«J'ai appris le montage en voyant ma mère coudre et assembler des tissus», nous confie cet artiste aux multiples facettes. Né en Camargue en 1961, Mohamed Kounda, français d'origine touareg, grandit au milieu des chevaux qu'élèvent ses parents. Après sa scolarité à Marseille, il suit à Paris les cours de l'Ecole française d'enseignement technique (Efet) ainsi qu'une formation cinéma dans le cadre des ateliers Varan. Plus tard, il suivra, aux Etats-Unis, les cours de Santa Barbara Image institute et de l'université d'Albuquerque. Docker pendant une dizaine d'années, ce qui lui permet de cumuler indépendance financière et goût des voyages, il se rend en Afrique saharienne, dans les plaines du Sud-Ouest américain et au Moyen-Orient. En 1993, il tourne son premier film, L'Ange guerrier, un documentaire sélectionné dans plusieurs festivals. De 1994 à 2001, il travaille comme caméraman en France et à l'étranger, notamment sur des documentaires : Aranui, le grand chemin, (1996), Indians of Taos (1997), Yemen (1999), Ego (2000), Kingdom of Kush (2001). En 2003, il s'attache au destin d'une jeune trompettiste prodige surnommée Chantz «la chance» qu'il filme pendant plusieurs mois. Le film qu'il réalise : Chantz, l'enfant jazz, sera diffusé sur les chaînes d'une dizaine de pays et présenté dans de nombreux festivals. Mohamed Kounda réalise également des expositions photographiques et participe à des concerts. Artiste pluriel, Mohamed Kounda évoque ici son rapport à l'image, son besoin vital de s'exprimer et d'accompagner l'humain en marche, parle de son rêve de gamin né de ses périples aventureux dans le monde. Il est l'exemple vivant qu'avec peu de moyens on peut réussir... Rencontré récemment à Ghardaïa, dans le cadre du festival du film amazigh, qui s'est tenu du 26 au 31 décembre 2005, Mohamed Kounda se confie à nous. L'Expression: Nous sommes ici à Ghardaïa dans le cadre du Festival du film amazigh. D'abord pourriez-vous vous présentez brièvement? Mohamed Kounda: Je m'appelle Mohamed Kounda, je suis d'origine algérienne, né en France où j'ai grandi. Je suis à Ghardaïa pour m'occuper d'un atelier de réalisation de films, puisque je suis réalisateur, je fais surtout des films documentaires. Je suis donc à Ghardaïa pour encadrer une dizaine de personnes qui sont venues volontairement pour apprendre à peaufiner leurs connaissances. Nous fabriquons ensemble un film... En quoi consiste concrètement votre travail au sein de cet atelier? Ma démarche, j'allais dire est à la fois simple et compliquée. J'ai une démarche un peu de voyageur. Je peux me considérer comme un aventurier puisqu'en fait lorsque j'ai un intérêt pour quelque chose, je vais à l'endroit où cela se passe et comme souvent, ce sont des endroits géographiques différents, je reste donc dans cet endroit et je ne repars que lorsque mon travail est fini. C'est un peu un mode de vie. Ma démarche pour un documentaire est un coup de coeur pour l'homme, l'être humain, on va dire. En fait, c'est en rapport à une approche de cinéma-documentaire que les gens me connaissent. C'est par rapport à un film que j'ai fait qui s'appelle Chantz, l'enfant jazz et que j'ai présenté il y a deux ans déjà en Algérie. Ce film-là a eu une vie. Il a une particularité, j'ai rencontré les protagonistes de cette histoire, la veille du tournage, j'ai rencontré ces gens-là. J'ai filmé directement et je suis resté avec eux pendant plusieurs années. J'ai donc filmé un destin en marche. J'ai filmé moi-même, tout seul avec une caméra et au son. C'est une démarche assez particulière qui est longue. Le fait qu'on raconte une histoire sans qu'on sache jamais à l'avance la fin. C'est une expérience que j'aimerais faire partager aussi à des jeunes. Mon travail ici c'est un peu par rapport à cette démarche-là. C'est-à-dire qu'on peut y arriver. Le film raconte à la fois cela, l'histoire d'un garçon et de sa maman dont le petit rêve de devenir un grand trompettiste un jour. Ils partent en quête de ce rêve, mais à quel prix? Cependant, on voit que tout est possible. Donc ce qui est intéressant de noter est à la fois ce que raconte l'histoire et comment j'ai fait ce film-là. C'est de dire que tout est possible, parce qu'on est en Algérie où il y a peu de moyens techniques, on va dire. Et ce qui est important quand on fait des films, c'est d'abord l'idée parce qu'on peut avoir toutes les techniques du monde, cela ne sert à rien. Les gens pensent d'abord avoir la technique, avoir du matériel pour faire des films. Pour moi, j'apparente un film à un voyage. Je