Les Ateliers sauvages ont accueilli du 22 au 24 novembre un événement unique en son genre en Algérie où le son était roi! Jeudi a été inaugurée, en effet, la première édition du festival Phonétics. Un événement particulier dédié aux arts sonores. Une manifestation unique en son genre chez nous, organisée ainsi par les Ateliers sauvages avec le soutien de l'Institut français d'Alger. Pour sa première édition, le festival Phonetics choisit Alger comme première destination. Pluridisciplinaire; tel qu'il s'est présenté, Phonetics s'est voulu résolument tourné vers l'art sonore, les pratiques musicales électroniques novatrices et l'échange culturel. Son but était de faire découvrir au public, mais aussi aux artistes, de nouvelles pratiques artistiques et de nouvelles cultures musicales. Aussi, le festival s'est ouvert ce 22 novembre pour s'étaler jusqu'au 14 avec au menu moult activités diverses. L'entame, jeudi aux Ateliers sauvages, s'est faite d'abord par le dévoilement de nombreuses installations. Réaction électromagnétique A l'entrée des Ateliers sauvages, c'est l'installation de Rudy Rudy Decelière qui nous a accueillis. Celle-ci imposante, aussi bien que fragile d'apparence, est constituée d'une centaine de fils de cuivre parallèlement suspendus d'un bout à l'autre au plafond de cet espace. Elles produisent des rythmiques visuelles et structurent l'espace par leur disposition organisée et répétitive. Sous leur poids naturel, les fils de cuivre tracent des lignes paraboliques dont le point médian affleure le sol, évitant tout contact avec celui-ci. Disposées aléatoirement sur le cuivre, quelques feuilles séchées semblent flotter à quelques millimètres du sol. En dessous des fils, des aimants sont placés par terre. Ils permettent ainsi la réaction électromagnétique du courant sonore parcouru à travers les fils, produisant ainsi des micro-vibrations. Les feuilles font office d'une membrane. Lorsqu'on tend l'oreille, on devine un bruissement aquatique. Aussi, cela nous permettait de nous rendre compte de l'environnement sonore qui nous entourait. Pour sa part, Walid Bouchouchi a, dans son installation, fono-type, mis en exergue 41 sons transcrits en lettres qui couvrent la totalité des sonorités des trois langues qui composent le dialecte algérien, à savoir la «darija», que sont l'arabe, le français et le tamazight. Notons que les alphabets latin, arabe et tifinagh ne permettent pas la transcription du langage parlé. Voilà pourquoi le studio «Akakrir» a choisi d'inventer cette nouvelle esthétique qui témoigne de la richesse de notre langage parlé. L'artiste franco-japonaise Mika Oki a, quant à elle, choisi dans son installation minimaliste, appelée «as long As i could», de mettre en lumière un rectangle d'eau lisse bleuté, sur lequel une goutte d'eau qui, à intervalle régulier venait troubler sa quiétude et un son qui a la versatilité de l'eau, oscillait avec la même intensité que celle-ci ondoyait, matière contre matière. Aussi, au rythme de l'eau qui tombait, la couleur du rectangle se modifiait. Aussi, l'idée de la transformation, nous révèle-t-on est celle du temps de la musique et la durée des choses car toute répétition est un changement et que rien ne dure sans produire quelques boucles. Une bien belle métaphore. Enfin, au centre de l'espace que sont les Ateliers sauvages face à la fresque de «Akakir», nous pouvions apercevoir une installation vidéo signée Gildas Médélénat. Cette vidéo était déclinée sous forme de plusieurs carnets sur Alger, ses gens et déambulations, un homme sur un balcon ou une femme par exemple qui se souvient... Des sons viennent titiller l'imagination de ces instants de vie. Arrive le soir, l'Institut français d'Alger a accueilli jeudi encore, un concert de musique expérimental. Evoquant cette manifestation, Wassila Tamzali soulignera cette «vraie aventure car je ne savais pas où j'allais. Je ne savais pas de quoi il s'agissait en parlant de son, qui est un domaine très complexe, très riche. Il m'avait semblé