La crainte est de voir les pays totalitaires censurer la circulation de l'information. 1998-2005: voilà sept ans que le gouvernement américain, par l'intermédiaire d'une entité privée, l'Icann (Internet corporation for assigned names and numbers) a la mainmise totale sur Internet, dont il détient la clef. Sept ans seulement, sept ans déjà. En si peu de temps, le réseau des réseaux a acquis un succès phénoménal. Et justement sept propositions sont sur le bureau du Sommet mondial de la société de l'information (Smsi), qui se tient depuis hier à Tunis, pour disputer aux Etats-Unis cette suprématie et pour résorber ce que d'aucuns appellent la «fracture numérique» entre pays pauvres et pays riches. Dans une capitale tunisienne pavoisée et fleurie, 170 ambassadeurs ont déblayé le terrain à la cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement, sous la présidence du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, qui ont entamé leurs travaux dans une ambiance morose, dans laquelle les Etats-Unis sont opposés au reste du monde. C'est que Internet est le symbole même de la mondialisation, en même temps que celui des avancées technologiques qui font que le monde est entrée dans une nouvelle ère. Il a acquis une telle importance dans la vie de tous les jours, et presque dans tous les domaines, qu'il ne laisse personne indifférent, et que les travaux ont débuté sur fond de dissensions. Berceau de l'Internet, les Etats-Unis contrôlent l'Icann, dont le siège se trouve en Californie et qui attribue par exemple les noms de domaine tels que .com ou .fr. Les opposants à cette suprématie américaine redoutent entre autres que l'Icann puisse être en mesure de bloquer les adresses d'un pays entier pour des raisons politiques, économiques ou militaires. Pour leur part, les Etats-Unis font valoir qu'un changement pourrait donner un droit de regard sur le fonctionnement du réseau des réseaux à des pays qui répriment la liberté d'expression. C'est notamment le point de vue défendu par l'ONG reporters sans frontières, qui estime que la situation actuelle est de loin préférable à un transfert de prérogatives de l'Icann à l'ONU, où les pays les plus répressifs de la planète ont autant de poids que les pays démocratiques. «Souhaite-t-on vraiment que les pays qui censurent le net et emprisonnent les internautes se mettent à réguler la circulation de l'information sur le réseau?», demande à juste titre RSF. Le cas qui défraie la chronique depuis quelque temps est celui de la Chine, où le portail Yahoo a communiqué aux autorités les coordonnées d'un cyber dissident. Une telle affaire n'est pas de nature à vouloir que les choses changent. La proposition de l'Iran, pays connu pour la censure exercée sur les intellectuels et la presse, vise à établir un contrôle de l'ONU sur l'Internet. Mais l'organisation des Nations unies est-elle vraiment outillée pour éviter les dérapages, lorsqu'on se rappelle, par exemple, qu'une simple opération comme celle de Pétrole contre nourriture s'est signalée par des affaires de corruption et de malversation incroyables, au point d'éclabousser des personnes au-dessus de tout soupçon. D'autres scandales, tout aussi mémorables, ont émaillé la vie de l'ONU, sans qu'il soit besoin d'en rajouter. Quant à la majorité des pays européens, ils cherchent à mettre en place une supervision internationale indépendante. Cette formule de compromis penche vers un organe intergouvernemental purement technique et séparé de l'ONU. En parallèle, Bruxelles suggère aussi de créer un «forum» purement technique, avec la participation du secteur privé et des associations. Maintenant le danger vient du fait que, faute d'accord à Tunis, certains pays ou régions en viennent à la tentation de créer leur propre réseau concurrent, au risque de déboucher sur une «balkanisation» de l'Internet. Or, justement, indiquent les spécialistes, «tout l'intérêt de la toile réside dans son universalité». Trois points de vue donneront une idée des dissensions actuelles. Ainsi dans une lettre à Jack Straw, dont le pays préside l'Union européenne, la secrétaire d'Etat américaine, Condoleeza Rice, avait déclaré que la structure de contrôle et la stabilité de l'Internet sont d'une importance fondamentale pour les Etats-Unis. Son destinataire jack Straw a affirmé pour sa part que cette lettre est une tentative d'intimidation jamais vue dans un pareil contexte. Quant au secrétaire général de l'ONU, il s'est dit convaincu que les débats et résultats du sommet ne manqueront pas de dégager des axes importants de réflexion pour l'avenir.