dirais que ce n'est pas parce qu'on a une voiture, qu'on va faire un beau voyage. On peut très bien avoir le permis de conduire, avoir une voiture et faire n'importe quoi et ne pas faire un beau voyage. Par contre, on peut avoir aussi une voiture et faire un magnifique voyage. Là en l'occurrence on a besoin d'outils... Quels sont les outils dont tu disposes actuellement dans cet atelier, ou que tu apportes avec toi pour ces jeunes? Ce qui m'intéresse c'est d'essayer de leur montrer que le cinéma n'est pas quelque chose d'inaccessible, même dans l'art de faire de la fiction. Il y a autant de travail dans la fiction que dans le documentaire. Ce que j'essaye de faire est de leur montrer qu'avec quel que soit pratiquement le type de matériel, on peut raconter une histoire si on a quelque chose à dire. Là, ensemble, par exemple nous avons élaboré des possibilités de scénarios. L'important est de savoir déjà et pourquoi raconte-t-on une histoire? comment va-t-on la raconter? est-ce en fonction de moyens que nous avons. Nous avons un matériel modeste. Ce n'est pas de la grande artillerie d'Hollywood quoi ! Nous allons essayé avec les outils que nous avons d'écrire le meilleur film possible avec le temps qui nous est imparti. Et ma démarche c'est d'être accessible et ne pas être dans une démarche pédagogique, extrêmement technique mais plutôt simplifiée pour qu'ensemble on comprenne que c'est possible. Mohamed Kounda réalise des documentaires. Il est aussi artiste, plasticien, sculpteur, musicien, on peut dire que vous êtes un artiste complet. D'où puisez-vous toute cette énergie et cette inspiration? Je ne sais si je suis un artiste complet ou pluriel... Par exemple, quand je fais du cinéma, je me sers de la photographie, de la musique, de la couture. Ma maman faisait de la couture. Quand j'étais petit je la voyais coudre des robes de mariée. Et pour moi cela m'a appris le montage. Le montage, je ne l'ai pas appris dans une école mais en voyant ma mère composer des choses avec des bouts de tissu. Ce qui m'intéresse dans toutes ces formes d'art c'est évidemment le rêve que fabrique l'art et en même temps je trouve cela intéressant de le vivre autant que faire se peut, de le vivre pleinement. D'où je puise cela ? En vérité j'ai été un gamin très rêveur et c'est vrai que quand j'habitais dans le sud de la France en Camargue, chaque année on rentrait au bled. On arrivait de Marseille par bateau, c'était une rêverie, la traversée c'était déjà du cinéma en panoramique. Quand on arrivait devant cette ville d'Alger qui est magnifique, c'était à la fois le rêve et plein de sens. On revenait au bled et on repartait. Pour moi c'était l'histoire du point de vue, tout dépend d'où on se place. Il y a ceux qui arrivent et ceux qui partent ceux qui restent. Et selon comment on regarde on peut exprimer quelque chose. Avec ma mère on partait en taxi, en voiture et on voyait le paysage algérien qui défilait comme ça. C'était du cinémascope. A la suite de ça, j'ai toujours eu envie de mettre en image ce que j'avais en tête. Cela s'exprimait ainsi par la photographie, le dessin, la sculpture, la musique que j'écoutais lorsque j'étais jeune notamment la musique saharienne, le oûd, les percussions ou même les chants algériens, y compris les débuts de cheikha Rimiti que j'aimais beaucoup. Quand je revenais en France, je ramenais avec moi tout dans ma tête, tous ces souvenirs et en même temps je ne savais pas les expliquer, je ne pouvais pas les expliquer. Quand j'ai vu Le gone du Chaâba, tout à l'heure, je me suis vu, dans cette situation. Je n'habitais pas dans des bidonvilles mais je me suis vu avec ce destin, comme une nécessité de réaliser quelque chose. Moi je n'ai pas envie de faire de l'art pour l'art. Je ne suis pas un artiste complet, comme vous dites, mais je dirais multiple et cela par nécessité. Quand j'ai rencontré Chantz, je me suis senti investi d'une mission, le film s'est imposé et j'ai décidé de les accompagner. Et à la fin de l'histoire, Chantz a fait quelque chose et j'ai l'impression d'avoir accouché de quelque chose. Quand je fais des photographies, c'est pour témoigner. Je ne fais pas du militantisme ou quoi que ce soit. J'ai beaucoup d'énergie et je l'exprime ainsi de par ma sensibilité. Je suis quelqu'un qui est très à l'écoute de la poésie de la vie, je suis très sensible à ça et j'ai besoin de l'imprimer quelque part. De l'exprimer parce que sinon je suis claustrophobe. J'ai donc besoin de grands espaces, de partager ou de fabriquer ou quelque chose comme ça.