Le conférencier n'hésite pas à parler de l'état schizophrénique aussi bien du théâtre que de la société algérienne. La naissance et l'évolution du quatrième art en Algérie à travers l'histoire, a été le point focal de la dix-septième édition du café théâtral de la Bibliothèque nationale d'El Hamma. Invité pour aborder ce thème, l'universitaire et spécialiste du théâtre algérien, Ahmed Cheniki, a exploré cette question de fond en comble. Dans son exposé, le conférencier est allé jusqu'à « déterrer » les premières graines de ce qu'on appellera plus tard «théâtre algérien». Dans quelles conditions le quatrième art algérien est-il apparu? Selon le conférencier, le théâtre algérien a vu sa naissance en 1907. C'était les tout premiers débuts. Les premiers pas. «C'est le résultat du fossé qui s'est creusé entre la société d'adoption et celle d'origine. C'était l'effet de l'entrechoquement de deux cultures». En effet, la société algérienne n'avait, tout au long de la durée du colonialisme, de cesse de se chercher, ou de se rechercher. Mais là, on s'est cherché dans l'autre. On a essayé de «fouiner» sa culture dans celle de l'Autre, l'envahisseur. «Nous avons vécu un dédoublement comme toutes les sociétés colonisées», a indiqué le conférencier qui n'hésite pas à parler de l'état schizophrénique aussi bien du théâtre que de la société algérienne. «Nous avons cette fascination de tout ce qui vient de l'occident». C'est le dédoublement de la personnalité collective. «La forme des pièces jouées était algérienne, tandis que le fond et la structure étaient, eux, français. En 1926, avec la création de l'Etoile nord africaine, le théâtre algérien a connu la plus grande phase de transition de son histoire. «C'était Allalou qui avait mené cette révolution en donnant à notre théâtre une autre forme. Il avait fait appel notamment, à des personnages mythiques à l'instar de Djeha. Aussi Allalou a-t-il introduit le chant dans les pièces qu'ils avaient montées», a déclaré Cheniki. «Cependant, poursuit-il, on n'avait remarqué aucun changement au niveau de la structure. On retrouve la même structure moliéresque même chez des dramaturges tels que Alloula, Kateb Yacine...». La problématique de la langue utilisée dans les pièces a été également abordée par le conférencier qui a estimé «que ce genre de débat est dépassé. Il ne faut plus parler de la langue mais du sujet. Seul le sujet intéresse le spectateur», a insisté Ahmed Cheniki. «Au théâtre on ne doit jamais parler de la langue, mais de langage, étant donné que la langue n'est qu'une infime partie du langage théâtral. La langue n'est en effet qu'un élément de la pièce». Au sujet de ces hommes de théâtre, égyptiens notamment, qui parlent d'une troisième langue, celle du théâtre, le conférencier a tranché net: Tawfiq Al Hakim en parle, mais jamais il n'a donné de définition. «De quoi s'agit-il en fait?», s'est demandé Cheniki. «Personne ne le sait, d'autant plus que la question n'a été abordée par aucun linguiste. Donc, il n'existe aucune théorie linguistique qui parle de la troisième langue». Par ailleurs, abordant le sujet relatif au fond documentaire en matière de théâtre dont dispose l'Algérie, le conférencier a estimé qu'il est temps de restituer toute la documentation nécessaire susceptible d'aider aussi bien les chercheurs que les étudiants dans leurs recherches. Ahmed Cheniki a déploré cet état de fait. «Des 354 textes dont nous disposions en 1954, il ne nous en reste rien». «Chez nous, on ne s'occupe plus de ce genre de chose. L'Algérie est l'unique pays où on offre son fonds documentaire. C'est le président algérien, lui-même, qui a offert, durant les années 70, le pistolet de l'émir Abd El Kader», et ça veut tout dire.