très intéressant de mettre en perspective cette idée de son que je n'avais pas encore cernée...» et d'ajouter: «On sait qu'il y a par exemple une scène inderground métal, à Alger, très importante, on sait qu'il y a des artistes très importants mais on n'a pas la chance d'écouter leur musique et je me disais que c'était l'occasion de faire se rencontrer des artistes qui viennent d'ailleurs et qui travaillent sur le son avec des artistes ici qui travaillent davantage sur leur musique.» Fusion électro du 3e type En effet, des artistes venus d'ailleurs et d'autres d'ici, notamment le guitariste algérien Rezgui Bachir, ont combiné leurs talents respectifs pour émettre une singulière création sonore, fruit d'une semaine de recherche et de création. Les autres artistes qui ont pris part aussi à cet acte musical sur des machines, telles sorties étrangement du film La Jetée de Chris Marker, sont DJ territoires, Myako, Nsdos, AKM, Cheikh Cédrik et Ztella Boogie man, notamment et enfin Wassil Abdoun Tamzali à la table de mixage. Les sons entendus étaient accompagnés d'images projetées en arrière-fond comme complément à ce travail qui réalisait en somme une sorte de vidéo d'art où c'était plutôt le son qui était à l'honneur. Des sons métalliques redondants qui viennent, s'allient crescendo par moment tel un coeur qui s'essouffle et se met à battre à nouveau de plus belle, de façon saccadée ou plutôt anarchique. Des sons qui, pour certains, étaient plus méditatifs et d'autres angoissants. Une belle expérience sonore qui a bien retenu l'attention du public. «Un concert de restitution d'un atelier qui a duré une semaine et pour lequel les artistes présents ont travaillé nuit et jour» a affirmé le commissaire Xavier Boissarie. Vendredi, c'est dans un autre lieu, cette fois atypique, que s'est tenu un autre concert signé du cru de cet ensemble d'invités venus de partout. En effet, c'est dans l'antique Casbah, entre les murs ancestraux d'une maison ou atelier baptisé NAS que tout ce beau monde s'est réfugié. Ils sont venus confronter à nouveau leurs sons en les fusionnant d'autant mieux pour créer une belle performance sonore devant un public nombreux venu assister à cette soirée «khalwie» pas comme les autres. Happening sonore Adossés aux piliers de cette maison ou aux balcons du premier ou deuxième étage, les présents assistaient à une belle création musicale allant du jazz, manouche, à la musique free basée sur l'improvisation ou le chant. Ainsi, l'originalité de cette action se voulait double. D'abord par le mix entre l'ancien, le présent et le futur, illustré par l'espace où se matérialisait le happening sonore et puis ces sons mixés et retravaillés pour faire naître ces nouvelles compositions qui se fondaient dans un décor atmosphérique, fruit des volutes harmonieuses de cette musique qui s'intégrait avec un charme et une élégance inégaux dans ce lieu qui, au prime abord semble inapproprié, mais qui, au final, est arrivé à se fondre et interagir avec le public autant que celui-ci est parvenu à prendre possession des lieux au fur et à mesure que le temps passait, gagné par le bon goût du café et du kalbelouz aussi... En somme, une belle soirée inédite qu'a eu à vivre l'assistance dans cet espace où l'architecture du dehors jurait par une vision d'un ailleurs pas vraiment futuriste. Et pourtant! Ainsi, le son et l'image combinés donnaient naissance à une tierce image manquante du troisième type, celle de ce festival Phonétics qui aura marqué les esprits des Algérois par son audace et sa finesse scientifique dans la présentation de ce qu'est le son. Une matière qui, au-delà de l'organe de l'oreille, parvient à toucher, nos coeurs et nos âmes et faire bouger ainsi les lignes du tout comme les vagues de nos états d'âme et nous plonger en nous -mêmes. Faire surprendre le temps, mieux créer l'illusion de son atemporalité ou encore mieux, sa fluidité expressive en boucle... Ahmed Malek et les performances Parlant de performances collaboratives, deux expressions