Paisible, belle et majestueuse mais semblant porter le poids des années comme un secret, la ville d'El Atteuf s'est imposée à nous. C'est ainsi que nous l'avons visitée par deux fois, le jour où le soleil scintillait sur ses plaines architecturales et le soir, lors d'un vagabondage presque illicite dans ses ruelles. Nous avons humé son air et fait connaissance avec son riche héritage séculaire. Surnommée «la mère de tous les ksours», elle est la plus ancienne ville de la fédération, - chose que ne nous savions pas encore - El Atteuf comme une déesse happée par un trop-plein de silence, a voulu se réveiller et se révéler à nous dans toute sa grâce. La doyenne a été construite en 1010 ou en 1012. Elle couvre une superficie de 690 km². Rivalité des deux clans qui se partageaient la ville. Elle est bâtie dans un coude de l'oued M'zab, son nom signifie «le détour ou le tournant». Si Bounoura s'occupe de la quincaillerie, Melika de la poterie, Ghardaïa de commerce multiple, Beni-Izeguen de tissus et tapis, un travail qui se perpétue de génération en génération, El Atteuf semble centrer ses préoccupations plutôt sur l'intérêt spirituel et le sacré. D'ailleurs, c'est la seule ville qui possède deux mosquées. mesjed El Atiq, mal restaurée, nous confie-t-on, et mesjed Abou Salim. Ceci témoigne de l'existence de dissensions intestines dans le passé. En effet, loin de tout verbiage, au-delà de son calme rassérénant, l'on sent dans son rempart comme une certaine gêne et un malaise dans l'air qui a dû habiter cette ville... «Pour la première fois, nous avons un homme cultivé, intellectuel à la tête du P/APC de la ville d'El Atteuf. Il nous change des anciens moudjahidine », nous a confié notre jeune ami guide, Hadj M'hamed Yahia, qui a fait ses études universitaire, et obtenu une licence d'histoire à la faculté de Bouzaréah, à Alger. Equipe dynamique Benyoucef Brahim, en effet, maire d'El Atteuf, est aussi architecte de formation, et suivi ses études en Allemagne. Il est aussi le président de l'association Amnight pour la protection du patrimoine matériel et immatériel, créée en 2004. Elle est active sur le terrain dans le cadre de la restauration et la réhabilitation des monuments et sites historiques de la commune d'El Atteuf. Son président nous confie: «On essaye de recenser, de recueillir tout ce qui touche notre patrimoine culturel, en plus, nous essayons de communiquer et sensibiliser surtout les jeunes à pouvoir sauvegarder ce patrimoine qui est non seulement algérien mais appartient à toute l'humanité, car classé patrimoine mondial par l'Unesco». Et de renchérir: «Nous avons aussi le patrimoine immatériel qui consiste notamment à sauvegarder les arts et métiers traditionnels, par exemple la tapisserie qui est généralement sauvegardée par le biais des femmes au foyer et transmise de génération en génération à leurs filles.» La restauration, nous indique-t-on, se fait à l'aide de matériaux locaux. «Toutes les constructions anciennes sont bâties à l'aide de pierre et de mortier de chaux. Cela a contribué à leur efficacité de s'adapter au climat et à cet environnement désertique, contre le soleil et le froid. Cela dénote bien sûr une technique qui est spécifique, c'est pourquoi nous avons des habitations qui datent de 7 siècles. Elles sont toujours fonctionnelles, on les restaure seulement en les badigeonnant chaque année à la chaux.» M.Benyoucef Brahim nous indique qu'un site web est actuellement en installation pour pouvoir communiquer plus librement et informer les gens ou les autres associations, qu'elles soient algériennes ou européennes. D'ailleurs, des collaborations avec d'autres associations ont déjà été entreprises, notamment avec Skikda, Alger au niveau de La Casbah ou encore plus loin, avec le Maroc et la Tunisie pour échanger leurs expériences. Parmi les monuments historiques qu'il faudra absolument visiter, le mausolée de cheikh Sidi Brahim. Sa particularité est importante dans le sens où son architecture mozabite reflète les traits authentiques de cette région. Cette ancienne école coranique qui était l'antre de ce théologue du XIe siècle, a en outre, inspiré pas mal d'architectes et artistes sur le plan international, dont