«A ceux qui sont morts pieusement pour la patrie, il faut qu'à leur chevet la foudre vienne et prie.» Victor Hugo L'esprit de cette citation rend, de notre point de vue, avec justesse le combat de tous ceux qui, à l'instar de Boubekeur Belkaïd, avait l'Algérie chevillée au corps. En écoutant l'autre jour la radio, la speakerine nous a rappelé avec tristesse la disparition de celui qui criait à qui voulait l'entendre: «Mazal l'espoir», une fin de septembre des années 9°. Si on doit rendre hommage à tous ceux qui sont tombés pendant cette décennie noire, il me paraît moral d'évoquer aussi un autre enfant de l'Algérie en la personne de Boubekeur Belkaïd qui avait une certaine idée de l'Algérie. Qui se souvient en effet du combat de Boubekeur Belkaïd? Qui peut témoigner de son passé révolutionnaire, de ses années de prison, de son engagement dans la «Septième Wilaya» De ses différents passages dans la haute administration, il a toujours laissé l'image d'un homme d'Etat qui savait écouter, qui prenait tout son temps pour convaincre avec une force de persuasion sans égal, mais qui savait prendre les décisions qui s'imposaient après s'être assuré par des consultations multiples, en les assumant. Qui se souvient de Boubekeur Belkaïd comme directeur de l'ENA, comme secrétaire général, comme ministre de l'Habitat et pour ce qui nous concerne comme ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. J'ai eu le privilège de collaborer avec lui dans la gestion du secteur de l'enseignement supérieur. Il nous répétait souvent qu'il était invité de la famille de l'enseignement supérieur et qu'il était là pour dynamiser une synergie des bonnes volontés. Boubekeur Bekaïd avait compris très vite qu'il fallait stabiliser le ministère de l'Enseignement supérieur en tentant de ramener la sérénité après 1988, dans une époque de contestation à outrance, où tout le monde se mettait en grève pour un oui ou un non. Belle époque du printemps de la liberté de la parole qui permettait des débats épiques avec une efflorescence d'idées. Boubekeur Belkaïd n'avait pas son pareil pour dégoupiller des situations inextricables. Il me fut donné d'apprécier sa capacité de travail. Il disait toujours: «Moi je cours, que celui qui peut tenir la distance avec moi me suive». C'était aussi un homme d'ordre et de dossiers. Il s'était entouré, au fil des ans, d'une équipe de collaborateurs compétents et dévoués à l'extrême, et d'un département ministériel à un autre, il y avait «ses invariants» qui lui permettaient d'être rapidement opérationnel. Repose en paix , cher Boubekeur, ton sacrifice ne sera pas vain, l'Algérie sortira de son coma et se tournera résolument vers l'avenir. Cet avenir qu'il nous décrivait avec passion, pétri des classiques, il ne détestait pas, pour autant, émailler ses propos de citations appropriées du terroir profond. Une anecdote parmi des centaines, pour décrire la modernité et le retard tragique des mentalités algériennes dû au colonialisme. L'histoire de l'émigré qui acheta à Paris, un lustre lumineux qui l'avait... ébloui, avec, naturellement son interrupteur. De retour dans son village natal, il accroche tant bien que mal le lourd lustre au plafond, et l'interrupteur au mur. Appelant sa famille et ses voisins pour leur montrer la merveille, il appuie sur l'interrupteur et à son grand désespoir, il ne se passe rien, tragiquement rien. Avec son style imagé et son sourire entendu, Boubekeur Belkaïd nous parlait de la modernité du développement, de l'impossibilité d'y entrer par effraction, si ce n'est après un lent et long parcours initiatique fait de travail à marche forcée, de sueur, de privation, de nuits blanches et d'abnégation. «L'émigré n'a pas compris que derrière l'interrupteur il y a l'électricité, les câbles haute tension, la centrale électrique, bref la maîtrise du savoir». C'est tout le sens des défis auxquels est confrontée l'Algérie. Curieusement, cette date anniversaire est celle d'un désir de réconciliation du peuple algérien. Après le vote massif, voici venir le temps du travail, de la mise en oeuvre de cette quête de paix qui ne peut être une réalité que si les malentendus sont levés. Il s'agit de savoir comment offrir une perspective par-delà les politiques, à cette jeunesse pour qu'elle s'accepte, se sente bien, ne pense pas à émigrer. Nul doute que le plus dur reste à faire. Quelle perspective en termes de projet de société multidimensionnel peut-on mettre en oeuvre pour être en phase avec le savoir, la science, tout en n'étant pas déraciné ni du point de vue identitaire ni du point de vue religieux. Sans nul doute la solution est en Algérie. Boubekeur Belkaïd disait qu'«on n'avait pas de patrie de rechange». Il a mille fois raison.