Pour le président, il s'agit bien de la fin des privilèges. De l'impunité aussi En vertu de quel droit a-t-on pu céder ces villas mauresques et accepter qu'elles constituent une «zone privée» à laquelle a même été annexée une plage également «privatisée» dans l'Algérie indépendante? Cette zone de «non-droit», le président Bouteflika vient-il de l'éliminer? La dernière décision du président Abdelaziz Bouteflika portant sur l'incessibilité des biens de la résidence d'Etat Sahel pousse à croire que les anciens adages finissent toujours par se vérifier dans la vie de tous les jours. Ne dit-on pas que «bien mal acquis ne profite jamais». Et ces biens dont l'Etat a été dépossédé, il y a une vingtaine d'années, sont bien évidemment les villas de Moretti. Cet ensemble immobilier, faut-il le rappeler, appartenant au ministère du Tourisme, a été annexé en 1996 à la résidence d'Etat Sahel avant d'être cédé à des particuliers, l'année suivant son annexion. Les bénéficiaires sont, est-il nécessaire de le souligner, de hauts cadres de l'Etat qui en accaparant ce petit coin de paradis, ont fini par le privatiser. Important que de préciser qu'en 1997, la centaine de maisons coloniales ont été cédées à des prix modiques ne dépassant pas les 60 millions de centimes! Certains affirment qu'elles ont été cédées juste à 20 millions de centimes. 20 ou 60 millions, ça reste une somme modique face aux milliards de centimes demandés, quelques années plus tard, pour leur vente! En vertu de quel droit (et non loi, car ceux qui se sont permis un tel pillage des biens publics se sont couverts par un décret de cession des biens de l'Etat) a-t-on pu céder ces villas mauresques et accepter qu'elles constituent une «zone privée» à laquelle a même été annexée une plage également «privatisée» dans l'Algérie indépendante? Cette zone de «non-droit», le président Bouteflika vient-il de l'éliminer? La question mérite d'être posée car dans son décret publié le 20 juin dernier, le chef de l'Etat a ordonné la récupération des biens immobiliers de la résidence d'Etat Sahel. Cette résidence comporte les biens du Club-des-Pins et de Moretti cédés à des particuliers. «L'ensemble des structures relevant du patrimoine de l'Etablissement public de la résidence d'Etat du Sahel, tel que défini par l'article 16 du décret exécutif n°97-294 du 5 août 1997, susvisé, est frappé d'incessibilité», stipule l'article 1 de la directive présidentielle. L'article 2 de ce même décret précise que la totalité des villas, des appartements, des chalets, des locaux et des terrains est frappée d'incessibilité, y compris les biens vacants datant d'avant l'indépendance. Cependant et à en croire des juristes, les nouveaux acquéreurs détenteurs d'actes de propriété ne sont pas du tout concernés par le décret qui vient d'être publié. Il s'agit là du principe connu qui dit que la loi n'est pas rétroactive. Mais le doute persiste car le décret présidentiel souligne que «toutes dispositions contraires au présent décret, notamment celles du paragraphe 2 du point 1 de l'article 16 et de l'alinéa 2 de l'article 17 du décret exécutif n° 97-294 du 5 août 1997 susvisé, sont abrogées». De quoi s'agit-il? Le paragraphe 2 de l'article 16 avait placé hors du patrimoine de la résidence d'Etat les «structures et locaux datant d'avant l'indépendance, occupées en propriété ou en location» et les «structures et locaux qui sont transférés pour gestion au domaine public». En ce qui concerne l'alinéa 2 de l'article 17 abrogé, il stipulait que «toute modification du fonds social intervient par décret, sur proposition du directeur général de l'établissement, après avis du conseil consultatif». Est-ce que cela signifie que le décret de cession de 1997, qui modifie le fonds social de la résidence d'Etat, est annulé? Peut-on annuler la vente qui s'est produite il y a 20 ans? Si cela est possible, il faut donc s'attendre bientôt à des mises en demeure et peut-être même, en cas de refus d'exécution, à des expropriations de force. Nul ne sait, toutefois, s'ils vont être indemnisés et à quel prix? En fait, la décision du président s'inscrit d'une certaine manière dans le cadre de la lutte contre la corruption. Car, il faut dire que la résidence d'Etat, créée en décembre 1992 par un décret exécutif signé par Belaïd Abdesslam, qui était alors chef du gouvernement, devait constituer, durant la période du terrorisme, une zone sécuritaire pour les hauts fonctionnaires, les dirigeants politiques, des parlementaires et autres personnalités nationales. Une mesure temporaire qui n'a plus son justificatif aujourd'hui que la paix est de retour. Et même si ces hauts cadres ouvrent droit à une résidence d'Etat, ne sont-ils pas tenus d'abandonner ce privilège, une fois qu'ils ne sont plus en fonction? Or, ce n'est pas le cas de nombre de responsables. Mieux, ces hauts fonctionnaires ont-ils honoré, ces 20 dernières années, les charges de leur habitation? La question mérite d'être posée, à voir le montant alloué à la prise en charge des résidences d'Etat. Selon le rapport de la Cour des comptes sur le projet de règlement budgétaire pour 2014, cette institution a révélé que 2,242 milliards de DA ont été attribués par le Premier ministère à la résidence d'Etat. Il s'agit là de l'argent du contribuable à qui on interdit, depuis des années, l'accès à la station balnéaire de Moretti. L'opacité avec laquelle a été gérée la cession des villas de Moretti et le lancement, dernièrement d'une seconde opération de cession a poussé le chef de l'Etat à réagir et mettre le holà afin de stopper le bradage des biens de l'Etat. Pour le président, il s'agit bien de la fin des privilèges. De l'impunité aussi.