L'ex-premier ministre Les Algériens ont la conviction que beaucoup de mal a été fait. Il serait anormal que tout le monde s'en sorte sans égratignure, mais il serait inadmissible pour les Algériens qui ont libéré les juges, que la sanction ne tombe que sur des lampistes. La convocation adressée par le juge d'instruction au ministre des Finances, Mohamed Loukal, et à l'ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, révèle l'ampleur de l'opération de lutte contre la corruption enclenchée par l'institution judiciaire. Libérée par le mouvement populaire et encouragée par le chef d'état-major, la justice algérienne a enclenché un nouveau cycle dans son parcours, cette fois visiblement plus déterminé que les précédents. En effet, des opérations semblables ont été déjà menées par le passé, mais l'on n'a jamais assisté, depuis l'indépendance du pays, à la convocation d'un ancien Premier ministre. Sans s'immiscer dans le contenu du ou des dossiers qui ont justifié la convocation de Ahmed Ouyahia et Mohamed Loukal, ceci relevant du secret de l'instruction, il convient de souligner la «lourdeur» d'une procédure au plan d'abord politique. Il va de soi que l'ancien Premier ministre bénéficie de la présomption d'innocence autant que le ministre des Finances en exercice. Ils ont même le droit de manquer à deux convocations du juge. La loi leur accorde ce droit. La troisième convocation est, par contre, obligatoire quitte pour ce faire à utiliser la force publique. Il est entendu que les deux hauts commis de l'Etat répondront à la convocation. Mais du seul fait de leur présentation devant un juge d'instruction, relève d'une «révolution», confirmant la séparation des pouvoirs et la primauté de la loi. Revendiquée par les manifestants, vendredi après vendredi, l'ouverture des dossiers relevant de la spoliation de deniers publics prouve, si besoin, que les slogans entonnés par les Algériens ont effectivement un impact sur le terrain. Mais il convient aussi de souligner que cette opération, lancée à grand renfort médiatique et qui ne ressemble pas aux précédentes, se doit de répondre à l'exigence d'équité et d'impartialité telle que réclamée par les millions d'Algériens qui battent hebdomadairement le pavé des villes du pays. Si la convocation d'un ancien Premier ministre et d'un ministre des Finances a fait l'effet d'un sérieux déclic au sein de l'opinion nationale, il faut que cette «prise de conscience» de l'élite judiciaire, le soit réellement. Une opération d'enfumage qui ne va pas au fond du mal ferait bien plus de dégâts qu'une attitude passive face à la criminalité en col blanc. Aussi, les Algériens qui saluent le courage des juges et cette «démonstration d'indépendance», s'attendent objectivement à ce que les investigations et les convocations qui suivront ne se limitent pas à quelques figures connues et concerneront tous ceux sur qui pèsent des suspicions, pour les confirmer ou les lever. Cette posture offensive, souhaitée par la société, ne signifie pas du tout que la justice soit expéditive. Il est entendu qu'une justice rendue dans la hâte, qu'elles qu'en soient ses motivations, compliquerait la donne, tant judiciaire que politique. Les règlements de comptes et la chasse aux sorcières ne passeraient, de toute façon, pas inaperçus. Les Algériens, pour qui, l'avènement d'une justice indépendante est le point d'orgue du mouvement populaire, savent que le rendu de la justice doit se faire dans la sérénité. Le temps de la justice n'est pas celui de la politique. Une convocation ne signifie pas une condamnation et l'arrêt d'un processus après quelques grands titres de la presse serait un mauvais signe en direction de l'opinion. La lutte contre le détournement de l'argent public doit être implacable parce que le crime est très grave, mais cette même lutte doit reposer sur le droit et le respect de la présomption d'innocence et des enquêtes fouillées et aussi le courage de relaxer un prévenu, même s'il a été «jugé et condamné» par la vox populi. C'est cela la justice qu'attendent les Algériens des décideurs. Mais ils attendent surtout à ce que les investigations aboutissent. Car, il est de notoriété publique que d'importants crimes contre l'économie nationale ont été commis, à travers des surfacturations, des pots-de-vin et autres trafics dans les deniers de l'Etat. Les Algériens ont la conviction que beaucoup de mal a été fait. Il serait anormal que tout le monde s'en sorte sans égratignure, mais il serait inadmissible pour les Algériens, qui ont libéré les juges, que la sanction ne tombe que sur des lampistes. Cela pour dire que les «instructions» de la société sont on ne peut plus claires. L'Algérie doit juger les voleurs, mais dans le respect de la loi. D'autres pays ont choisi les voies les plus diverses pour récupérer l'argent du peuple, détourné. De l'emprisonnement des richissimes hommes d'affaires, qui ne doivent leur libération qu'au remboursement des sommes détournées, solution décidée par l'Arabie saoudite, jusqu'à l'effacement des poursuites en contrepartie du rapatriement des fortunes comme le préconise la Russie, l'Algérie pourrait choisir la voie la plus longue, en actionnant sa justice. Mais dans tous les cas, l'urgence n'est pas tant dans la lutte contre les détournements de l'argent public qui doit être permanente, mais dans l'envoi d'un signal fort que désormais, ce genre de crimes sera durement puni par une justice forte et indépendante.