Le monde poétique offre une espèce de catharsis face à un monde cupide, impitoyable et inhumain. C'est dans ce sens que le poète Fateh Agrane trace et scrute son tableau poétique en érigeant des lieux et des espaces dont seul lui est en mesure de percer les mystères des mots choisis et des sens stratifiés. Le recueil qui s'intitule «Vers en bandoulière» arpente les chemins sinueux des belles-lettres sans que cela écorne l'esthétique et l'harmonie d'une langue teintée de rêve et pétrie de romance doucereuse et langoureuse. La poésie se fait fleuve ruisselant mêlant l'humain avec la nature et les représentations symboliques telle une dualité hautement allégorique comme cela est bien représenté par le poème «Ô fils de ma chevauchée» où le feu rejoint le ciel tel un Prométhée qui arrache le feu des forces surnaturelles, mais là le sens s'est traduit par une force foncièrement naturelle véhiculant ses négations et ses contradictions en parfaite symphonie humaine. Tout se mêle, le regard, l'archet, les violons le sol et la perdition dans un incommensurable rêve inachevé de l'homme. Le poème tel qu'il a été peaufiné et tissé par Fateh Agrane ne creuse pas dans la forme juste pour offrir un décor, voire un goût qui étanche la soif des amoureux des belles-lettres, le poème est un acte, voire un manifeste qui transcende les stéréotypes et les connotations étriquées et figées d'un symbolisme dépouillé de sa sève nourricière, c'est-à-dire une expression qui symbolise la vie dans toute sa plénitude et dans toute sa nudité. La poésie de Fateh Agrane est agissante, rebelle et réfractaire. Elle interpelle le vécu saillant de la vie sociale sans que cela dénature la rythmique et l'harmonie des vers qui s'identifient aux vagues qui dégagent des fracas porteurs de tous les messages et d'énoncés comme reflet de convulsions et ébullitions d'un monde où l'injustice et la domination se substituent à l'éthique, l'amour et le rêve pour un monde lumineux et sans déraison du plus fort. Le recueil qui porte l'intitulé allégorique « Ma mère en vagues» traduit la dialectique incarnée par le festif, le cérémonial et la face ténébreuse d'une réalité humaine charriant les maux et les supplices multiformes. C'est la mère dans toute sa charge émotionnelle, nostalgique et lyrique. C'est aussi une allégorie à la mer qui apporte ses secrets , sa sérénité et ses vacillements interminables. Le recueil pullule de sens et de métaphores, il est la représentation du réel imagé et imaginé, c'est une fresque qui arbore la tradition vernaculaire à travers une sémiotique qui renvoie le lecteur vers des dimensions envoûtantes et enivrantes d'un monde vécu à travers ses coins et recoins chargé d'énoncés qui renseignent sur l'attachement à une identité qui transcende et transgresse la platitude et les intrigues d'une culture savante qui n'es autre qu'un exercice pédant et pernicieux imposant des prismes et schèmes qui dénaturent et qui sacrifient la réalité sur l'autel des représentations imposées par la force de la pensée dominante qui ne voit que ce qu'elle aime voir. Le poète Fateh Agrane dompte la poésie en la dotant de sens extra-poétiques sans pour autant sacrifier l'esthétique. Le recueil «Ma tête en fête» est la résultante de ce tumulte d'un passé, voire d'une enfance qui ressurgit tel un torrent avec des séquences qui portent des violences d'une patrie meurtrie et une nostalgie qui oscille entre le rêve et le drame. Le poète a su faire de la poésie une histoire jonchée de drames et d'espoirs. La maturité est manifeste dans ce recueil, la force des mots et le choix des sens riment avec le vécu et ses évolutions dramatiques. Le saut poétique révèle que le poète ne se contente pas de subjuguer par des mots et des litotes qui enjolivent la texture des poèmes et leurs structures, il va au fond de sa représentation en incrustant le texte dans le contexte. Cette prouesse poétique montre on ne peut mieux que l'abreuvoir du poète Fateh Agrane est riche et multiple, il est le prolongement d'une culture diverse et variée, une culture qui s'inspire d'une réalité vécue et assumée. C'est cette saveur de la réalité vécue qui donne à la poésie de Fateh Agrane l'étoffe et la force symbolique d'y être et d'exister avec ostentation et orgueil.