Les labours anarchiques et sauvages ont provoqué la paupérisation des populations rurales et un déséquilibre dans l'occupation de l'espace induisant un exode massif. Au nord-est de Djelfa, c'est-à-dire là ou devait nous conduire notre voyage dans sa première étape, les chotts et la sebkha dans la commune de Aïn Maâbed cohabitent dans un décor imprenable, où se rencontrent les eaux de l'Atlas tellien et l'Atlas saharien pour finir leur course effrénée dans une dépression endoréique et s'évaporer dans la nature. En amont, l'un des plus grands CED de la région est en voie de reconstruction pour pallier justement cette perte inestimable d'eau, le CED de Marguerite, du nom de son fondateur, un officier de l'armée coloniale qui eut l'idée géniale d'ériger cet ouvrage vers la fin du XIXe siècle, afin de dévier et d'épandre sur des terres arides des eaux riches en solides comprenant des éléments minéraux, que charrie l'oued en période de crue. Au passage, il faut noter que l'étymologie attribuée au mot CED dans le dialecte correspond à dérivation alors que dans l'arabe littéraire, ce mot signifie barrage. Ce projet d'envergure d'une valeur de 4 milliards de centimes, une fois achevé par le Haut Commissariat au développement de la steppe(Hcds), couvrira les deux rives, sur près de 4000 ha, grâce au système d'écluses. Plus loin dans la région de Had S'hari au lieu-dit Laouer, notre attention fut attirée par un foisonnement de champs verts alors que la population est en général démunie pour pouvoir puiser l'eau si profondément. Un point d'eau pour 3600 ha Quelques autochtones, habitués au véhicule tout-terrain du Hcds, sont accourus vers nous dans l'espoir d'entendre annoncer la nouvelle d'un nouveau projet à lancer. Rester constamment à l'écoute des populations rurales est devenu une devise au Hcds depuis que cette règle a été instaurée par son patron M. Kacimi qui trouve en ce moyen, une solution idoine d'assurer un développement rural durable. Après un brainstorming avec les riverains, l'équipe d'ingénieurs qui nous accompagnait leur a promis d'étudier l'opportunité de réaliser un CED selon leur desiderata, en appoint à ceux déjà existants (M'ritim et Doukhna), récemment livrés pour l'irrigation par épandage de plus de 3000 ha et dont le coût a atteint 1,5 milliard de centimes. Au retour, nous avons fait une halte dans le territoire de la commune de Bouiret Lahdeb pour apprécier à perte de vue l'orge en vert, inimaginable avant les travaux de gabionnage détournant l'oued vers des terres autrefois incultes. Le maire de cette localité pauvre jubilait à l'idée de disposer d'un revenu qu'il pourrait tirer de la double location en hiver et en été et durant la campagne des moissons. Avant de déjeuner chez lui, il nous fera visiter une retenue collinaire non sans louer les mérites du Hcds qui emploie par ailleurs la main-d'oeuvre locale dans la culture de l'alfa et autres végétaux indispensables à la lutte contre la désertification. La deuxième étape de notre voyage nous mena vers le sud-est du chef-lieu de wilaya, où la végétation est plus clairsemée et donc foncièrement exposée aux agents d'érosion sur un sol extrêmement vulnérable. Après Messaâd vers Oum Laâdhamn, la route semblait interminable, de surcroît, le conducteur avait quitté la chaussée prenant un semblant de piste caillouteuse. Nous étions entrés de plain-pied dans les profondeurs pré-sahariennes. Le paysage est monotone, et l'horizon donne l'impression que le ciel et la terre se confondent. Mais subitement au lieu-dit R'bib El Kabch dans la commune de Salmana, apparaît devant nous, tel un mirage, un immense champ verdoyant investi par des brebis suitées et d'autres pleines. Là, nous avons su à quoi est dû ce changement, car lorsque le relief est accidenté, on aménage une mare d'eau d'une capacité minimale de 15.000 litres et maximale de 50.000 litres, lorsque le relief est plat, on construit un djoub (une citerne en béton enterrée) d'une profondeur de 5 m et d'une capacité moyenne de 500 m3, destinés à l'abreuvement du cheptel, en sus à quelques dérivations d'oued qui permettent de soulager les parcours mis en défens et qui sont aussi à l'origine