Même si le choix de faire ou non des cours reste un acte individuel, personnel et une liberté d'agir pour les parents, eu égard à la prolifération du phénomène à l'approche de chaque examen de fin d'année, il est utile d'attirer l'attention, de dénoncer le caractère lucratif et de refuser qu'il porte atteinte à une profession que beaucoup ont choisie par amour. C'est notre façon de rendre hommage à nos enseignants qui resteront à jamais des exemples pour leur humilité, leur sens du devoir... Les mutations sociales subies par la société dans la totalité de ses remembrements, n'ont pas épargné l'école. Les valeurs et la noblesse qui étaient le maître-mot chez nos enseignants d'antan, ne sont qu'un vain souvenir évoqué avec nostalgie. En 1965, un maître d'école était un notable, un dignitaire, celui qui sait tout. Il était respecté au même titre qu'un maire, voire plus. Un proviseur de lycée avait les mêmes honneurs qu'un wali. Aujourd'hui, des inspecteurs font office de chauffeurs clandestins, de revendeurs de voiture... «Monsieur le professeur» a laissé place à «Ya Cheikh». Des enseignants sont au service de quelques riches qui les «invitent» chez eux pour assurer des cours à leurs enfants. Le système éducatif algérien aura eu le mérite ces dernières années d'avoir inventé un enseignement particulier qui n'existe nuelle part ailleurs. Les cours payants se développent et concernent désormais même les enfants scolarisés dans les premiers paliers. Ce qui il y a quelques années touchait les élèves des classes d'examen du cycle secondaire et moyen intéresse aussi les enfants scolarisés en cinquième, voire première année du primaire. Sous l'oeil passif des chargés du secteur, des enseignants louent des garages, des sous-sols, des structures publiques et quelquefois leurs domiciles pour y exercer sans souci. «Les enfants qui s'entassent dans des locaux sont en danger. La sécurité des biens et des personnes est un devoir pour l'autorité. Les commerces informels sont combattus, n'est-ce pas une activité lucrative non déclarée et qui de surcroît met en péril des vies humaines avec la complicité de parents inconscients?» s'interroge un père qui n'a pas les moyens d'inscrire son enfant. «Moi je compte sur l'école publique. Le ministère doit offrir les moyens aux professeurs qui font convenablement leur travail et ils sont nombreux» ajoutera notre interlocuteur. Les règles élémentaires qui régissent le volume horaire, la nécessité pour l'enfant d'avoir des moments de loisirs et de repos, sont bafouées et remplacées par une course après les cours. Toutes les matières sont concernées par cette façon de faire qui a laissé émerger un comportement nuisible dans le secteur. Les élèves nantis n'accordent plus d'importance aux séances collectives dispensées en classe puisque le soir ils disposent de professeurs particuliers. Ce comportement influence le reste du groupe et les classes ont fini par devenir une simple escale obligatoire. «La surcharge, la démission collective, le manque de moyens, l'influence extérieure rendent notre travail pénible. Au lieu de dispenser des connaissances, nous passons la majeure partie du temps à faire le guet» commente Hamid un prof de français. Voulant avoir son avis sur le thème des cours payants, notre professeur reste catégorique. «Même si de nombreux parents me le demandent, Je ne ferai jamais ce travail parce qu'il s'agit d'une histoire de conscience.» Nous apprendrons aussi que certains éducateurs, qui n'ont de relation avec l'éducation que par l'appellation, n'hésitent pas à réduire telle une peau de chagrin les leçons et le savoir à dispenser obligatoirement dans le cadre des programmes annuels pour «chasser» et reconvertir les élèves en clients potentiels. S'agissant des prix, nous saurons que le barème varie d'un prof à un autre, d'une matière à une autre. Le plafond serait 2500DA/mois par candidat dans un groupe réduit à 12 élèves, 3500 DA/mois pour les matières dites essentielles comme les sciences, les maths et la physique quand le nombre est de six élèves.. Plus le nombre est important, moins le prix est élevé. La moyenne admise dans le milieu reste un groupe de 30 enfants et plus pour 1000 DA/mois par enfant. «Le ridicule qui ne tue pas» a fait que certains professeurs de lettres arabes et de philosophie, deux matières qui ont intégré le domaine ces dernières années en plus de l'anglais, très pointilleux sur la mixité, oublient le temps d'un cours dans un garage leur intransigeance sur la nécessité de séparer les garçons des filles. La remise à niveau qui reste un acte pédagogique reconnu mondialement obéit à des critères. Le nombre d'élèves, le diagnostic des lacunes, la spécificité du savoir à dispenser, le choix de l'horaire, l'étude du statut psychopédagogique de l'apprenant... sont autant de paramètres à prendre en compte dans cette remise à niveau. Ne dit-on pas que la préparation d'un cours commence par l'étude du public? Pour pallier ces conditions élémentaires, les enseignants spécialistes des cours, puisqu'il en existe, trient les candidats en ne prenant que ceux qui ont déjà une base intéressante. N'importe