La justice très solicitée Ceux qui ont volé l'argent du peuple et ont abusé de sa confiance doivent être punis. Mais, dans une période aussi floue, c'est un pari risqué. Cela peut aboutir à des procès expéditifs et à des règlements de comptes. Or, le peuple demande justice et non vengeance! De «tetnahaw gaâ» (vous partez tous), on est passé à «Tethasbou gaâ» (vous serez tous jugés). Le peuple en colère exige, depuis longtemps, que justice soit faite, mais avec l'avènement de la révolution pacifique, cette demande a pris tout son sens! Les manifestations des juges aux côtés des avocats pour réclamer leur indépendance a confirmé que l'Algérie était loin d'être un Etat de droit. Ces derniers ont été ragaillardis par les millions de voix appelant aux jugements des «puissants» qui ont détourné l'argent public et tous ceux qui ont profité du «parapluie» de l'ancien régime pour faire des affaires ou bénéficier indûment de gros crédits bancaires. La révolte a libéré les langues et les grands déballages qui ont éclaté sur les réseaux publics ou encore les folles rumeurs sur la fuite d'énormes sommes d'argent dopées par les saisies opérées aux frontières, ne pouvaient laisser indifférents ceux qui ont fait le serment de dire la loi au nom du peuple et pour le peuple. Les assurances d'Ahmed Gaïd Salah à la justice pour mener en toute quiétude ses enquêtes sur les anciens et nouveaux dossiers de corruption, ont été comme l'ultime déclencheur d'une grande opération «mains propres», version 2019. Plusieurs hommes d'affaires ont été arrêtés, auditionnés, inculpés et certains incarcérés. Sénateurs, walis, ministres et même l'ex-Premier-ministre, ont été tous convoqués par le juge. D'autres attendent leur tour. Pour la journée d'hier seulement, 8 ans de prison ferme ont été requis à l'encontre du sénateur Djouher, arrêté en flagrant délit de corruption, le ministre des Finances, Mohamed Loukal, a été auditionné par le procureur de la République près le tribunal de Sidi M'hamed à Alger pour soupçons de «dilapidation des deniers publics et de privilèges indus». Pour ces mêmes chefs d'inculpation, sera entendu aujourd'hui Ahmed Ouyahia, l'ex-Premier ministre alors que l'ex-chef de la police Abdelghani Hamel, limogé en juin 2018, a comparu, lui et son fils, hier devant le juge d'instruction du tribunal de Tipasa dans d'autres affaires «de trafic d'influence, de détournement de biens fonciers et d'abus de fonction». L'ex-wali de Tipasa Moussa Ghelai, soupçonné de corruption, a lui aussi été entendu, dimanche, par le juge d'instruction près le tribunal de Tipasa. Les noms de Djamel Ould Abbès, Saïd Barkat ou encore Chakib Khelil sont déjà inscrits sur la liste de la justice. Du côté des hommes d'affaires, Haddad et Rebrab et les trois frères Kouninef comptent leurs jours de détention préventive. D'autres concernés par une interdiction de sortie du territoire national, ont été entendus par la Gendarmerie nationale et attendent, anxieusement leur convocation par la justice. La justice commence donc à s'attaquer aux gros poissons, mais si elle doit le faire, elle ne doit surtout pas être sélective. Si un homme d'affaires a obtenu des privilèges, le décideur puissant qui les a octroyés doit aussi être jugé. C'est pourquoi, juger des affaires de corruption dans une période aussi floue que celle que vit actuellement l'Algérie, reste un pari risqué. Car, cela peut aboutir à des procès expéditifs et à des règlements de comptes. Or, le peuple demande justice et non vengeance! Tous ceux qui ont volé l'argent du peuple et ont abusé de sa confiance doivent être punis. Mais pas seulement. L'argent pillé doit être récupéré. C'est là, la rude tâche qui doit être menée en premier. Les enquêteurs devront pister les traces de l'argent détourné qui à ne pas en douter, à emprunté des chemins complexes et sinueux. C'est ce qui permettra le gel et la confiscation des biens là où ils sont en Algérie. Pour les biens à l'étranger, les mécanismes ne manquent pas ni les conventions de coopération judiciaire, signées entre l'Algérie et d'autres pays. Viendra ensuite le grand jour: le jour du jugement. Ce jour-là, la IIe République serait née et vivrait les balbutiements d'une vraie démocratie. Ce qui permettra à la justice, forte alors de son indépendance, de prononcer, sereinement et loin de la pression et l'euphorie de la révolution populaire, son verdict contre ceux qui ont volé le pays, mais qui ont surtout volé le rêve de millions d'Algériens.