De Doha à Moscou en passant par Téhéran, les taliban multiplient les négociations sur l'avenir de l'Afghanistan, imposant leur tempo diplomatique tout en ignorant souverainement le gouvernement afghan, de fait mis à l'écart des pourparlers de paix dans son pays. Au Qatar, les insurgés discutent avec les Etats-Unis, qui veulent retirer au plus vite leurs troupes d'Afghanistan. En Russie, ils s'entretiennent avec l'ex-président Hamid Karzaï, un opposant politique d'Ashraf Ghani. Alors qu'ils ne sont pas encore au pouvoir mais qu'ils expliquent déjà comment ils gouverneront, les taliban sont sollicités par Moscou et Téhéran, ennemis des Etats-Unis, qui cherchent à tisser des liens avec eux, selon des experts. Seul le gouvernement d'Ashraf Ghani, soutenu militairement et financièrement depuis 17 ans par les Etats-Unis, est exclu des discussions. Les rebelles, qui le qualifient de «marionnette» de Washington, ont refusé à de multiples reprises des pourparlers directs avec Kaboul. Les Etats-Unis, qui ne cessent de répéter qu'ils veulent amener les taliban à négocier directement avec Kaboul, semblent s'entretenir dans le même temps des modalités de leur retrait avec les seuls insurgés. Les «progrès» qu'ils ont affichés après avoir discuté ensemble pendant six jours en janvier à Doha font craindre aux Afghans que les troupes américaines ne quittent leur pays avant une paix durable. Une semaine après Doha, les taliban se retrouvaient hier à Moscou pour rencontrer certains des plus grands rivaux politiques d'Ashraf Ghani. Ces pourparlers distincts des négociations avec les Etats-Unis doivent porter sur «la fin de l'occupation, une paix durable et l'établissement d'un système de gouvernance islamique intra-afghan», ont annoncé les taliban. D'après leur porte-parole Zabiullah Mujahid, ils veulent ainsi «ouvrir des voies pour parvenir à un accord avec les groupes politiques afghans non gouvernementaux». Selon les analystes, ce qui se présente comme la première rencontre intra-afghane permettrait aux rivaux du président Ghani, dont son prédécesseur Hamid Karzaï, de saper son leadership avant l'élection présidentielle programmée en juillet. Furieux d'avoir une nouvelle fois été écarté, Ashraf Ghani a juré qu'il n'entendait pas rester les bras croisés. Les mêmes sentiments de trahison transpirent parmi les membres de l'exécutif à Kaboul. Amrullah Saleh, proche allié de M. Ghani, a dénoncé «une supplique adressée aux terroristes». «Nous apprécions les efforts déployés mais tout pourparler de paix sur l'Afghanistan devrait être tenu sous l'égide du gouvernement afghan», avait déclaré après Doha le Premier ministre afghan de facto, Abdullah Abdullah. Cet engagement taliban sur la scène diplomatique attire également une foule de puissances rivales, toutes désireuses de voir la fin de la guerre selon leurs propres ambitions stratégiques. Les pourparlers entre Américains et taliban, qui devraient reprendre le 25 février, constituent une «reconnaissance de la défaite» par Washington de sa campagne militaire dans le pays. «Pour la Russie et l'Iran, c'est une grande humiliation infligée aux Etats-Unis». Avec les projets de retrait en Syrie, «c'est un changement de paradigme». «Cela montre que les Etats-Unis sont liquidés comme position dominante au Moyen-Orient. Ils n'y reviendront pas».