Le confort de l'Europe se télescope très souvent avec les «petits soucis» des pays du Sud. C'est aujourd'hui que s'ouvre, à Alger, la réunion annuelle des ministres de la Défense des «5+5». Constitué de cinq pays européens, l'Espagne, la France, l'Italie, Malte et le Portugal, et des cinq pays de l'Union du Maghreb, en l'occurrence le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie, les «5+5» vont essayer de trouver les mécanismes opérants pour la sécurité et la coopération de la Méditerranée occidentale. La dernière réunion des «5+5» s'était tenue à Paris, en décembre 2004, et les ministres des pays membres avaient convenu de mettre en chantier des plans d'action concernant la sécurité aérienne et maritime, l'assistance en cas de catastrophes naturelles, la lutte contre la criminalité et - surtout - la coopération en matière de lutte antiterroriste. Des divergences avaient émaillé les débats, mais le groupe avait laissé entendre que toutes les aspérités seront lissées au prochain sommet des dix Etats membres. La réunion d'Alger devrait être plus ambitieuse avec plus d'une douzaine de sujets retenus à l'ordre du jour, dont certainement une rencontre entre chefs d'états-majors de la marine. Idée proposée, retenue et appuyée à fond par les responsables de l'Otan qui, sous l'impulsion des Etats-Unis, veulent sécuriser au plus tôt la Méditerranée, espace géostratégique «qui pourrait présenter un danger potentiel pour Washington, s'il n'est pas contrôlé de manière rigoureuse par les forces locales». L'Algérie, qui accueille cette réunion, se distingue par le fait qu'elle s'est engagée au plan stratégique avec l'Otan, tout en maintenant son partenariat militaire avec la Russie. D'un autre côté, elle présente désormais le profil, constamment mis en relief par les Etats-Unis, d'un pays précurseur en matière de lutte antiterroriste. C'est-à-dire que, par rapport aux premières réu-nions du groupe, au milieu des années 90, ou de la réunion de décembre 2004, l'Algérie accueille les neuf autres pays dans le rôle d'un hôte qui se place désormais dans une position privilégiée. En principe, les «5+5» veulent une sécurité commune, mais là, les choses risquent de ne pas être simples, parce que, justement, les intérêts divergent. Les cinq pays de l'Europe sont relativement aisés par rapport aux cinq autres pays qui leur font face, et par conséquent, ils veulent un peu plus de sécurité pour leur pays. En termes clairs, ils veulent que le flux de l'immigration clandestine soit plus contrôlé, mieux maîtrisé et, en fait, que le Sud régule ses «débordements humains» et contrôle au mieux ses frontières terrestres et maritimes. Ce souci n'est pas partagé par les pays du sud de la Méditerranée. L'Algérie, tout comme le Maroc, est confrontée à quelque 8000 candidats à l'immigration clandestine vers l'Europe via son propre territoire. Les interceptions opérées au niveau des frontières sud de l'Algérie mobilisent des moyens humains et financiers énormes, qu'elle ne peut couvrir à elle seule, en se proposant au rôle de «bouclier de l'Europe». L'initiative des «5+5» ne peut aboutir si elle prend en ligne de compte - même sans le dire - la seule sécurité de l'Europe. Depuis les attentats du 11 septembre, la sécurité est devenue une hantise pour l'Occident. Le vecteur du terrorisme est représenté par les Etats du Sud, c'est-à-dire qu'une moitié des «5+5» accuse l'autre moitié - mais sans le dire - d'être à la source de ses maux. Les pays du Sud ont, de leur côté, leurs griefs retenus contre l'Europe, dont celui d'héberger des radiaux, de ne pas participer ou alors de participer faiblement à l'effort des pays maghrébins d'arrêter le flux migratoire exceptionnel. La sécurité concerne aussi d'autres aspects, politiques, économiques, sociaux, militaires ou même culturels, et c'est dans son ensemble que la sécurité se fait. Ou ne se fait pas.