Pour beaucoup d'observateurs, la colère des banlieues de novembre 2005 rappelle les événements de mai 1968. Et pourtant tout est différent. Les acteurs ne sont pas les mêmes, la méthode et les visées poursuivies aussi. D'une certaine manière, la grande manifestation de 1968 a été faite par l'élite universitaire, qui avait réussi à fédérer autour d'elle le peuple de Paris, pour revendiquer plus de liberté dans tous les domaines. Des tabous, y compris sexuels, ont été brisés et sont désormais rangés dans le musée de l'histoire, depuis cette date. La grande grève de 1968 avait ses théoriciens, ses meneurs, ses journaux. C'était un peu le ras-bol de la France opulente, qui avait réussi pendant ce qu'on a appelé les Trente Glorieuses, à construire son économie. Le bien-être permis par la technologie moderne était entré dans tous les foyers, ou presque : frigo, télévision, machine à laver, eau courante, électricité. Le spectre de la guerre ainsi que celui de la famine était laissé derrière. Interpellé, le chef de l'Etat français, qui n'est autre que le charismatique général de Gaulle, élu au suffrage universel en 1965, était parti pour un temps à Baden-Baden. A son retour, le chef de l'Etat français avait consenti à introduire les réformes, notamment dans le système éducatif ; des réformes furent mises en oeuvre par Edgar Faure. A l'intérieur de l'université, le mouvement avait ses leaders . Parmi les étudiants les plus en vue, on peut citer Cohen-Bendidt. On vit également se ranger derrière eux des philosophes, comme Jean-Paul Sartre, des écrivains, des artistes, des leaders politiques, notamment de gauche. Des journalistes en herbe, comme Serge July, confectionnaient, sous la direction de Sartre ou d'autres personnalités, des journaux comme Libération. Quant à la télévision et la radio, encore totalement contrôlées par l'Etat, elles mirent du temps à se démarquer du discours officiel, mais les dés étaient jetés, et le secteur de l'information lui-même contaminé par le vent de liberté qui soufflait. Le ton ne sera plus jamais le même. Tout cela ne fut possible que grâce aux luttes étudiantes : clameurs, barricades, échauffourées, heurts avec les forces de l'ordre, grève générale et manifestations qui ressemblaient à de véritables fleuves humains. La droite gaulliste, fédérée dans le parti de droite au pouvoir (l'UDR) organisa une contre-manifestation. L'Assemblée nationale fut dissoute. La droite remporta les élections. Néanmoins, il était connu que le mouvement ne visait pas la prise du pouvoir mais une réforme en profondeur de la société, notamment le système éducatif. A ce titre, on peut dire que Mai 1968 a été un tournant. Ses acteurs sont entrés dans la vie active, quadras ou quinquas, ils occupent des postes importants dans l'économie, la politique, l'administration, à l'instar de Cohen Bendidt lui-même, député européen, ou de Serge July, directeur du journal à grand tirage, Libération. Novembre 2005 est plutôt la révolte des exclus. Les banlieues sont peuplées de beurs, de blacks, de tous les émigrés de troisième génération qui ont perdu tous les repères. C'est un mouvement qui reste encore à théoriser, à canaliser, pour permettre à ces milliers de jeunes, qui se considèrent eux-mêmes comme les damnés de la terre; d'avoir accès à l'emploi, au confort, au respect, au droit à l‘expression, en mettant fin au délit de faciès.