le célèbre Le Corbusier, qui s'en inspirera pour concevoir la chapelle de Ronchamps en Haute- Saône, en France, et qui sera considérée par la suite comme une oeuvre mondiale. Le mausolée est ouvert sur une esplanade par des arcades aux formes différentes donnant ainsi un aspect de simple beauté. Elles ont une hauteur d'homme et en harmonie avec les diverses ouvertures et autant de formes opérées au-dessus de larges «étals» construits sur les façades extérieures des murs de la tombe du cheikh. La couleur du mausolée est le blanc, qui a toujours donné son éclat à l'aspect du lieu. Le cheikh Brahim Ibnou Manade fait partie de la gent docte des années 500 de l'Hégire, d'origine zénete (berbère) qui ont habité l'Afrique du Nord. Il est considéré parmi les ouléma les plus en vue d'El Atteuf ayant contribué à enseigner le rite ibadite dans la région. A l'intérieur du mausolée, les traces de cette ancienne salle d'études sont encore perceptibles, à l'image de ces trous où les disciples élèves mettaient leurs livres. «Cet endroit épouse parfaitement l'environnement, y compris avec sa forme car jadis, les gens sont venus se glisser dans l'environnement sans l'agresser. Même au niveau des palmeraies, vous pouvez trouver des habitations qui se sont intégrées dans cette palmeraie. On trouve même des palmiers à l'intérieur des maisons. Les arbres ont leur place autour. Ceci pour souligner l'importance de la nature», nous a révélé encore le maire d'El Atteuf et d'ajouter : «Dans l'ancien ksar de la ville d'El Atteuf, on a à peu près 11 puits d'une profondeur de 60 à 70 m. Ils ont été creusés à la main et cela a duré environ 50 ans pour arriver à la nappe d'eau. Les gens faisaient cela avec des moyens archaïques. Aujourd'hui, il faut de gros moyens pour pouvoir creuser dans la roche. Il y a même des gens qui ont participé à ces travaux et n'ont pas pu boire l'eau du puits. Ceci est le secret de la ville d'El Atteuf». Revenant au mausolée de cheikh Brahim, nous sommes encore assaillis par tant de données sur ce célèbre cheikh, où une ziara est organisée chaque année à son pied pour réciter le Coran en hommage à sa mémoire. Un autre cheikh, Salah Smaoui, chercheur en histoire, du haut de ses 70 ans prépare actuellement son magistère ne tarit pas d'éloges sur lui. Sa thèse a pour thème: «L'organisation de la halaqua el Azzaba, son rôle et son devoir dans la société mozabite». Le cercle de science appelé halaqua des Azzaba ou cercle des ascètes a été créé par le cheikh Abu Abdillah, né en 345 de l'Hégire/965 av. J.-C. à «Foursoutaâ», dans les montagnes de Nafoussa en Libye, à l'est de la ville de Kaba, d'une famille noble de Nafoussa. Cette famille aura engendré beaucoup de savants et d'hommes d'esprit, tels son père et son grand-père. Son mausolée à El Atteuf se trouve à l'est du village, selon diverses sources, il semblerait que les habitants de cette contrée construiront un mausolée de forme arrondie, car le lieu était inondé à chaque crue. Ce mode de construction simple et ingénieux permettra de sauvegarder ainsi ce lieu des dégâts des eaux, il est surélevé, d'à peu près un mètre du sol, il était entouré de palmiers. Le maître s'y asseyait avec ses élèves. Femmes... et artisanat Il est connu que les femmes, que ce soit à El Atteuf ou, somme toute dans le reste des quartiers de Ghardaïa, ne se mélangent pas aux hommes. Aussi, c'est une tradition bien ancrée chez les Mozabites à tel point qu'aucune femme n'a été «repérée» dans la salle de cinéma, où s'est tenu récemment, du 26 au 31 décembre dernier, le Festival du film amazigh à Ghardaïa. Cependant et néanmoins, vous pouvez toujours les coincer, marchant à la hâte comme toujours, pressées, dans les ruelles voilées d'un haïk blanc immaculé seul un oeil pour regarder. Ce qu'on appelle communément «bouaâouina». Et puis, preuve à l'appui, notre regard est happé par cette enseigne collée sur la porte d'une de ces maisons cossues que l'on découvre à chaque coin et recoin de la ville. Il est écrit en arabe: «Ici exposition de livres à l'adresse des femmes». Y a pas à dire, ici les femmes n'ont pas trop droit de cité. Et puis, celles qui ne sont pas mariées ont ce privilège de montrer