musicales ont marqué aussi ce festival. On relèvera celle réalisée par Nsdos et intitulée GPS Feedback Alger, 2018. Le développement quant à lui a été réalisé en collaboration avec Xavier Boissarie. Il s'agissait de demander à trois personnes de choisir trois lieux à distance de marche des Ateliers sauvages: un lieu où ils se sentent bien, un lieu qui les met mal à l'aise et un lieu où un futur pourrait se dessiner, un lieu «potentiel». Ensuite, Nsdos d'enregistrer les coordonnées GPS de son parcours et dessiner à partir d'elles une carte émotionnelle de cette partie de la ville. Les participants ont dû suivre par la suite les pas de ces trois personnes, refaire leur parcours de façon à revivre en quelque sorte leur expérience dans cette partie de la ville. Ainsi, ils ont eu à entendre les sons que ces derniers ont entendu ou auraient pu entendre, mais aussi d'autres sons non prévus, venus d'ailleurs et composés pour eux. Ainsi, de par ses sons que chacun interprétera à sa manière, sont nées des émotions différentes dans ces lieux différents. La seconde performance ayant eu lieu aux Ateliers sauvages et non dans la rue, en raison de la pluie samedi, est celle conçue aussi par Xavier Boissarie et appelée Pop-up Club, 2018. Notons que le mot Club, ici correspond à un regroupement de personnes motivées par des intérêts et un but commun. Pop-up est une fenêtre qui surgit inopinément. Pop-up Club est quant à elle une expérience de clubbing qui émerge au cours de la marche ou le mouvement du corps, sans prévenir. Pour entrer dans le club, chaque participant avait sur son portable un son d'instrument qui lui était propre et qui s'amplifiait en fonction de la densité de sa marche. «Dans chaque téléphone, il y avait des capteurs qui permettaient de récupérer le mouvement et on interprétait celui-ci en musique. C'est une composition sonore collective qui s'est créée. Nsdos a fait les sons pour cette présentation. C'est pendant le temps de résidence qu'on a fabriqué l'expérience avec Nsdos», nous a confié Xavier qui a mis en place la programmation et l'a conceptualisée. Samedi soir, jour de clôture, les Ateliers sauvages ont accueilli en exclusivité l'avant-première du film de Paloma Colombe, une commande de Apple Music qui a autorisé la DJette de projeter Planet malek avant la sortie iTunes. Un film documentaire produit par Habibi Funk d'une durée de 20 mn. Un film qui retrace de façon assez particulière la vie et la riche oeuvre musicale de ce grand compositeur qu'était Ahmed Malek, ancien chef d'orchestre à la RTA, mais compositeur hors pair qui s'était mis plus tard à l'expérimentation sonore sur piano et table de mixage. Dans ce film hautement coloré, nous retrouvons sa fille qui parle de son père, tantôt enjouée, tantôt émue jusqu'aux larmes lorsqu'elle écoute un des morceaux que son père lui avait dédiés. Un nom en lettres d'or En outre, nous retrouvons toute la famille Guechoud, du père Mohamed, la femme Aïda, au fils Kamel qui parlent avec force détails de Ahmed Malek pour avoir été très proches de lui. Beaucoup d'images d'archives émaillent ce film, autant que ces photos extirpées des archives des proches de cet artiste qui passait son temps à voyager quand il ne composait pas la musique pour tel film, à l'instar du film le plus connu, à savoir Les vacances de l'inspecteur Tahar ou encore Leila et les autres ou bien Omar Gatlato. Ahmed Malek, un nom à inscrire en lettres d'or dans le paysage musical, cinématographique et partant, de la culture algérienne qui était en plein âge d'or. Bref, un bon programme a tenu en haleine les amoureux du bidouille sonore durant ces derniers jours aux Ateliers sauvages et autre part. Gageons que cette aventure ne s'arrêtera pas là et pourra se décliner prochainement, même différemment avec d'autres master class aussi avec nos jeunes musiciens ou DJ, car l'Algérie regorge encore d'autres jeunes talents des plus prometteurs et qui ne demandent qu'à s'exprimer ou montrer et transmettre leur savoir-faire.