Coloré, jouissif et lumineux, le film Exils de Tony Gatlif évoque les problèmes identitaires issus de l'émigration au rythme de musiques de transe.... La salle Ibn Zeydoun a accueilli, dimanche dernier, pour son cinquième jour du Festival du film européen, des élèves du Lycée international de Ben Aknoun qui ont eu à apprécier, ambiance scolaire, chahut à l'appui, le film Exils de Tony Gatlif. Avec Romain Duris et Lubna Azabal comme acteurs principaux, l'histoire embarque ces deux personnages, Zano et Naïma, dans un voyage initiatique où ils devront traverser la France, passer en Espagne, puis les frontières marocaines en clandestins pour arriver à Alger. Elle, algérienne de France comme elle le signale dans le film et, lui, enfant de pieds-noirs... Le réalisateur, lui-même, d'origine algérienne, n'ayant pas revu son pays depuis 43 ans, aborde ici, les problèmes identitaires issus de l'émigration. La musique omniprésente tout au long du périple accompagne le pouls de nos jeunes aventuriers épris de liberté et d'évasion. De la techno au rythme staïfi en passant par le flamenco ou la mélodie tzigane très présente dans la vie du réalisateur Tony Gatlif (il a déjà réalisé des films sur la musique tzigane). Le voyage intérieur que partageront ces deux jeunes sera scellé par un moment très poignant dans le film : une incroyable scène de transe, éprouvante pour chacun mais libératrice de tout le poids de leur mal-être intérieur. Les deux personnages seront amenés à se faire violence ainsi pour retourner à la source. L'un revoit la maison de ses parents et les photos en noir et blanc, sauvegardées précieusement chez cette famille algérienne, photo, notamment, de son père avec son violon... Un manque, le vide, n'être que soi-même, sans attache, Zano et Naïma sont de cette graine-là, des enfants «nature», comme Adam et Eve, entourés de végétation. Mais cette solitude qui anime chacun d'entre eux est comblée par cette musique assourdissante qui cache leurs voix intérieures. Des âmes écorchées, dépourvues, cassées de leurs fils originels, emplissent les silences de musique profondément urbaine. Tourment spirituel insupportable qu'on tend à combler pour ne pas entendre ses démons, lesquels démons seront expiés dans cette superbe scène de transe, quoique empreinte de cachet folklorique. Alger, prolongement de l'Andalousie, se dénude ici présomptueuse et sensuelle dans son corps où échouent l'angoisse et les blessures refoulées. Ne se dévoilent ces dernières que par coups de déchaînement à forte dose rythmique. Normal, la musique, serons-nous tentés de dire, est une seconde nature chez Tony Gatlif qui signe la bande musicale du film. Ne fait-il pas dire à Zano «la musique, ma religion?» Enfin, Exils, aborde, finalement, avec acuité, tantôt en ratissant large sur les paysages, ou en approchant de plus près l'oeil de la caméra des acteurs, un peu comme pour entrer dans leur intimité, la question de l'équilibre mental avant tout qui dérive du reste. Une fracture traitée ici chez ce couple tiraillé entre deux cultures qu'ils ne maîtrisent pas vraiment et perdent le contrôle... Coloré, lumineux et jouissif, Exils redonne goût à la vie de ceux qui se sentent «étrangers de partout», à condition de se laisser aller à la périlleuse expérience d'entrer au profond de soi-même, sans avoir peur d'affronter et rencontrer ses fantômes... Le film sera diffusé une seconde fois, jeudi 26 janvier, à 19h.