Merkel à Ankara en février 2017 «La déclaration de Mezut Özil: 'Allemand quand je gagne, turc quand je perds'' résume très bien la discrimination de joueurs en Allemagne», a encore lancé le président turc dans un entretien au groupe de presse Funke, hier. Recep Tayyip Erdogan dénonçait en 2017 les «pratiques nazies» du gouvernement allemand. Un an et demi après, le président turc entame, aujourd'hui à Berlin, une visite d'Etat censée réconcilier les deux pays, malgré des protestations. Entre Ankara et Berlin, les sujets de friction n'ont pas manqué ces dernières années, du putsch manqué en 2016 contre M. Erdogan qui a reproché à l'Allemagne la timidité de son soutien, aux arrestations de ressortissants allemands en Turquie, dont des journalistes. Mais l'heure est au dégel, même si cinq Allemands restent toujours emprisonnés, selon les dernières données du ministère des Affaires étrangères. «Le premier objectif de cette visite est de mettre définitivement fin à la période (de tensions) que nos relations bilatérales ont traversée ces dernières années», a confié M. Erdogan dimanche avant de s'envoler pour les Etats-Unis, d'où il gagnera Berlin aujourd'hui. Pour sa première visite d'Etat en Allemagne depuis son élection à la présidence en 2014, M. Erdogan sera reçu à deux reprises par Angela Merkel, ainsi que par le président Frank-Walter Steinmeier. Il inaugurera ensuite samedi la mosquée de Cologne, financée par une organisation turque. Hasard du calendrier, l'UEFA décidera aujourd'hui, le jour-même de l'arrivée de M. Erdogan, qui de la Turquie ou l'Allemagne accueillera l'Euro-2024 de football. Cette dernière faisait figure de favorite mais son image est écornée par les accusations de racisme lancées contre la Fédération allemande de football par Mesut Özil, qui, bruyamment soutenu par le président turc, s'est retiré de la sélection. «La déclaration de Mezut Özil: 'Allemand quand je gagne, turc quand je perds'' résume très bien la discrimination de joueurs en Allemagne», a encore lancé le président turc dans un entretien au groupe de presse Funke, hier. Au-delà de cette rivalité, les enjeux de la visite sont multiples. Dans un contexte turc marqué par une crise économique aiguë et une relation dégradée avec les Etats-Unis, M. Erdogan attend des «mesures» pour développer les relations entre les deux pays. Avec environ 7.500 entreprises allemandes présentes en Turquie, Berlin est un partenaire incontournable. Le groupe allemand Siemens lorgne notamment sur un méga-chantier de construction de lignes à grande vitesse dont le montant total pourrait s'élever à 35 milliards d'euros. M. Erdogan souhaite en outre que l'Allemagne, où vivent environ 3 millions de personnes d'origine ou de nationalité turque, joue un «rôle constructif» dans le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ou l'exemption de visas, deux dossiers bloqués. La question syrienne sera aussi au coeur des échanges entre les deux pays, qui accueillent à eux deux plusieurs millions de réfugiés syriens et veulent éviter de nouveaux afflux de migrants. Autre attente de M. Erdogan: l'Allemagne doit lutter «avec plus d'efficacité» contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) -une organisation terroriste, selon Ankara et l'UE- et les partisans du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d'avoir fomenté le putsch manqué de 2016.. L'accueil en grande pompe réservé à M. Erdogan, accusé de dérive autoritaire, suscite du coup des crispations. Après avoir traité les Allemands de «fascistes» pour avoir refusé la tenue de meetings électoraux turcs en 2017, il veut être «à nouveau notre ami» maintenant que plonge l'économie turque, ironise le quotidien populaire Bild. Pour le journaliste germano-turc Deniz Yücel, correspondant du quotidien Die Welt détenu plus d'un an en Turquie, l'Allemagne «trahit tous ceux qui aspirent à une société libre, démocratique et laïque» en recevant M. Erdogan. Signe de l'embarras, des personnalités politiques vont bouder un banquet vendredi soir en l'honneur de M. Erdogan au siège de la présidence allemande. Mme Merkel ne sera pas présente non plus, sans raison officielle. Enfin, de nombreuses manifestations émailleront le séjour du président turc, doté de pouvoirs renforcés depuis le début de son nouveau mandat en juillet.