«Si tu veux aimer ton prochain, tu haïras bien du monde.»Laslo del Vasco Le 8 décembre 1965, Paul VI clôturait le grand concile du XXe siècle, ouvert en 1962 par Jean XXIII. Quatre décennies plus tard, Vatican II n'a pas fini de produire ses fruits. Le pape commémorait le concile du Vatican II. Ce concile consacrait pour la première fois l' «aggiornamento»: l'ouverture, de l'Eglise qui se relevait difficilement de deux millénaires d'ostracisme et de sa position ambiguë pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce vent d'espoir entretenu pendant le pontificat de Paul VI, a graduellement perdu de sa puissance. Le long règne de Jean-Paul II, s'il a pu donner aussi quelques espoirs avec sa fameuse phrase: «N'ayez pas peur», n'a pas en revanche fait avancer les relations entre chrétiens et musulmans et le fameux dialogue islamo-chrétien est plus que jamais dans l'impasse. On sait que le pape Jean-Paul II a tout fait pour se rapprocher du judaïsme - visite à la synagogue de Rome - au point de reconnaître la faute de l'Eglise pour avoir diabolisé pendant deux mille ans, le peuple juif avec les conséquences que l'on sait avec l'idéologie du nazisme qui ne fut pas une rupture d'avec «l'air du temps» mais plutôt une filiation d'un «état d'esprit» que les hommes d'église mais aussi des scientifiques, à l'instar de Renan, Gobineau, Chamberlain, ont inculqué à leur peuple, quant à l'inégalité des races. Les musulmans n'ont pas compris que le pape ne dise pas un mot de la responsabilité de l'Eglise dans l'horreur des croisades. Quand le pape Urbain II donna en 1096 le signal pour aller défendre le «Saint Sépulcre», des centaines de milliers d'Européens prirent la route de Jérusalem qu'ils prirent d'assaut le 15 juillet 1099. L'excellent livre d'Amine Maalouf Les croisades vues par les Arabes a été pour les musulmans et les Arabes une découverte. Il a permis de relativiser, sans tomber dans le travers inverse, tout ce que l'Occident a appris aux colonisés que nous étions sur les preux Chevaliers, les Sarrasins (1) Créée en 1969, à l'initiative de l'Arabie Saoudite et suite à l'incendie criminel de la mosquée El Aqsa de Jérusalem, ressenti comme une agression contre l'ensemble du monde musulman, l'Organisation de la conférence islamique (OCI) prétend, avec ses 600 millions de citoyens, représenter le cinquième de l'humanité. Elle se donne pour buts essentiels : de promouvoir la solidarité entre états membres; de prendre toute mesure pour aider à la paix et à la sécurité internationale fondée sur la justice; de coordonner les efforts de sauvegarde des lieux saints et appuyer la lutte du peuple de Palestine et l'aider à récupérer ses droits et libérer son territoire. L'illusion de l'unité La conférence des rois et des chefs d'Etat et de gouvernement se réunit tous les trois ans, cette Organisation n'a rien de religieux. Ses buts sont politiques, culturels, économiques et sociaux. Plusieurs Etats comptant des millions de personnes de confession musulmane ne sont pas représentés au sein de l'OCI, comme l'Inde ou la République populaire de Chine. Lors du Sommet de La Mecque, de décembre, l'OCI a donné l'illusion de l'unité et tente de redorer l'image de l'islam, ternie par le terrorisme. Il y a eu adoption de la «Déclaration de La Mecque «et d'un Plan d'action de dix ans pour relever les défis du XXIe siècle». Le premier document, relatif à la «Déclaration de La Mecque «contient les principes et la vraie vision commune d'un islam modéré et appelle les pays islamiques à faire un sincère examen de conscience fondé sur le Coran et la Sunna ainsi qu'à condamner fermement tout acte terroriste. Dans son discours d'ouverture, le roi Abdallah d'Arabie Saoudite a appelé les musulmans du monde entier à faire valoir le principe de «modération» et à résister à toute forme d'extrémisme et en tout lieu. Le souverain saoudien a souligné que l'unité islamique ne peut se faire par l'effusion du sang mais, tout au contraire, «par la modération». Et c'est dans ce même esprit de tolérance et de modération que le roi Abdallah a proposé une révision de certains systèmes scolaires qui seraient à l'origine de la montée intégriste. Pour lui, cette opération «est une demande essentielle pour former chez le musulman une personnalité tolérante et, partant, pour [créer] une société qui refuse l'enfermement et l'isolement (...) et qui soit en harmonie avec l'humanité». «J'aspire à une nation islamique unifiée