de 4000 ha d'orge en vert. Actuellement, il existe un point d'eau pour 3600 ha alors que l'objectif visé par le Hcds est d'arriver à un pour 1500. Les ouvrages du Hcds sont très nombreux dans la steppe algérienne et, lors de notre sortie, nous n'en avons vu qu'un échantillon circonscrit à Djelfa, car l'Atlas saharien est un espace à l'infini, bien que ponctué de nombreux petits villages renfermant quelques foyers mais aussi de plusieurs agglomérations plus ou moins importantes. Son immensité et sa nature hostile n'ont jamais eu raison des tribus nomades qui ne cessent de le parcourir d'un bout à l'autre à la recherche de la végétation pour leurs troupeaux et en prêtant oreille à chaque nouvelle qui annonce des précipitations où qu'elles soient. Le climat y est rude, les températures varient entre -10 et 0 degré en hiver et dépassent souvent la barre des 35 degrés en été. La pluviosité est irrégulière, 200 à 500 mm par an. En fait, toutes les caractéristiques d'un climat continental. La sauvegarde de l ‘écosystème L'activité humaine est dominée par l'élevage d'ovins et, dans une moindre mesure par une culture céréalière visible souvent au niveau des dépressions que l'érosion hydrique provoque au fur et à mesure et ce, aux dépens d'une culture alfatière, nécessaire pour lutter contre la désertification et la dénudation des sols car le couvert végétal subit constamment une action agressive de l'érosion naturelle aggravée par des labours anarchiques et sauvages qui provoquent, d'abord, la paupérisation des populations rurales puis un déséquilibre dans l'occupation de l'espace induisant, en toute logique, un exode massif. Dans le souci de préserver l'écosystème et conscient de l'ampleur de la menace qui pèse sur la steppe, une région qui recèle un potentiel certain surtout en eaux superficielles estimées à 2,5 milliards de m3, l'Etat a pris un train de mesures. L'application de ces mesures de développement intégré a été confiée au Hcds créé en 1981 pour rayonner sur 23 wilayas steppiques. L'action de valorisation des potentialités existantes a conduit cette institution à mettre en place une politique de développement basée sur la réhabilitation et la restauration des parcours naturels dégradés, l'intensification de la production fourragère par le recours aux eaux de surface en zones d'épandage sur une superficie estimée à 1000.000 d'hectares, l'amélioration des conditions d'abreuvement des cheptels par la densification des points d'eau, la réhabilitation de l'agriculture oasienne, dans les ksour et les vallées, par la captation des eaux de sources et la confection de seguias, enfin la promotion de l'utilisation des énergies renouvelables dans l'exhaure de l'eau et pour l'électrification des foyers et accessoirement, la diversification des activités, on citera, à titre indicatif, l'artisanat et l'éco-tourisme. Pour toute la steppe et depuis 2003 au premier semestre 2005, 552 projets de proximité de lutte contre la désertification et de développement du pastoralisme ont été réalisés et répartis à travers 120.000 ménages établis sur 250 communes. Sur 7000.000 ha dégradés, 2700.000 ont été restaurés par la mise en défens. Sur 1000.000 ha dont la dégradation est avancée, 300.000 ont été réhabilités par la plantation pastorale. Sur un potentiel de 1000.000 ha de terres irrigables en zones d'épandage de crues, 400.000 ont été irrigués par dérivation. 600 millions de m3 d'eau superficielle ont été domestiqués. L'amélioration du rendement viande par carcasse est passé de 13 à 21 kg. 142.000 équivalents d'emplois permanents ont été créés en milieu rural. Plus schématiquement, cela se traduit par la réalisation de 6032 unités, tous points d'eau confondus : Djoub, CED, mare, puits, sources captées, forage avec équipement, de 900.000 ml de seguia, de 1200.000 m3 de travaux de conservation des eaux et des sols, l'aménagement et la réalisation de 800 CED et enfin l'attribution de 3000 kits solaires. C'est dire l'effort considérable accompli pour tenter de fixer les populations en impulsant l'économie rurale. Notre voyage a duré deux jours, quant à la steppe, les autochtones la mesurent au tiers du vide sidéral!