Abane avait cette idée que la Révolution ne doit pas être un simple soulèvement. Le 27 décembre 1957 disparaissait Abane Ramdane, assassiné par ses compagnons d'armes, au Maroc. « Il ne dérangera plus » devaient-ils dire. Et pourtant, 48 ans après, il continue de déranger, de narguer, parce que pour lui, comme pour des milliers de chouhada, la révolution et la marche vers la liberté passent forcément par le sacrifice de soi. Comme dirait Rédha Malek, qui a bien connu Abane Ramdane: «Il était impératif pour les Algériens qu'ils changent le cours de l'histoire par une révolution armée, car pour lui ce qui a été pris par le feu ne peut être repris que par le sang , et Abane incarnait cette idée.» Abane Ramdane n'est pas considéré comme le père de la révolution. Il ne fait partie ni du groupe des 22, qui ont créé le FLN dans une villa à Clôts Salembier, ni de celui des 6, qui en était le noyau dirigeant, pour la simple raison qu'il était en prison à la veille du déclenchement de la révolution. Mais Abane Ramdane, dès sa libération en mars 1955, est devenu par la force des choses le théoricien de la révolution. Son esprit méthodique, son sens de l'organisation, ses capacités de stratège et son don de visionnaire, ont fait qu'il était l'un des premiers hommes de l'Etat de la future Algérie indépendante. Bien avant de songer à l'organisation du congrès de la Soummam, dont il a rédigé avec Larbi Ben M'hidi, les textes fondateurs, il a d'abord commencé par ouvrir les rangs du FLN aux autres forces politiques : les Oulémas, les amis du Manifeste, les communistes. Il ira encore plus loin en jetant les bases d'un vaste mouvement ouvrier (Ugta) activant sous la houlette du FLN. Il sera l'inspirateur de l'hymne national «Kassaman», dont le texte a été composé par le poète de la révolution Moufdi Zakaria. De l'avis des personnalités qui l'ont connu, comme Reda Malek, Abdelhamid Mehri, M'hamed Yazid, Benyoucef Benkhedda, Salah Boubnider, il était doué d'un sens de l'organisation extraordinaire et à ce titre, il était avant tout un rassembleur. Ses rencontres avec Ferhat Abbas, pour l'Udma, avec Larbi Tebessi pour les Oulémas, Sadek Hadjrès pour les communistes, Aissat Idir pour le mouvement ouvrier, vont contribuer à renforcer les rangs de la révolution, et bien sûr, à combattre le sectarisme. La patrie n'appartient pas à une sensibilité politique en particulier, mais à tous les Algériens, y compris, dans l'esprit de Abane, à l'époque, les Juifs et une catégorie de pieds-noirs qui étaient nés en Algérie et qui n'avaient pas fait de mal. Ceux qui l'ont côtoyé témoignent également de son sens moral élevé, de sa pureté, de sa foi dans la libération inéluctable du pays, de son nationalisme sans faille. En fin de compte, le parcours de Abane Ramdane, depuis sa sortie de prison en mars 1955 jusqu'à sa mort en décembre 1957, a été très bref, soit deux ans et demi à peine, mais cette période très courte a été très riche, puisqu'elle a doté la révolution de ses textes fondateurs, de ses structures dirigeantes. Ses réseaux furent reconstitués ou renforcés. «Abane avait cette idée que la Révolution ne doit pas être un simple soulèvement. Il fallait lui donner des orientations justes, un cadre et une stratégie adaptée aux exigences de notre époque et à la détermination de tout un peuple à arracher l'indépendance en acceptant tous les sacrifices» dira Réda Malek au Forum d'El moudjahid. On n'oubliera pas également que cet enfant de Azzouza, mathématicien de formation, a été aussi le fondateur du journal El Moudjahid, preuve de l'importance qu'il accordait à l'information et à la communication.