et à un pouvoir qui mette fin à l'injustice», oeuvrant à «l'éradication de la pauvreté», a annoncé le souverain saoudien. L'unité islamique ne peut pas se faire par l'effusion du sang, comme le prétendent les «déviants» - terme désignant les extrémistes islamistes -, mais «par la modération», a déclaré le roi Abdallah d'Arabie Saoudite à l'adresse des dirigeants des 57 membres de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), à l'ouverture du sommet extraordinaire qui s'est tenu mercredi 7 et jeudi 8 décembre à La Mecque. S'en prenant à «l'extrémisme et à [la pensée] djihadiste», à la base de l'action des groupes islamistes radicaux dont Al Qaîda, il a prôné «un esprit de tolérance et de modération» dans le monde musulman.(2) Le plan d'action prévoit une restructuration de l'Organisation. L'Académie islamique du Fiqh (jurisprudence islamique), l'un de ses organes implantés en Arabie Saoudite, doit, selon ce principe, «devenir pour nos peuples une référence suprême en matière de jurisprudence (...) afin de mettre fin à l'incertitude provoquée par la multiplicité des références et la diversité des fatwas», a indiqué le ministre des Affaires étrangères saoudien, Saoud Al Fayçal. Comme pour relativiser ces «bonnes dispositions» dans l'esprit de «Munich», le numéro deux d'Al Qaîda, l'Egyptien Aymane Al Zawahiri, a appelé les combattants d'Al Qaîda à attaquer les installations pétrolières dans les pays islamiques «parce que la majeure partie des revenus du pétrole va aux ennemis de l'islam», selon la chaîne qatarie. Al Qaîda «est devenue, avec la volonté de Dieu, une organisation populaire qui affronte la nouvelle campagne croisée et sioniste, pour défendre tous les territoires dont ont été spoliés les musulmans». «Les musulmans de tous les pays islamiques rejoignent» Al Qaïda, qui «combat tous les apostats et les régimes à la solde» de l'Occident, a-t-il poursuivi. Une menace à peine voilée à l'encontre de certains pays membres de l'OCI. (3) Du côté de l'Eglise, la fructification de l'héritage se fait surtout dans le sens d'un approfondissement de la doctrine. Pour Mgr Jean-Charles Descube, archevêque de Rouen, c'est un temps fort de relecture et d'approfondissement. « Je suis persuadé, explique-t-il, qu'il faut du temps pour s'approprier un événement comme le Concile. J'ai aussi le sentiment que certaines intuitions conciliaires n'ont pas été suffisamment exploitées. On en vit bien souvent, mais il faut davantage en prendre conscience.» 8 décembre 1965 - 8 décembre 2005. Quarante ans ! Certains s'en souviennent avec enthousiasme, et parfois nostalgie. Le concile fut pour eux le terreau où leur foi s'est nourrie et a grandi. Presque naturellement. «Quelle espérance nous a habités pendant le concile, témoigne le P. Michel Patureau, prêtre, né en 1928... Hélas, cette grande espérance s'est peu à peu estompée. À nouveau est revenue la tentation de repli au coeur de la forteresse, dont les fenêtres ne se seront entrouvertes qu'un instant.» Pour la plupart de ceux qui, témoins ou historiens, ont vécu le concile «en train de se faire», ce fut un événement fondateur, une bouffée d'air incroyable, une grande étape dans l'histoire de l'Eglise catholique et dans leur propre histoire. Beaucoup de catholiques se sont tout de suite sentis à l'aise dans cette Eglise qui s'ouvrait toute grande à la vie des hommes et au souffle de l'Esprit. L'histoire de la réception du concile n'est pourtant pas simple. Dès le départ, au sein même de la curie romaine et parmi les fidèles, des oppositions et des tensions se sont manifestées. Le concile, «né d'un petit quart d'heure de folie de Jean XXIII», selon une raillerie toujours en cours, était dangereux. Quarante ans après, la manière de lire les textes demeure une grande interrogation et crée toujours des clivages. Pour beaucoup, les divergences sont pensées à partir d'une grille de lecture «politique» bipolaire (progressisme-traditionalisme, Eglise-société...) qui ne suffit pas, fait remarquer le P. Christoph Theobald, théologien jésuite au Centre Sèvres à Paris. «Le concile nous met sur une ligne de crête, avec la possibilité de tomber à droite ou à gauche, dans la sécularisation ou l'identitaire», analyse de son côté le P.Guggenheim. «Quels sont les enjeux pour l'Eglise? Quel chemin parcouru depuis le concile?» Se réclamer de “l'esprit” du concile peut n'être que l'expression d'une volonté d'ouverture, le signe d'un vague libéralisme, prévient le P. Theobald. Mais ce peut être aussi quelque chose de beaucoup plus fin qui consiste à retrouver l'esprit de la lettre du concile - historiquement située -, et «à renvoyer à l'esprit du concile qui n'a pas donné de solutions, mais une manière de résoudre les problèmes».