quel professeur pourra assurer un très bon résultat avec une classe regroupant des apprenants capables d'avoir un 12 en physique, en maths ou en sciences. Le choix des trois disciplines est volontaire puisque ces trois matières restent les plus demandées. Que donnent ces vendeurs du savoir aux élèves? Certains sont spécialistes et bénéficient d'une publicité gratuite, laquelle renommée se construit d'année en année grâce au bouche-à-oreille. «Tel professeur est excellent.» Ce professeur exerce dans un établissement étatique dont les résultats ne différent pas de ceux des autres établissements où les professeurs ne sont pas excellents. L'excellence n'est en fait qu'un travail que les enseignants ne peuvent pas effectuer quotidiennement, eux qui sont conditionnés par un programme, des délais et des tests. «La majorité de ceux qui font ces cours se limite à de longues séries d'exercices et des applications que nos prédécesseurs faisaient seuls ou en groupe lors des préparations des examens avec les fameux Bordas» nous dira un professeur du lycée Mira qui ajoute «en classe normale, le temps n'est pas suffisant pour pareil travail. C'est là l'unique différence entre ce que font les donneurs de cours et ce que doit faire un enseignant en classe». Un apprenant en passe de subir une évaluation en fin d'année laquelle déterminera peut-être son avenir est une proie facile au surmenage et à des accidents cérébraux. La pression exercée par les parents qui n'exigent plus le bac seulement, mais une bonne moyenne pour faire médecine ou ingéniorat, des professions libérales, accentue le risque. Des établissements privés sont venus dispenser le savoir dans des conditions matérielles largement meilleures que celles du secteur public. Finalement, ces écoles sont devenues des centres de recyclage aux retraités. Un enseignant parti en retraite après plus de 25 ans d'exercice ne peut plus donner. Il rejoint les établissements privés juste pour le salaire qu'on lui remet quelquefois dans une enveloppe. Un enseignement informel avec une bâtisse pour plusieurs niveaux et des âges différents, des structures sans espace pour la pratique sportive... La faute et la responsabilité incombent aux responsables du secteur d'abord, aux parents ensuite. La décision d'offrir la chance aux élèves aux résultats insuffisants et pour laquelle des sommes énormes ont été réquisitionnées n'a pas eu l'effet escompté. «Les associations de parents d'élèves doivent s'immiscer dans ce problème au lieu de se limiter à condamner les actions des professeurs. C'est à ces associations de combattre ce phénomène de société qui reste un signe ostentatoire des écarts sociaux qui scindent la société algérienne depuis l'avènement de l'économie libre» commente un professeur. Les élèves qui fréquentent un établissement toute une semaine évitent de s'y rendre pour venir combler leurs lacunes le soir ou les jours de repos. Les professeurs qui gagnent pécuniairement beaucoup plus en formant eux-mêmes leurs groupes n'adhèrent pas à l'initiative. Devant ces deux facteurs, l'administration est restée les mains croisées, approuvant implicitement ce qui se passe dehors. La frange sociale qui aura, avantagé et participé au développement du phénomène des cours reste celle des médecins. En effet et selon un sondage, la grande majorité des élèves, qui suit ces cours est constituée de fils ou filles de docteurs, de directeurs. Rares sont les enseignants qui inscrivent leurs enfants. Ce rejet montre s'il le fallait que les plus proches du secteur savent pertinemment que ces cours restent inutiles quand l'enfant suit une scolarité normale. Quand il évolue dans un cadre propice l'enfant peut assimiler les programmes et avancer. «Comment un professeur accepte-t-il de donner des cours particuliers aux mêmes élèves qu'il a en classe, du moins certains?» s'interroge une dame qui périodiquement, rend visite aux professeurs de sa fille inscrite en terminale. «Mes moyens financiers ne me permettent pas de lui payer des cours, mais ses résultats sont à ce jour excellents. Inchallah, elle me donnera la joie en fin d'année avec le bac.» N'est-ce pas là un exemple concret. Il y a quelques années et juste après l'apparition du phénomène, les meilleures moyennes au bac ont été réalisées par des filles scolarisées en internat au lycée Hamza, des candidates qui n'ont jamais suivi un cours hors de l'enceinte du lycée. Même si le choix de faire ou non des cours reste un acte individuel, personnel et une liberté d'agir pour les parents, il est de notre devoir d'attirer l'attention sur le phénomène, de dénoncer son caractère lucratif et de refuser qu'il porte atteinte à une profession que beaucoup ont choisie par amour. C'est notre façon de rendre hommage à nos enseignants qui resteront à jamais des exemples pour leur humilité, leur sens du devoir... Ces syndicats qui foisonnent et qui ne ratent aucune occasion de s'attaquer à la ministre qui montre une bonne volonté de sauver l'école algérienne, ont du pain sur la planche si réellement ils pensent à l'avenir de l'école. Voilà un dossier qui mérite l'attention de tous.