«La société algérienne a toujours adopté une attitude négativiste par rapport à l'autre», affirme l'universitaire et maître de conférences. La Bibliothèque nationale d'El Hamma a abrité dimanche dernier un nouveau numéro de son Café philosophique consacré cette fois à la présentation de l'ouvrage collectif dirigé par M.Mohamed Lakhdar Maougal, intitulé Elites algériennes, histoire et conscience de caste, livre 2, paru dans la collection Devoir de mémoire et sorti aux éditions Apic. Celui-ci fait suite au premier livre qui s'est attaché à remonter le fil de l'histoire aux guerres puniques aux guérillas islamique, de l'an 203 avant Jésus-Christ jusqu'à 2003. Le second ouvrage dirigé par M.L.Maougal et S. N. Boudiaf, sorti en juin dernier, est présenté comme acte d'un ensemble de recherches «autour de notre patrimoine aussi bien historique qu'intellectuel, ainsi bien matériel qu'immatériel». Aïcha Kassoul, Malika Kebas et Thanin Maougal tentent également ici d'établir une synthèse autour de la question fondamentale de l'existence ou de l'inexistence des élites dans la réalité sociologique algérienne. Maître de conférences en linguistique française et diplômé des études supérieures en littérature générale et comparée, Mohamed Lakhdar Maougal situe son travail dans un cadre sociologique, entamé à l'époque avec une équipe de recherche au Cread. Ayant constaté malheureusement que les sociologues avaient abandonné le travail: «Je m'étais fait un point d'honneur à le continuer, ceci dans un contexte que l'on connaît; la société algérienne dans les années 90 était en ébullition. La rue était devenue un laboratoire de confrontation de courants politiques.» Et de se demander: «Le mouvement organisé (le FIS) qui a investi la rue, était-il un mouvement élitiste? La société manquait de programme politique conséquent. On était en train de refaire les erreurs du mouvement national. Nous n'avons pas d'analyse de ce qui s'est passé à cette époque-là. Et de s'interroger: Qu'est-ce qu'une élite? Y avait-il des penseurs ou juste un mouvement de masse? Comment constituer un mouvement élitiste avec des idées qui remontent à très très loin? Pouvons-nous construire un mouvement élitiste avec un savoir archaïque? Pour expliquer ce phénomène, M.Maougal fait référence aux catégories sociales et à l'émigration. «Je me suis rendu compte que la culture c'est quelque chose de très relatif. Ma ligne de conduite était d'analyser le réel. Cela remonte à la colonisation. La société algérienne a, pendant longtemps, eu une attitude négativiste par rapport à l'autre. On ne prend plus en considération l'autre...» Dans le livre 2, Mohamed Lakhdar Maougal place son analyse autour de deux points essentiels de l'émergence et la dissolution des élites politiques de 1926 à 1947, et au populisme révolutionnaire de 1949 à 1962. Et de se demander: «Comment la société algérienne a pu se libérer du colonialisme, donnée pour arriérée, que s'est-il passé? Aux yeux de Maougal, les mouvements élitistes naissent avec les crises et s'évanouissent aussitôt que ces crises trouvent leur aboutissement. Deux dates historiques importantes pour étayer son argumentation, 1830 et 1954. «Deux mouvements de crise graves, l'un avait vu l'occupation française de l'Algérie suite à l'effondrement de l'Etat ottoman, et l'autre l'apparition d'un groupe révolutionnaire devant la crise organique du Mtld». Maougal prend pour exemple l'émir Abdelkader qui était appuyé par des techniques de guerre moyenâgeuses. «Nous nous trouvons face à un déficit de savoir, de leadership et de technique et c'est pourquoi ce mouvement n'a pas abouti. De plus, il avait un mal fou à réunir un tissu social et militaire pour faire face à l'agression». Un échec ainsi dû à cette absence de circulation de savoir. Et d'indiquer: «L'élite naît dans un mouvement de crise, mais il faut se donner les moyens de perdurer sinon il s'étiole». Et de relever un exemple, dit-il, «concret, douloureux», celui de notre mouvement national. Mohamed Lakhdar Maougal a estimé que les élites politiques d'essence populiste, qui l'encadraient et ce, depuis sa naissance jusqu'au déclenchement de la Révolution de 1954, ayant pourtant acquis une nouvelle culture comportementale grâce à la lutte syndicale en Europe, marginalisaient les intellectuels. «Mustapha Lachref s'est contenté d'être un pâle reflet de Messali Hadj et son Etoile nord-africaine. Le savoir n'était pas valorisé. Tu as pris le savoir de l'autre donc tu es suspect. Il y avait des intellectuels arabisés parmi les ulémas qui s'étaient interdits pendant très longtemps de faire de la politique. C'est resté une fédération religieuse. Or, le discours religieux depuis 1930 était déjà sous contrôle de la domination française...». Et de renchérir: «Toute la vie politique était dans cette confrontation dans la langue du colonisateur et de sa culture. Nous avions un mouvement élitiste de classe sociale, décapité sur le plan intellectuel». Evoquant la situation de l'Algérie depuis l'indépendance, Mohamed Lakhdar Maougal affirme que l'Etat va s'organiser pour gérer, contrôler le réel en créant une culture d'encadrement. «Nous sommes dans une logique de construction de cadres et d'étouffement des élites». Cette crise des élites qui se répète est due aux innombrables problèmes que traverse le pays dont économiques notamment la mondialisation galopante, la corruption. Or, dit-il, «les élites doivent s'occuper d'autre chose dont la sauvegarde de l'intégrité territoriale de son pays pour ne pas arriver au cas de l'Irak», a-t-il regretté en substance.