tout leur visage sous leur hidjab, en attendant le mariage collectif. On devine à l'aise que leurs seules occupations ou sorties se limitent à ces fêtes familiales, ou encore à être assises continuellement derrière leur métier à tisser (assta). M.Youcef Smaoui est le fils du cheikh Salah. Il est directeur de l'association Tadjnint pour le tourisme et l'artisanat. Il nous indique que les activités de son association sont multiples. «Nous avons un côté touristique et un autre consacré à l'artisanat. Il existe des activités occasionnelles qui se présentent. A titre d'exemple, on a réalisé récemment une manifestation baptisée : A l'honneur de l'enfant. On a fait participer trois associations: Tajnint, Blue Peace et l'association des Activités des jeunes d'El Atteuf. Il y a des opérations qui sont organisées par l'association elle-même et d'autres par une coopération collective. On essaye aussi d'animer la ville pour les touristes en organisant des expositions qui peuvent servir à approfondir également les connaissances des gens au niveau local.» Et de reprendre: «La spécificité de notre association n'est pas d'ordre folklorique. Nos activités sont concentrées sur l'aspect scientifique. On organise à titre d'exemple, des conférences sur le tapis qui est tout un savoir bourré de messages. Ceci s'adresse à nous d'abord, hommes et femmes de cette localité. On fait aussi des recherches. Notre travail n'est pas achevé. Il est en cours. On s'approche de nos mères, nos soeurs, pour récolter le maximum d'informations. Entre-temps, on tend à vulgariser ces informations de plusieurs façons dont le site Internet qui est en cours d'élaboration où l'on pourra retrouver toutes ces données, notamment ayant trait aux musées». En effet, nous apprenons qu'à Tajnint (le mot berbère d'El Atteuf), il existe un important musée qui est mal exploité et où des objets qui y sont déposés datent de plusieurs siècles. «Le musée est délaissé et n'obéit pas aux règles de l'art. On veut qu'il soit reconnu à l'échelle nationale, à l'image des autres musées du pays et soit respecté...». Un catalogue est en outre en cours de préparation pour accompagner la visite du musée. Autre association qui active au sein de la commune d'El Atteuf, l'association Tkirda (le message en amazigh) pour le théâtre et les arts dramatiques. Point commun apparent à toutes ces associations, leur siège déjà est un petit magasin pittoresque où l'on peut trouver tout objet-souvenir propre à Ghardaïa, notamment ces larges assiettes en cuivre et qui, ceci dit, coûtent les yeux de la tête pour votre humble serviteur ou si vous préférez, pour les moyennes et petites bourses. Ami H'med, d'ailleurs, nous assure cette vérité qui rompt avec des certitudes généralistes: «On n'encourage pas ce genre de métier. La fabrication de ces petits objets que l'on trouve partout est courante, mais des professionnels, il en existe très peu. Le travail que je fais demande beaucoup de temps de patience et de minutie. Il tend à se raréfier. Mais il ne s' épanouit qu'à la période du tourisme et disparaît quasiment le reste de l'année.» Pour revenir à l'association Tkirda, celle-ci créée en 1991, assure l'apprentissage d'une chorale polyphonique pour garçons ayant déjà obtenu le 2e prix à l'échelle interwilayas. Cette association, outre la musique et le théâtre, prodigue aussi des cours d'éducation pédagogique et religieuse, vous l'avez sans doute deviné, pour les garçons uniquement. Précaires, ces associations incitent ses jeunes adhérents à se «prendre en charge ». Ainsi, face à ce marasme ambiant, ce n'est pas étonnant si la ville d'El Atteuf, à l'image de n'importe quelle agglomération enclavée du pays, voit ses jeunes partir et fuir pour aller se réfugier dans la capitale, où croit-on il fait bon vivre. Si les capacités des jeunes à perpétuer les us et coutumes sont saines et sauves, nous affirme-t-on, il est évident aussi que ces associations ont besoin de soutien de tous les côtés et de tout genre pour perpétuer la bonne assise de leur culture millénaire. Une culture que les étrangers nous envient, jaloux de «ce monde à part» et exceptionnellement onirique qu'est Ghardaïa. Continuons donc à le préserver.