le monde, adversaires et partenaires compris, les deux dirigeants avaient tout intérêt à insister sur les points qui les rapprochent plutôt que sur ceux qui les divisent. Près d'un an après la rencontre organisée en grande pompe pour accueillir le président russe à Versailles, le président français Emmanuel Macron était en visite officielle en Russie où il a eu des entretiens importants avec Vladimir Poutine. Reçu au palais de Constantin où s'était tenu le sommet du G20 en 2013, le président Macron avait au menu des entretiens plusieurs sujets de première importance, comme le dossier du nucléaire iranien, la crise ukrainienne ou la paix en Syrie ainsi que les enjeux de la coopération économique, l'Union européenne ayant imposé à Moscou des sanctions au lendemain de l'annexion de la Crimée. Le but avoué de Emmanuel Macron était de profiter d'un «dialogue substantiel pour dégager des points d'accord communs» et de tendre ainsi la main à la Russie pour la rapprocher de l'UE. Concours de circonstance oblige, la sortie fracassante des Etats-Unis de l'accord nucléaire iranien et les menaces exprimées par Washington à l'encontre de toutes les entreprises qui travailleraient avec Téhéran ont conféré une importance primordiale à ce rendez-vous. Les relations sont en effet tendues entre Moscou et Bruxelles depuis l'affaire de la Crimée, en 2014, suivie de la question ukrainienne, puis de l'incident lié à la tentative d'assassinat de l'ancien agent double russe Sergueï Skripal en Angleterre. Le Royaume-Uni ayant aussitôt accusé la Russie d'en être l'instigateur, plusieurs pays européens ont rappelé leurs ambassadeurs en signe de soutien. Mais aujourd'hui, l'UE a grandement besoin de la Russie pour contrebalancer le diktat américain et surmonter les blocages annoncés par Donald Trump. Hasard du calendrier, le déplacement de M. Macron intervient une semaine après la rencontre entre la chancelière allemande, Angela Merkel, et M. Poutine à Sotchi, la station balnéaire russe. Les discussions n'avaient pas permis à ce moment-là d'entrevoir une embellie des relations. Et c'est l'occasion pour M. Macron qui table sur une stratégie visant à mettre la France au centre de tous les dialogues pour sceller un rapprochement spectaculaire avec la Russie, détachée du contexte européen. «Si la France veut être respectée, elle doit parler à tout le monde, mais aussi être capable d'agir lorsque des lignes rouges sont franchies», a-t-il argumenté au Journal du Dimanche, dans un entretien publié le 6 mai. «Je veux un dialogue stratégique et historique avec Vladimir Poutine pour lier la Russie à l'Europe et ne pas la laisser se replier sur elle-même», a-t-il ainsi proclamé. Un discours qui ressemble étrangement aux envolées lyriques qui ont eu cours durant la visite d'Etat du président français à Washington où les entretiens avec le président américain Donald Trump avaient donné lieu à des effusions et des démonstrations attachantes que les jours suivants allaient brutalement démentir. A Moscou, l'ambiance était différente et pour cause. Le président Poutine n'est pas homme à se laisser prendre dans des congratulations débordantes mais le dialogue aura été, somme toute, «extrêmement direct et franc». «Je suis très lucide sur les incompréhensions qui ont pu exister et s'installer entre nous, d'une part, même si l'essentiel ne nous est pas imputable, a dit le président français, mais elles sont là». Comme sont là les divergences sur le nucléaire iranien pour lequel Paris plaide en faveur d'un nouvel accord incluant le programme balistique iranien et son activité nucléaire afin de ramener Washington à la table des négociations, d'une part, et le dossier syrien dans lequel la France participe aux attaques contre le régime au sein de la coalition internationale. Deux sujets dans lesquels Moscou et Paris ont des vues diamétralement opposées. «La France est notre partenaire traditionnel, nous tenons à nos relations et maintenons un dialogue politique très intense», a constaté, pour sa part, Vladimir Poutine, considérant que les pourparlers s'étaient déroulés «dans une ambiance très ouverte et ont été très utiles». Il est vrai que, prenant acte du contexte difficile dans lequel les Etats-Unis ont mis le monde, adversaires et partenaires compris, les deux dirigeants avaient tout intérêt à insister sur les points qui les rapprochent plutôt que sur ceux qui les divisent. C'est ce qui explique la surprenante déclaration du président Macron parlant d'une France «non alignée» au moment même où il tente de rapprocher ses positions de celles de Moscou pour faire face aux pressions de l'administration Trump. C'est ainsi que Vladimir Poutine a réaffirmé sa volonté de respecter l'accord nucléaire iranien tout en gardant ouverte la porte de discussions éventuelles sur les trois sujets soulevées par les Européens: la non- prolifération après 2025, les armes balistiques iraniennes et l'activité de Téhéran au Moyen-Orient. Quant au dossier syrien, de vagues réflexions ont conduit à souhaiter un mécanisme de coordination entre les deux formats concurrents que sont le processus d'Astana et celui du «small group» (puissances occidentales et Arabie saoudite). Pour finir, M. Macron a tendu la main à la Russie pour «tourner la page de 25 ans d'incompréhensions» et l'«ancrer dans l'UE» tant il croit «très profondément qu'elle a son histoire et son destin dans l'Europe». Reste à savoir si telle est vraiment l'ambition du Kremlin. C. B.