img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P180603-24.jpg" alt=""J'AI TOUJOURS PARLé D'EXIL DANS MES TRAVAUX"" / L'Expression: Quel sens donnes-tu à cet hommage, un historien peut-il prendre sa retraite? Benjamin Stora: Il s'agit d'une retraite administrative, la fin de mon activité rémunérée par l'Education nationale (depuis plus de 35 ans!), un enseignement dispensé dans une dizaine d'établissements différents comme Paris 7, Sciences Po, l'Inalco, Paris 13, etc. Et non d'une «retraite intellectuelle», bien sûr. Je continuerai à écrire et publier. Ce sont quelques-uns de mes anciens doctorants, en particulier Naima Yahi et Marie Chominot qui ont organisé la manifestation de Marseille. L'une a soutenu sa thèse sur l'histoire culturelle de l'immigration algérienne; l'autre sur les photos prises pendant la guerre d'Algérie. Deux grandes thèses universitaires. Dans «Mai 68 et après» tu as un regard critique sur des camarades militants fourvoyés dans le notabilisme des appareils. Ne crains-tu pas d'être à ton tour rattrapé par les effets de la notoriété? Y a-t-il loin du militant qui découvre la France au personnage public que tu es devenu? Il y a ce grand risque d'être happé par la notoriété, d'oublier ses origines, ce que l'on doit à tous ceux qui m'ont soutenu, aidé. Je suis resté fidèle à mes amis, à l'histoire de l'Algérie, à la gauche française, malgré les coups encaissés et les désillusions. En quittant le militantisme politique, j'ai toujours pris soin d'avoir une activité salariée. Je n'ai jamais fait de la politique un métier, de ne vivre que de cela. J'ai toujours voulu conserver mon indépendance d'esprit. On ne peut pas évoquer l'hommage qui t'est rendu sans citer le torrent de haine qui se déverse et les menaces qui te ciblent. Comment expliquer cela plus de 60 ans après la fin de la guerre? Il existe encore des petits groupes qui refusent de voir l'histoire accomplie, qui n'acceptent toujours pas le passage aux indépendances politiques dans les pays colonisés. C'est particulièrement vrai pour l'Algérie, colonisée pendant 132 ans, où les blessures n'arrivent pas à se cicatriser. Une partie de ce que l'on appelle les «pieds-noirs» ne veulent voir qu'un seul côté de l'histoire, la leur, sans s'intéresser à celle des Algériens qui voulaient leur liberté. Ils avaient réussi en 2012 à faire en sorte que je ne puisse pas organiser une exposition sur l'oeuvre de Camus à Aix-en- Provence. Mais leur écho est de plus en faible en France. Les nouvelles générations veulent pouvoir regarder avec lucidité le passé colonial et esclavagiste. Tu es, à juste titre, considéré comme l'un des spécialistes de l'histoire du nationalisme algérien et de la guerre d'indépendance. Sur ce terrain quels chantiers seraient encore à ouvrir? Beaucoup de chantiers restent encore à explorer: la brutalisation de la société algérienne, le nationalisme de compromis avec la France, la dépossession culturelle, les rapports entre le religieux et la politique, ect. Une partie notable de tes derniers ouvrages se signale par sa dimension autobiographique avec en particulier un intérêt marqué pour le judaïsme algérien. Est-ce seulement une démarche d'historien ou un retour plus personnel sur le fait religieux? Ce n'est pas un retour personnel sur le fait religieux, mais la poursuite de l'exploration du «monde indigène» pendant la colonisation. Même si les juifs algériens ont été séparés des musulmans par le decret Crémieux de 1870, ils ont longtemps appartenu au même univers, avec, en particulier, l'usage de la langue arabe, progressivement perdue dans le parcours d'assimilation culturelle à la France. Et puis, il y a une actualité pressante: la volonté de dissocier juifs et musulmans, d'occulter 15 siècles d'histoires communes. C'est pourquoi, j'ai dirigé avec le regretté Abdelwahab Meddeb, une «Histoire des relations entre juifs et musulmans», publié en 2013. Comment préside-t-on le Musée de l'immigration quand on s'appelle Benjamin Stora et particulièrement dans ce climat singulièrement hostile aux migrants? C'est une entreprise difficile, mais indispensable pour tenter de contrer les fantasmes et stéréotypes négatifs sur les migrants. Voilà quatre ans que je préside ce Musée, et nous avons réussi de belles expositions sur les frontières, les étrangers dans la mode, les tsiganes... Des débats sur la citoyenneté, le rôle de l'école, l'ouverture au monde des autres... C'est pour moi une suite militante dans le combat antiraciste. Dans «Les clés retrouvées» tu écris: «On doit se détacher de sa langue, de sa culture, de ses ancêtres, pour être français.» Faut il alors plus parler d'exil que de rapatriement pour ceux qui venaient d'Algérie? J'ai effectivement utilisé la notion d'exil dans plusieurs de mes ouvrages ou documentaires, plus que de rapatriement. Le détachement imposé de la culture ne peut pas faire disparaître l'attachement aux origines.