(4). Qu'on se souvienne que les discours creux de l'OCI n'apportent rien de concret. L'organisation qui avait deux buts principaux lors de sa création en 1969, défendre les lieux saints et la cause palestinienne, s'en occupe de moins en moins et s'est dévitalisée au point de devenir une organisation caritative chiche, eu égard au pactole de près de 800 milliards de dollars des monarchies du Golfe dans les banques européennes et américaines. Qu'on en juge, par ce communiqué sur la judaïsation de Jérusalem et l'appel au secours d'une organisation d'un milliard et demi de personnes qui se plaint auprès d'un Occident qui laisse Israël (6 millions de personnes, mais en fait, 6 millions de cerveaux) judaïser l'histoire de Jérusalem. Lisons la plainte naturellement qui va rester sans suite: «Son Excellence, Pr Ekmeleddin Ihsanoglu, secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique, a exprimé sa profonde préoccupation face à la situation actuelle des lieux saints et des sites historiques dans la ville d'Al Qods Acharif, par suite des mesures israéliennes, en particulier, les fouilles effectuées par les autorités d'occupation au-dessous de la Mosquée bénie d'Al Aqsa et des enceintes de la partie ancienne de la cité sainte. Et la science? «Le secrétaire général a tenu à rappeler que la ville d'Al Qods Acharif est chère à tous les musulmans, qu'elle fut leur première «Quibla» et qu'elle est le troisième lieu saint de l'Islam. Le secrétaire général a ajouté que la ville sainte figure en tête des préoccupations de l'Organisation de la conférence islamique qui ne ménagera aucun moyen en vue d'en préserver l'identité historique, religieuse et islamique, de reconstruire et d'entretenir ses monuments historiques. «Le secrétaire général a attiré l'attention du monde entier sur la gravité des récentes déclarations israéliennes concernant la fissuration des murs entourant la partie ancienne de la cité sainte. Il s'agit, a-t-il dit, d'une tentative israélienne visant à s'immiscer dans les affaires intérieures des waqfs islamiques et d'altérer l'identité de la ville, afin d'en falsifier l'histoire, d'en modifier les monuments et de la judaïser. Le secrétaire général a invité la communauté internationale à assumer ses responsabilités en amenant Israël à respecter les lois internationales qui lui interdisent de modifier les monuments géographiques de la ville d'Al Qods Acharif et d'en manipuler les monuments historiques. Il lui a aussi demandé d'amener l'occupant à cesser ses agressions contre la ville sainte, à lever le blocus qu'il lui impose et à arrêter l'implantation des colonies». (5). Israël va se dépêcher d'obtempérer par crainte de malédictions de la part des musulmans. Pratiquement dans ce «Sommet», pas un mot n'a été prononcé sur la nécessité d'aller vers la science de créer des laboratoires de recherche où la fine fleur des scientifiques musulmans pourrait avec des financements adéquats tenter de rattraper pour le compte des peuples musulmans, l'immense retard technologique, notamment dans celui de l'informatique et les Ntic. Comment combler la fracture numérique, comment développer des satellites, comment aller vers l'atome d'une façon responsable apaisée et déterminée? La pénible impression que l'on retire est que les chefs d'Etat parlent pour eux-mêmes, leur problème est comment donner des signes d'allégeance à l'Occident pour garder leur trône. Un «califat technologique» qui pourrait sauver le monde musulman et qui pourrait lui permettre de donner la pleine mesure de son talent, n'est pas une «utopie», il faut pour cela, naturellement, que les peuples aient leur mot à dire et qu'ils réhabilitent l'effort et le travail. Le salut est à ce prix. Nous en sommes à des années-lumière. Ecole Nationale Polytechnique 1.A.Maalouf: Les Croisades vues par les Arabes. Rééditon aux Editions Casbah 2002 2. L'OCI tente de redorer le blason de l'Islam, Le Monde du 7 décembre 2005 3. Message d'Al Zaouairi, Agence France Presse. Le 8 décembre 2005 4.Elodie Maurot et Bernard Jouanno: Vatican II, quarante ans après. La Croix. 10 décembre 2005 5.Appel du secrétaire général de l'OCI: Jeddah: 20 novembre 2005.