Vingt-sept décembre 1957-27 décembre 2005. 48 ans après son exécution par ses compagnons d'armes à Tétouan, au Maroc, Abane Ramdane fait toujours l'actualité. Une brûlante actualité. Son projet, sa mort et même sa dépouille sont sujets aujourd'hui à une grosse polémique. En ce jour commémorant son abject assassinat, cet homme décidément trop dérangeant, sa famille qui se recueillera aujourd'hui sur sa tombe au cimetière d'El Alia, ou ce qui en reste, va devoir marquer ce triste anniversaire d'une pierre noire. D'une pierre noire parce que la sépulture de son fils héros a été profanée à la veille du 1er novembre dernier, qui marquait le 50e anniversaire du déclenchement de la glorieuse révolution. Quel sacrilège pour un homme qui a payé de sa vie son attachement indéfectible aux idéaux de liberté et de démocratie ! Suprême insulte pour celui que ses compagnons surnomment, à juste titre, « l'architecte de la révolution ». Abane Ramdane ne laisse personne indifférent. Partisans et adversaires ne ratent aucune occasion, les uns pour louer les qualités hors pair de l'homme, les autres pour déverser leur fiel sur un leader qui les a empêchés d'arrimer la révolution algérienne à celle de Djamel Abd Ennasser. De tous les dirigeants de la Révolution, morts ou en vie, Abane Ramdane reste de loin celui qui suscite le débat, ravive la polémique, mais surtout dont le projet politique est plus que jamais transposable à l'Algérie de 2005. Un colloque, tenu il y a deux ans à Paris, et qui avait réuni un aréopage d'historiens et d'hommes politiques, avait choisi comme thème générique : « Abane Ramdane : une alternative encore possible ». Mohamed Harbi, Benjamin Stora, le philosophe Messaoud Benyoucef, entre autres, s'étaient relayés à la tribune pour disséquer la pensée de Abane et mettre en relief « ses capacités d'organisation et de rassemblement ». Pour Mohamed Harbi, Abane fait tout simplement partie « des mythes politiques ». Il est vrai que les qualités de cet homme sont reconnues, y compris par ceux qui ne le portent pas forcément dans leur cœur. D'autres, en revanche, laissent échapper leurs rancœurs. A l'image de Ali Kafi qui, dans un livre-mémoire controversé et publié en 2001, accusait Abane Ramdane d'« intelligence avec l'ennemi » ou encore de Ahmed Ben Bella qui l'avait lynché, via Al Djazeera, en le présentant comme un « traître ». Régulièrement donc, la famille de Abane Ramdane a été appelée à réagir contre ces tentatives récurrentes de souiller la mémoire de son fils par des gens qui n'apportent aucune preuve historique, sinon celle de vouloir se venger sur un homme dont le seul tort était d'avoir voulu préserver la révolution des luttes des clans et autres courses au pouvoir. On voit bien que même mort, Abane polarise le débat. Et sa mort est justement sujette à un silence d'Etat. Près d'un demi-siècle après, les écoliers, lycéens et étudiants algériens ne savent pas qu'il avait été assassiné par ses frères. Ils ne savent pas non plus pourquoi, par qui et comment il avait été exécuté un certain 27 décembre 1957. Pis encore, un autre silence est savamment entretenu sur sa dépouille qui serait restée à Tétouan, malgré la fameuse opération de rapatriement publique, organisée il y a quelques années. Hocine Aït Ahmed n'a pas hésité à jeter un pavé dans la mare, le 1er novembre dernier sur BRTV, en soutenant que la dépouille de Abane « n'a jamais été rapatriée ! ». Le philosophe Messaoud Benyoucef, lui, enfonce le clou en affirmant que la tombe de Abane à El Alia « est vide, et que c'est une mort sans cadavre ! ». Officiellement, ce sujet demeure un tabou. Et la profanation, le 28 octobre dernier, de cette sépulture a relancé encore la suspicion. S'agissait-il d'un acte de vengeance commis par ceux qui s'acharnent sur la mémoire de cet homme ou, alors, l'œuvre préméditée des personnes qui veulent ouvrir une tombe... vide ? A Tétouan ou à El Alia, Abane Ramdane hante les mémoires.