«Est-ce que quelqu'un peut accepter que sa femme soit kidnappée, passe la nuit dans un «abri» et soit forcée à déposer une bombe ?» Face au Palais du gouvernement, toute une famille, le père, la mère et leurs trois enfants en bas âge, a élu domicile sur le trottoir. Des banderoles, et même une phrase inscrite sur le bitume de la chaussée, indiquent que les parents Bouzidi ont entamé une grève de la faim depuis le 31 décembre. Motif? «Pour moi, c'est un combat qui concerne tous les Algériens. Est-ce que quelqu'un peut accepter que sa femme soit kidnappée trois fois, passe la nuit dans un «abri» et soit forcée à déposer une bombe?», lance, d'emblée, Ahmed, le père de famille. Selon ses dires, sa femme a été kidnappée devant les arrêts de bus à Tizi Ouzou par «des gens armés» dont il ne connaît pas l'identité et transférée vers Azeffoun où «ils» avaient préparé 5 ou 6 bombes, la première pour Tafourah, une autre sur la route de Boghni, une pour Tizi Ouzou, etc. Questionnée, sa femme répond en kabyle: «Je ne peux vous dire qui ils étaient, je ne les connais pas.» «Elle a déposé la bombe à Tafourah, elle a été forcée de le faire, sinon ils s'en prendraient à ses petits enfants. Deux personnes la suivaient de près. Et puis, ce sont ces gens armés qui ont ramené ma femme, lui ont donné 1000 DA, dont je garde les numéros de série de quelques-uns», poursuit Ahmed. Pour nous convaincre de la véracité de ses propos, il précise: «La bombe de Tafourah n'était pas dissimulée dans un cartable, comme l'a écrit une certaine presse qui travaille pour ces mêmes personnes armées qui disposent de différents types d'armes. La bombe était cachée dans un cabas de couleur bleue.» Les Algérois se souviennent bien de cet attentat à la bombe perpétré le mardi 20 novembre ciblant les arrêts de transport d'étudiants. L'attentat avait fait un mort et une trentaine de blessés. «La bombe, je me souviens très bien, avait explosé un mardi. Ma femme est revenue le mercredi, le lendemain», ajoute Ahmed. Les mésaventures du couple ne s'arrêtent pas là. Les nerfs à vif, l'homme poursuit son récit des faits: «Je suis allé voir le commissariat de Tizi Ouzou pour rien en définitive, alors que, par l'intermédiaire de quelqu'un, je suis allé à la caserne militaire de Tizi Ouzou. Là j'ai parlé avec un commandant, il m'a demandé de ramener ma femme, je l'ai fait le lendemain. Puis ils ont appelé les gens de la sécurité militaire à Alger. Ensuite, je suis revenu à la maison pour ne pas laisser les enfants seuls. Mon épouse a été transférée vers une caserne à Alger, on lui a donné à manger et à boire. Elle a été libérée le lendemain, sans PV ni rien du tout. Pourquoi?» Ahmed, un oeil sur son petit garçon qui s'amuse sur le trottoir et l'autre sur le portail du Palais du gouvernement, explose: «Je ne demande pas de logement ni de travail, je veux juste qu'on m'explique ce qui se passe dans ce pays!» Sa femme, assise à même le sol près d'un bébé couché sur des chiffons de fortune, l'appuie: «Moi je suis venue ici pour mourir, je ne pense pas à moi, mais à la génération qui monte. Comment pourra-t-elle vivre dans un pays où il se passe des choses pareilles?» Plus troublant encore, Ahmed nous révèle que c'est la troisième fois que sa femme est enlevée par un groupe d'individus armés, «deux fois à Tizi Ouzou et une fois à Azazga». Il raconte que lors du premier kidnapping, en 2000, quand ils habitaient un gourbi dans un bidonville à Oued Aïssi, il avait contacté «un membre d'une milice» (un «patriote») pour l'entretenir de ce qui s'est passé. Ce dernier l'a emmené à une brigade de gendarmerie. Aucune suite n'a été donnée à l'affaire, selon Ahmed. Affaire bien scabreuse que les autorités concernées devraient prendre en charge. La gravité des révélations de ce couple ne peut les laisser indifférentes. Leur crédibilité en est le principal enjeu. Cependant, on s'interroge sur les motivations réelles d'un tel kidnapping lorsque l'on sait que les ravisseurs de la femme pouvaient exécuter eux-mêmes l'attentat. Sauf si le but poursuivi était de porter cette affaire devant l'opinion afin de la fourvoyer en incitant cette même femme à venir à Alger en face du Palais du gouvernement faire une grève de la faim pour donner une résonance médiatique à une affaire assez étrange, d'autant plus que celle-ci intervient à la suite des affaires Sadi et Bouhadef.